2.4.8.1. Les régulateurs de production

Les grammaires traditionnelles appellent ces unités et les mots qui appartiennent au discours oral des "interjections" ou des "locutions". Ils intéressent la linguistique discursive ou argumentative et la linguistique pragmatique. Ils ont différentes appellations du type : "petits mots"; "marqueurs de discours", "particules énonciatives", "marqueurs de structuration", "ponctuant", "interjections", "connecteurs phatiques", "balises sonores", "ligateurs", etc.

J. P. Davoine 84 appelle les unités constituées sur une base verbale telles que (penses-tu/ tu penses, écoutez, dis donc, allez, tiens, tu sais, tu vois, tu comprends, …) des connecteurs phatiques. Ils sont formés sur une deuxième personne de l'indicatif ou de l'impératif et ils sollicitent ou renforcent le contact avec le destinataire. Ils ont été considérés par les grammaires traditionnelles comme des éléments remplissant une "fonction émotive" (la manifestation d'affectivité), et ils n'ont pas d'autres rôles. Aussi peut-on les supprimer sans changer la phrase. En restant dans le cadre étroit de la grammaire de phrase, on leur reconnaît seulement les fonctions émotive, phatique. En revanche, en les replaçant dans la continuité discursive, on leur découvre d'autres fonctions: argumentative, discursive et communicative.

J.-P. Davoine pose cette question : "Pourquoi enseigner les connecteurs de l'oral ? Parce qu'ils sont très importants pour la compréhension du discours" 85 , il cite plusieurs raisons qui expliquent leur importance dans le discours :

  • Ils facilitent le découpage du message dans sa continuité en permettant de repérer des propositions qui s'articulent ;
  • Ils favorisent ainsi le résumé interprétatif des propositions énoncées et facilitent le stockage des informations dans le processus de mémorisation réinterprétation ;
  • Ils permettent d'anticiper sur le discours, de prévoir la suite de créer une prévisibilité grâce à l'orientation argumentative qu'ils indiquent.

Ces régulateurs peuvent être des facteurs d'effacement dans le discours : pour les locuteurs natifs, l'orientation argumentative de ces connecteurs est si évidente qu'elle incite à effacer la suite du discours, soit parce que le destinataire n'aime pas toujours qu'on lui explique tout, soit que le locuteur n'éprouve pas le besoin de poursuivre son discours jusqu'au bout de façon explicite s’il pense que la suite est claire pour ‘interlocuteur. La motivation pour apprendre ces unités par l'apprenant tourne autour de deux points selon J.-P. Davoine 86 : d'un côté, une motivation instrumentale qui facilite la compréhension du discours oral avec ses effacements et ses implicites fréquents dans les discussions. De l'autre côté, une motivation intégrative qui concerne l'intégration des apprenants dans le milieu français. La maîtrise de ces petits mots, par l'apprenant de français, est aussi importante que la disparition de son accent étranger.

Quant à J. Fernandez-Vest, elle adopte le terme très général de "particule énonciative" pour désigner ce que D. Luzzati appelle "appuis de discours". J. Fernandez-Vest la définit ainsi : "La particule énonciative au sens strict –celle que nous classerons parmi les particules "nucléaire"- est brève (généralement monosyllabique) ; elle est subordonnée prosodiquement à un autre mot ; extérieure au contenu propositionnel de l'énoncé, elle résiste à toute spécification lexicale ; elle peut se présenter comme détachée du reste de l'énoncé sans renoncer à l'influencer (le moduler)" 87 .

L'auteur justifie cependant son choix terminologique de "particule énonciative" de préférence aux autres appellations (ponctuants, adverbes modaux/ de phrase, connecteurs, gambits, etc.) par son importance au niveau discursif et pour mettre en valeur sa légèreté sur le plan phonique et syntaxique. Ainsi, elle associe le mot "particule" (c'est-à-dire une "partie intime" selon le Robert) à l'adjectif "énonciatif" qui réfère au domaine de l'énonciation en linguistique. Ces mots souvent qualifiés de mots de "remplissage", "vide explétifs" sont exclus des textes écrits. Or, ils sont très fréquents dans le langage oral ; ils "appartiennent à l'essence même de la communication humaine" 88

En fonction de leur position, D. Luzzati propose de distinguer les phatiques (hein, bon, quoi, euh) comme sorte de ponctuation orale. Ils ont une fonction structurelle moins forte que les articulateurs (ben, alors, si, quand) et ils sont utilisés plus pour effectuer une communication qu’à transmettre un message 89 . J. Fernandez-Vest, quant à elle, estime que ces éléments n’ont, pour la plupart, pas de place fixe dans l’énoncé oral, et que leur sens, rarement stable, est fonction de l’environnement, du contexte et de la prosodie. Quant aux fonctions de ces ligateurs, nous rejoignons D. Delomier 90 dans son désaccord avec J. Fernandez-Vest qui lie la présence des particules énonciatives à la non planification de la conversation et à la scansion de la parole. A l’inverse, ces particules montrent une attitude affective du locuteur dans son discours. Ainsi, il est plus proche et plus consensuel de son interlocuteur. Ces « petits mots » représentent donc un phénomène d’oralité, employés souvent par le locuteur pour faire participer ses interlocuteurs à son discours et attirer leur attention.

Étudions le classement suivi par M.-A. Morel qui donne à ces "petits mots" quatre fonctions différentes 91 :

  • La régulation de la coénonciation, qui permet d’expliciter la position de l’énonciateur par rapport à celui auquel il s’adresse (ex : tu vois, en tout cas, hein) ou par rapport à lui-même (ex : ah bon, oh la la, quoi). Nous pouvons trouver une accumulation de ligateurs au début de l’énoncé (ex : oui oui non mais bon)
  • la modulation de la qualification du référent (ex : disons, enfin, je sais pas)
  • la restriction du champ référentiel (ex : pour, sur, question, niveau, genre, style, etc.)
  • la scansion du discours (ex : donc, alors, et puis, et, etc.)

Notes
84.

Davoine J. P. (1982): "Des exercices pour les connecteurs de l'oral", in Didactique des langues étrangères, actes du colloque tenu à l'université Lyon 2, mars 1981, éd. PUL, P. 109-130.

85.

Davoine J. P. (1982): idem, P. 112.

86.

Davoine J. P. (1982): idem, P. 115.

87.

Fernandez-Vest J. (1994): Les particules énonciatives, PUF, P. 1.

88.

Wierzbicka, cité dans Fernandez-Vest J. (1994): idem, P. 3.

89.

Luzzati D. (1982) : "Ben appui du discours", Le Français moderne, n° 50, P. 193-207.

90.

Delomier D. (1999) : « Hein particule désémantisée ou indice de consensualité ?» Faits de langue n°13, p.137-149.

91.

M.-A. Morel, L. Danon-Boileau (1998) : La grammaire de l’intonation, Bibliothèque de Faits de langues, éd. Ophrys.