Avant d’entrer dans la problématique de la typologie des discours, nous allons essayer tout d’abord de définir cette notion de discours, au centre de nos préoccupations depuis le début de cette recherche.
Le discours, sous toutes ses formes (récits, dialogues, textes de presse, etc.), occupe dans les recherches et les débats en sciences du langage une place centrale. Il n’est pas étonnant qu’il occupe aussi une place de plus en plus grande dans la didactique des langues. De fait, les besoins de l'enseignement impliquent des choix de discours adaptés aux objectifs de l'apprentissage ainsi qu'au type du public. Cependant, deux problèmes majeurs se posent dans le cadre de l'enseignement des langues : un problème de reconnaissance des caractéristiques discursives et un problème d'instrument d'analyse.
"Nous appellerons "discours" l'usage du langage en situation pratique, envisagé comme acte effectif, et en relation avec l'ensemble des actes (langagiers ou non) dont il fait partie 23 ". Le mot "discours 24 " peut désigner des énoncés solennels ("le président a fait un discours"), ou référer à des paroles sans effet ("tout ça, c’est des discours"), ou encore désigner n’importe quel usage restreint de la langue : "le discours politique", "le discours polémique", "le discours des jeunes", etc. Ce dernier emploi de discours est selon D. Maingueneau assez ambigu «car il peut désigner aussi bien le système qui permet de produire un ensemble de textes que cet ensemble lui-même».
J.-M. Adam définit le discours comme «un énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles, mais surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participants, institution, lieu, temps) ; ce dont rend bien compte le concept de «conduite langagière» comme mise en œuvre d’un type de discours dans une situation donnée» 25 .
Dans les sciences du langage, cette notion de "discours" est beaucoup utilisée, suite à l’influence du courant pragmatique. D. Maingueneau 26 renvoie au mode d’appréhension du discours dans la communication verbale. Il décrit ainsi plusieurs traits essentiels du discours, que nous allons présenter brièvement :
Nous retenons plusieurs caractéristiques importantes parmi celles mentionnées plus haut qui jouent un rôle important dans notre analyse du discours des guides. Le discours est orienté par son locuteur, et l’exemple de notre discours de guide confirme cette réalité : le guide insère des remarques et des commentaires sur sa propre parole et il a souvent recours à des anticipations ou retours en arrière pour orienter son discours, par exemple :
Corpus Jérash Samir : L50 G4 : "‘vous allez voir ça à vos propres yeux dans le site vous allez voir c'est plein de maisons’"
Le discours du guide est très interactif. Cette interactivité se manifeste à plusieurs niveaux : outre les passages conversationnels que le guide peut avoir avec les touristes et qui montre son interactivité, nous avons aussi à faire à un discours qui est la plupart du temps un discours monologal très interactif lié à des réactions des interlocuteurs non verbales comme les gestes, les mimiques et les regards ou encore le rire. Le guide imagine également la réaction de l'autre en fonction de la représentation qu'il a de ses interlocuteurs. Ce phénomène de prise en compte de l'autre dans le discours est fondamental et très présent dans le discours du guide.
Les autres critères tels que les normes et l'interdiscours sont aussi importants que le reste, dans la mesure où on va comparer le discours du guide avec d'autres genres, ainsi que notre objectif de formation nous oblige à déterminer les normes de ce discours qu'on va enseigner.
Discours / Texte
Il convient de distinguer tout d’abord entre les deux notions de discours et texte. D’après J.-M. Adam 29 , le discours est un "énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles, mais surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participants, institution, lieu, temps); ce dont rend bien compte le concept de "conduite langagière" comme mise en œuvre d'un type de discours dans une situation donnée 30 ". Le texte, en revanche, est un "objet abstrait résultant de la soustraction du contexte opérée sur l'objet concret (discours)". Autrement dit :
Discours = texte + condition de production ;
Texte = discours – condition de production.
J.-M. Adam parle de discours littéraire, religieux, journalistique, politique, militaire, etc. et de genres du discours religieux comme la prière, le sermon, la parabole, etc., de genres des discours journalistique, politique, scientifique, didactique, public, etc. Ce qui signifie que «des hypothèses typologiques peuvent être formulées depuis des perspectives très diverses» 31 . La typologie de textes que J.-M. Adam a établie est basée sur une approche linguistique et textuelle.
Retenir le terme de texte, centre l'attention sur les dimensions linguistiques. Dans une perspective didactique, E. Roulet trouve que l'emploi du terme de texte est "‘malheureux car il est trop marqué par une connotation interphrastique (…) non seulement ce terme renvoie intuitivement exclusivement à l'écrit, ce qui tend à renforcer la pente naturelle de la pédagogie de la langue maternelle, mais surtout il se situe implicitement dans un paradigme de catégories du sens pratique mal définies comprenant en particulier le mot et la phrase’" 32 .
Aussi E. Roulet préfère-t-il utiliser le terme de discours, plutôt que celui de texte; "le terme de discours présente le triple avantage de neutraliser la dimension écrite, de marquer nettement la différence entre les deux niveaux grammatical et discursif et de renvoyer à une unité minimale qui n'est plus de l'ordre de la proposition mais de l'acte. Par ailleurs, le terme de discours se prête mieux à l'intégration, qui paraît de plus en plus nécessaire dans l'étude des "grandes masses verbales, des dimensions sociales, interactionnelle, référentielle et psychologique 33 ".
G.-E. Sarfati 34 , quant à lui, fait référence à la compétence textuelle qui aide à reconnaître les différents types de textes, et non seulement la compétence linguistique. Il s’appuie sur les réflexions de Van Dijk (1972, 297-298) :
‘«N’importe quel locuteur natif sera en principe capable de faire la différence entre un poème et un manuel de mathématiques, entre un article de journal et un questionnaire. Ceci implique qu’il a une aptitude initiale à différencier les ensembles de textes et à reconnaître les différents types de textes. Nous affirmons (…) que cette aptitude fondamentale fait partie intégrante de la compétence linguistique. Nous dirons en même temps que cette compétence est une compétence textuelle».’Selon D. Maingueneau, on a tendance à parler de texte pour «‘des productions verbales orales ou écrites et qui sont structurées de manière à durer, à être répétées, à circuler loin de leur contexte originel’» 35 . Dans l’usage courant, on parle plutôt de textes littéraires ou juridiques mais jamais de textes pour désigner une conversation.
Nous préférons, en ce qui nous concerne, l’appellation discours à celle de texte, pour désigner les productions orales des guides touristiques.
P. Achard (1993): La sociologie du langage, Paris, PUF (coll. Que sais-je?), P.10.
Nous citons la définition du discours de D. Maingueneau (1998), dans son livre : Analyser les textes de communication, éd. Dunod. P. 37.
J.-M. Adam (1990) : Eléments de linguistique textuelle, éd. Mardaga. P. 23.
D. Maingueneau (1998): Analyser les textes de communication, éd. Dunod, P.38-41.
P. Charaudeau, D. Maingueneau (2002): Dictionnaire d'analyse du discours, éd. Seuil, P. 187-190.
D. Maingueneau (1998) idem, p. 39-40.
D. Maingueneau (1998) idem, p. 41.
J.- M. Adam a évoqué cette distinction entre discours et texte dans ces publications :
- (1987) : «Types de séquences textuelles élémentaires», Pratiques n° 56, Metz.
- (1990) : Eléments de linguistiques textuelle, éd. Mardaga.
J.-M. Adam (1990) : idem, P. 23.
J.-M. Adam (1991) : idem, P. 8.
E. Roulet (1991): "Une approche discursive de l'hétérogénéité discursive" in ELA n°83, P. 123.
E. Roulet (1991): idem, P. 123.
G.-E. Sarfati (1997) : Eléments d’analyse du discours, éd. Nathan, P. 77-78.
D. Maingueneau (1998) : idem, P. 43.