Conclusion générale

Satire, religion et interprétation

Participant à une évaluation rétrospective de son ouvrage des années 1960, Swift and Anglican Rationalism. The Religious Background of A Tale of a Tub, Philip Harth réaffirme les présupposés qui guidaient sa démarche d’alors :

Malgré l’intérêt indéniable que présente une telle approche, nous maintenons que celle‑ci ne permet pas de rendre pleinement compte des effets de sens des textes swiftiens, car elle se situe dans l’en‑decà du texte. La question des liens qu’entretiennent satire et religion dans l’œuvre swiftienne ne peut donc, comme nous avons tenté de le montrer, qu’être envisagée en des termes différents. L’intérêt des écrits sur la religion ainsi que des sermons comme, à sa manière propre, celui de A Tale, réside selon nous essentiellement dans leur stratégie rhétorique particulière, inspirée de celle qui définit les textes satiriques, mais ne la recoupant pas. L’apologétique comme l’homilétique swiftiennes se caractérisent, à des degrés divers, par un ensemble de stratégies d’orientation du discours qui se dissimulent sous un positionnement rhétorique s’apparentant a priori à un positionnement homilétique, mais relevant en réalité davantage d’une double posture, satirique et homilétique. Une telle posture est de l’ordre du jeu, à tous les sens du terme, play, freeplay, interplay, dans la mesure où l’enchevêtrement des deux postures permet une plus grande liberté.

S’interroger sur la manière dont il convient d’envisager les liens entre satire et religion dans l’œuvre de Swift conduit également à soulever la question plus générale de l’interprétation des textes swiftiens. Comme le souligne Marcus Walsh, la critique swiftienne peut être divisée en deux écoles concurrentes, division que recoupe à peu de choses près les positions incarnées par Philip Harth dans Swift and Anglican Rationalism (Harth, 1961) et celle de Robert Phiddian dans Swift’s Parody (Phiddian, 1995) :

La conclusion de Clive Probyn quant à la situation rhétorique des satires swiftiennes est similaire, quoique formulée en des termes différents :

L’influence des interprétations de Claude Rawson sur les études swiftiennes a été prépondérante, ces interprétations ayant ouvert la voie à des lectures déconstructionnistes comme celle de Phiddian. Selon Rawson, les satires de Swift se caractérisent toutes par un jeu, interplay, entre autorité et ironie, « assertions of order » s’opposant à « ironic energies » : « [Swift has] a tendency to subvert his own positives by irony, and […] both to praise and to attack the same thing, or things for which he uses uncannily similar language » (Rawson, 1983, pp. 42‑43). Tout en essayant de se garder des excès d’une lecture déconstructionniste des textes swiftiens, notre travail a été guidé par un souci constant d’éviter toute immobilisation pétrifiante du texte qui empêcherait que se déploient ses effets de sens ; en d’autres termes, nous avons tenté de trouver ce juste milieu entre dogmatisme et anarchie qui, selon la lecture de Martin Price, constituerait pour Swift un idéal en matière d’interprétation textuelle : « a middle way between a suspect validation and anarchic freedom, between a single entrance and six hundred thousand » (Price, 1983, p. 105).