2.2.2. La typologie des typologies

Lorsque l'on veut dresser une typologie rigoureuse des discours, on se heurte à une difficulté majeure : la diversité des critères pris en compte lors de ce classement. Il a été relevé plus d'une centaine de typologies élaborées par les linguistes et les didacticiens. Au point qu'aujourd'hui, le problème est moins de trouver une typologie de référence que de choisir parmi toutes ces typologies. Devant cet accroissement, A. Petitjean 39 et B. Schneuwly 40 (D. Maingueneau 41 a également repris ces mêmes typologies en rajoutant d'autres), ont été amenés à proposer des typologies de typologies distinguant plusieurs grandes catégories :

Les typologies énonciatives 42 relevant du domaine linguistique, sont basées sur la relation entre l’énoncé et sa situation d’énonciation (interlocuteurs, moment, lieu de l’énonciation). Elles traitent principalement de l'influence des conditions d'énonciation sur l'organisation discursive. La typologie première dans ce domaine est celle de Benveniste distinguant entre le discours et l’histoire (ou récit). Les typologies énonciatives peuvent prendre en compte d’autres critères que celle de la situation d’énonciation, comme par exemple la présence ou non d’évaluations, de marques de subjectivité énonciative ou d’hétérogénéité, (voir également les travaux de J.-P. Bronckart 43 et al. 1985).

Les typologies à visée communicationnelle (ou fonctionnelle) qui se présentent sous forme de classification par les fonctions du langage. Elles sont les plus nombreuses, la typologie la plus connue est celle de R. Jakobson qui donne six fonctions au discours (référentielle, émotive, conative, phatique, métalinguistique et poétique). Cette typologie suppose un classement du discours sur la base de la fonction prédominante. D’autres fonctions peuvent être rajoutées comme prescriptive, informative, polémique, didactique, etc. Une partie de ces fonctions sont considérée comme une reprise parce que conative est l'équivalent de prescriptive et informative. Par contre, polémique et didactique sont un développement et raffinement de la catégorie conative. Leur base de typologisation est la fonction qu'assument les textes dans la communication. A priori, par rapport à ce classement, le discours des guides situerait du côté référentiel et éventuellement du côté conatif. En explicitant le conatif en prescriptif, polémique et didactique, le discours du guide apparaît plus didactique et moins prescriptif ou polémique. Une autre classification de cette typologie est basée sur les fonctions sociales : "fonction ludique", "fonction de contact", "fonction religieuse", etc., par exemple la conversation familière peut être rattachée à la fonction de contact.

Les typologies situationnelles, fondées sur l'analyse des situations de communication. Conditionnés par des situations de communication, ces genres ont un caractère socio-historique variable. Par exemple, un «fait divers» varie selon son lieu d’apparition, tandis qu’un discours ludique est toujours présent dans toute société et à toute époque. (Voir les travaux de R. Bouchard 44 et B. Schneuwly 45 ). D’autres critères de classement des genres de discours cités également par D. Maingueneau sont possibles, comme le statut des partenaires du discours (discours entre enfants et adultes, entre femmes, entre supérieurs et inférieurs, etc.), la nature idéologique du discours (par exemple : discours socialiste et discours catholique), ou encore selon le secteur d’activité (enseignement, santé, loisirs, administration, recherche scientifique, etc.), et selon le lieu d’exercer l’activité (l’hôpital, l’école, l’entreprise, etc.).

Les typologies procédurales ou cognitives. Elles classent les séquences textuelles, (descriptive, narrative, explicative, argumentative, etc. Voir J.-M. Adam 46 ) en fonction du mode d'organisation cognitif des contenus.

La typologie discursive : D. Maingueneau fait référence à cette typologie dans son livre Analyser les textes de communication. Nous nous intéressons personnellement à cette typologie parce qu’elle regroupe plusieurs caractéristiques du discours sur lesquelles nous pouvons nous appuyer dans notre analyse du discours des guides, et qu'elle ne sépare pas les caractéristiques liées aux fonctions, aux types et aux genres de discours des caractéristiques linguistiques. Ainsi, dans l’analyse du discours qui nous intéresse, nous prenons en compte toutes ces typologies communicationnelles, situationnelles et discursives.

On peut résumer ainsi les différents modes de classements des discours désignés dans diverses recherches :

Bref, on le constate, les problèmes de classement des discours sont loin d’être résolus, qu’il s’agisse de notre type de discours ou d’autres discours. De fait, comme le souligne M. Bakhtine 47  :

‘«La richesse et la variété des genres du discours sont infinies car la variété virtuelle de l’activité humaine est inépuisable et chaque sphère de cette activité comporte un répertoire de genres du discours qui va se différenciant et s’amplifiant à mesure que se développe et se complexifie la sphère donnée».’

J.-M. Adam 48 admet cette extrême variété des genres, cependant, il signale que ces mêmes genres peuvent évoluer et parfois disparaître, en fonction des formations sociales auxquelles ils sont associés. En effet, ce monde de discours reste toujours instable "en ce sens qu'aucun classement n'a réussi à s'imposer, et qu'aucune véritable synthèse ne peut être opérée sur la diversité des propositions existantes 49 ".

Notes
39.

A. Petitjean (1989): "Les typologies textuelles", Pratiques n°62, P. 86-125.

40.

B. Schneuwly (1987): "Quelle typologie de textes pour l'enseignement? Une typologie des typologies", in J. L. Chiss, J.P. Laurent, J.C. Meyer, H. Romian, B. Schneuwly (dir.). Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Bruxelles, éd. De Boeck.

- B. Schneuwly (1991) : "diversification et progression en DFLM : l'apport des typologies", ELA n°83, P.131-141.

41.

D. Maingueneau (1998): Analyser les textes de communication, éd. Dunod, P.46-49.

42.

D. Maingueneau (1996) : Les termes clés de l’analyse du discours, éd. Seuil, P. 85

- D.Maigueneau (1998) : idem, P.48.

43.

J.-P. Bronckart et al (1985): Le fonctionnement des discours, Neuchâtel, éd. Delachaux et Niestlé.

44.

R. Bouchard (1991): "Repères pour un classement sémiologique des événements communicatifs" in ELA n° 83, P.29-62.

45.

B. Schneuwly (1987): idem.

46.

J.-M. Adam (1987): "Types de séquences élémentaires", Pratiques n°56, P. 54-79.

47.

M. Bakhtine (1984) : idem, P. 265.

48.

J.-M. Adam (2001) : "Types de textes ou genres de discours ? Comment classer les textes qui disent de et comment faire ?", Langages n°141, P.

49.

J.-P. Bronckart (1996) : "Genres de textes, types de discours et opération psycholinguistique", Enjeux n°37:38 Types et genres textuels, P. 32.