2.4. Discours et oralité : approche syntaxique

Au terme de l’analyse syntaxique que nous allons effectuer sur notre corpus, nous allons faire ressortir certains phénomènes caractéristiques des discours oraux. Nous avons été amenée assez naturellement à nous intéresser aux travaux de C. Blanche-Benveniste 69 et de M–A. Morel 70 parce qu’elles travaillent sur des discours oraux et que nous retrouvons dans nos corpus les phénomènes d'oralité qu’elles étudient, ce qui rapproche nos démarches d'analyse et nous facilite le choix des outils.

Les travaux de C. Blanche-Benveniste et du GARS portent essentiellement, dans son ouvrage Le français parlé, sur la morpho-syntaxe qui est basé sur les oppositions de catégories et les spécificités distributionnelles, sans attacher beaucoup d’importance aux autres plans d’analyse comme le lexique ou le discours. Elle s’intéresse également à la macro-syntaxe qui présente un niveau d’organisation différent portant sur des données de grande extension comme les périodes. Il s’agit donc d’analyse syntaxique et non d’analyse discursive.

Dans son ouvrage Approches de la langue parlée en français, elle s’appuie essentiellement sur le français parlé tout en élargissant son champ d’intérêt pour couvrir d’autres domaines comme la prosodie, le lexique ou la morphologie. Le classement par Blanche-Benveniste de ces phénomènes est fait selon les deux axes syntagmatique et paradigmatique. Concernant les phénomènes qui se manifestent sur l’axe paradigmatique, on distingue deux types : ceux qui sont créés par la volonté des locuteurs comme les répétitions intensives, les variations stylistiques et autres et ceux qui sont involontaires comme les bredouillages, les hésitations, les maladresses ou les reprises. Elle ne fait pas cependant, la distinction entre les phénomènes volontaires et involontaires et les traite de la même façon en négligeant la part d’intention du locuteur sur laquelle elle ne pense pas pouvoir porter de jugement, ce qui lui permet par ailleurs de suivre une ligne d’analyse grammaticale unifiée.

Elle introduit d’autres phénomènes spécifiques des discours oraux et qui ne sont pas abordés dans son premier ouvrage, comme les incises, les inachèvements, les auto-corrections et l’étoffement syntaxique. Parfois ces mêmes phénomènes sont mentionnés, dans son premier ouvrage, mais sous une autre appellation comme par exemple l’entassement paradigmatique qui est le même phénomène décrit dans le français parlé par "piétinement" syntaxique.

Nous allons procéder, dans un premier temps à une présentation des caractéristiques essentielles des productions communes à plusieurs types de discours oraux telles que l'étoffement syntaxique, l'entassement paradigmatique, les incidentes, les inachèvements, etc. Ces mêmes phénomènes repérés et cités par les deux linguistes nous intéressent tout particulièrement parce que nous les trouvons dans notre discours des guides, et qu’ils semblent jouer un rôle important dans l'organisation du discours oral.

Dans un deuxième temps, nous allons faire un classement de ces phénomènes par rapport au corpus dont nous nous occupons. Il s’agit de discours oraux longs des guides en milieu naturel ce qui laisse supposer que certains phénomènes liés au contexte extérieur (aléas divers en milieu ouvert) vont favoriser l’émergence d’incidentes par exemple.

Cette démarche de travail va donner lieu à de réelles découvertes. Elle nous permettra de faire une réinterprétation de phénomènes connus mais vus sous un angle différent et une découverte de phénomènes nouveaux dans un aller et retour constant entre notre corpus et nos hypothèses de travail.

Une observation du corpus permet de voir comment ces guides procèdent, quelles unités ils utilisent pour faire avancer leurs discours, ce qu’ils gardent en mémoire soit pour les paroles déjà énoncées soit pour celles qu’ils projettent d’énoncer. Nous pouvons également observer comment se fait la mise au point des syntagmes, la recherche des dénominations et le travail d’évaluation que ces guides font sur leurs propres discours, phénomènes fréquents, voire déterminants dans le discours oral spontané ou tout au moins partiellement spontané.

Nous présentons un classement par rapport à la nature des phénomènes avec une définition de chaque phénomène et des exemples extraits de notre corpus. Nous faisons la différence entre les phénomènes qui sont volontaires et ceux qui sont involontaires. Les phénomènes involontaires peuvent être liés à la langue et aux difficultés de production pour les natifs et plus spécifiquement les non natifs ou tout simplement manque d’organisation des informations données par le guide, tandis que les phénomènes volontaires sont liés à l’habilité du guide ce qui permettra de distinguer un guide d’un autre. De plus, ces procédés volontaires comme les inachèvements, les empilements paradigmatiques ou d’autres sont considérés comme des procédés ou des outils d’organisation du discours. La distinction entre ces deux types nous intéresse dans le cadre de l’orientation didactique de notre travail et va nous permettre de prévoir un enseignement de certains de ces phénomènes syntaxico-discursifs dans la formation de nos futurs guides jordaniens.

Notes
69.

C. Blanche-Benveniste (1990) : Le Français parlé, éd. CNRS.

C. Blanche-Benveniste (1997) : Approches de la langue parlée en français, éd. Ophrys.

70.

M.-A. Morel, L. Danon-Boileau (1998) : Grammaire de l'intonation: l'exemple du français éd. Ophrys.