2.2.4. Discours et didacticité

Le nombre des types varie d'un auteur à l'autre, les principes de classement sont différents, les terminologies disparates. Pour notre recherche se pose le problème du choix. Parmi toutes ces typologies, laquelle répond à nos besoins ? Compte tenu de l'état de l'avancement de notre recherche, les critères retenus sont de nature didactique : il s'agit de permettre aux guides de diversifier leur discours, de leur donner les moyens de distinguer les différents types de discours et de leur permettre d'organiser leur discours en fonction de différentes composantes discursives, syntaxiques, situationnelles et interactionnelles.

Même si parmi les typologies, celle proposée par J.-M. Adam présente des caractéristiques qui sont proches de nos préoccupations parce qu'elle s'intéresse à l'organisation de la superstructure textuelle, aucune ne part des problèmes didactiques tels que nous les posons et ne peut donc être utilisée telle quelle. Afin d'établir une cohérence dans les références et de procéder à une clarification terminologique, une nouvelle typologie a été élaborée à notre usage dans l'analyse du corpus.

Cette typologie tente de classer le discours des guides selon trois paramètres : l'enjeu pragmatique, le référent, et l'organisation discursive. Le croisement de ces trois entrées donne naissance à une typologie adaptée à ce genre de discours. La distinction entre discours (acte de langage qui se définit par son enjeu : on parle pour informer, convaincre, expliquer …), et texte (caractérisé par une forme, une logique interne, principes de progression ou d'organisation, et un mode de clôture) qui s'y trouve définie reste une référence interne. La classification elle-même n'est pas un aboutissement, mais elle fait le point à un moment donné, permettant de passer à d'autres objets d'analyse. Si l'on prend soin de prendre en compte l'hétérogénéité du discours, sa validité dans la formation des guides est encore efficace puisqu'elle permet de poser des questions et de pratiquer un balisage des productions orales.

Où pouvons-nous placer le discours qui nous occupe ? Il apparaît en effet que ces modes de classement sont basés, principalement plus sur les discours écrits que sur les discours oraux. Or, notre discours des guides est un discours oral. Le discours des guides ne représente pas un domaine à part entière, bien au contraire c’est un genre spécifique qui partage certains critères avec d’autres genres tout en gardant une spécificité le distinguant du reste. On peut le considérer comme un discours publicitaire/commercial dans la mesure où le guide entretient un rapport du type marchand avec les touristes afin de promouvoir son pays. Le discours du guide pourrait être décrit également comme un discours didactique. Les problèmes de désignation des discours didactiques sont un sujet qui a entraîné beaucoup de discussion ces dernières années chez les didacticiens. S’agit-il seulement des discours produits par le milieu professionnel des enseignants, ou bien d’autres discours qui peuvent partager les caractéristiques didactiques ? Sur cette question, S. Moirand distingue entre "‘une didacticité première ou directe ou explicite’" liée aux institutions scolaires et «‘une didacticité seconde, indirecte et parfois implicite (…) des discours dont l’objet premier n’est pas didactique, mais qui relèvent (…) d’une intention de didacticité’». 52 (C'est nous qui soulignons ici). L'interrogation revient également chez M.-F. Mortureux, qui souligne que "‘lorsqu'on parle de discours didactique, on ne sais pas le plus souvent, si le qualificatif tient à la fonction sociale du texte ou à des propriétés de type rhétorique’ 53 ".

Chercher les traces de didacticité dans un discours nous oblige à différencier entre les discours socialement et institutionnellement définis comme didactiques et les discours qui seraient strictement informatifs sans manifester d'intention de rendre l'interlocuteur plus compétent. D'après S. Moirand 54 , les discours dits didactiques ne se limitent pas ainsi à des caractéristiques institutionnelles de leurs productions, mais au caractère dit de "didacticité" et qui se caractérise par trois sortes d'interprétation 55 :

L'ordre situationnel n'est pas remis en cause dans le discours du guide car il y a bien un contrat didactique (nous le rappelons : c'est ce qui relie un locuteur informé transmettant un savoir à un locuteur moins informé que lui et acceptant cette situation). Le locuteur a un rôle dûment reconnu, un statut qui lui permet de "dire de faire" voire de "dire de devoir-faire".

Les discours didactiques relèvent des discours seconds, il s'agit d'une reformulation des discours–sources d'une discipline particulière vers des publics moins savants. À la différence du discours du guide, les discours didactiques s'adressent à des destinataires bien définis (année, niveau, …) et qui sont formés dans cette discipline ; ils sont fortement contraints par le cadre institutionnel dans lequel ils s'inscrivent et ils sont énoncés par des locuteurs du même domaine. Ainsi, les places sont clairement établies et hiérarchisées. Par contre, le discours du guide s'adresse à un public hétérogène pas nécessairement formé sur le sujet. Une situation de communication didactique "‘s'analyse au travers des contraintes et des hiérarchies, des normes et des routines qui la caractérisent, et repose sur une visée qui se doit d'aller au-delà de la transmission de connaissances, jusqu'à l'appropriation par le destinataire des savoirs et savoirs-faire transmis […] et, plus encore, jusqu'à l'évaluation, généralement quantifiée, de ce qui a été appris’ 56 ". Ainsi, les discours didactiques visent à faire avancer l'état de connaissances du domaine chez l'interlocuteur, cela se passe dans une situation ritualisée et régie par un contrat préalable tacitement accepté par les interlocuteurs.

Du point de vue interactionnel, on distingue entre les discours didactiques qui sont engendrés par un contrat didactique préalable comme les échanges en classe, des interactions quotidiennes dans lesquelles parfois surgit une forme de didacticité comme des offres ou des demandes d'explication dans des situations d'achat entre client / employé ou même dans la situation de guide où les touristes peuvent poser des questions pour avoir plus d'informations. En effet, "‘une situation didactique n'engendre pas toujours un discours didactique, ni même de trace verbale de didacticité’ 57 ", il s'agit d'une image du comportement à suivre en donnant des consignes (dire de faire). Il faut d’abord remarquer que les interlocuteurs ne sont pas dans la même position par rapport au savoir, à l’information à donner. L’un est plus compétent et l’autre est venu chercher ce savoir. C’est là un élément essentiel du contrat didactique qui régit les échanges et assigne aux interlocuteurs un rôle conversationnel différencié : d’un côté le rôle conversationnel du guide, et de l’autre celui des touristes. Ces moments d’interaction sont définis par la situation de communication. Dans la visite même, on a plusieurs moments d’interaction : les explications du guide devant les monuments, ensuite toutes les questions et commentaires des touristes sur l’objet visité ; un troisième temps d’interaction prend place au moment du déplacement entre les monuments et là se déroule un type de conversation différent portant sur des sujets hors de la visite : questions personnelles, renseignements sur le pays, etc. Certains passages dans le discours du guide sont présentés sous forme dialoguée, c’est à dire une suite d’échanges verbaux constitués par une alternance de tours de parole des locuteurs. La particularité de ce dialogue est à l’inverse de ce qui pourrait être produit dans une situation didactique dans des cours dialogués par exemple où il est mis en contact des participants dont le statut, défini par l’institution, est inégalitaire. Dans le cas des visites guidées, on ne ressent pas cette relation d’inégalité et le guide ne joue pas le rôle de distribution de la parole aux touristes.

Dans une situation didactique, nous distinguons deux types d’interaction : une interaction rigide, où les positions et les discours sont prédéterminés, et une interaction plus proche de la conversation ordinaire dans laquelle il y a une plus grande liberté de prise de parole.

Notes
52.

S. Moirand (1992) : « autour de la notion de didacticité », Les Carnets du Cediscor n°1, Paris, éd. Presses de la Sorbonne Nouvelle, P. 11.

53.

Nous citons ici la contribution de M.-F. Mortureux dans les carnets du Cediscor n°1, P. 24.

54.

S. Moirand (1992) : "La présence de l'autre comme manifestation discursive d'une intention de "didacticité"", in Cahiers de l'institut des langues et des sciences de langage, Université de Lausanne, n°2, P. 173-193.

- S. Moirand (1990) : idem, P. 25-28.

55.

Ces mêmes éléments de définitions ont été repris également par Reboul-Touré S. (1999) : "éléments de didacticité dans les instructions officielles de collège : autour de la notion de discours", Pratiques n°101-102, Textes officiels et enseignement du français, P. 47-58.

- P. Charaudeau, D. Maingueneau (2002): Dictionnaire d'analyse du discours, éd. Seuil, P. 181-182.

56.

Béacco, J.-C., Moirand, S. (1995): "Autour des discours de transmission de connaissances", Langages n°117, P. 40.

57.

J.-C. Béacco, S. Moirand, (1995): "Autour des discours de transmission des connaissances", Langages, n°117, P. 40.