2.4.8.2. Les régulateurs d'écoute

"Ce sont les émissions vocales ou verbales produites par l’allocutaire durant le tour du locuteur" 96 . Ces régulateurs indiquent l’accord sur un contenu et sont considérés comme un indice d’écoute, d’attention et d’engagement dans l’interaction. V. Traverso fait la différence entre "tours pleins" et "régulateurs", et distingue les régulateurs par leurs caractéristiques brèves, produites souvent en chevauchement et ne contribuant pas au développement de l’échange.

Ces phénomènes ont reçu diverses terminologies, selon les époques et les auteurs qui les ont analysés. Dans une majorité d'études (tendance américaine), on les regroupe sous le terme de "signaux back-channel", à la manière de Laforest. On les qualifie aussi parfois de "feed-back" (Fontaney, 1987). De son côté, Lorochebouvy (1984) les nomme tout simplement "signaux d'écoute" tandis qu'on les trouve également, dans une tradition de recherche plus européenne, sous le terme de "régulateurs d'écoute" (C. Kerbrat-Orecchioni, 1987, 1990; M.-M. De Gaulmyn 1987).

Si l'on se réfère à la définition du dictionnaire Larousse, l'activité de régulation consiste à "régler, à assurer un bon fonctionnement, un rythme régulier". J. Cosnier (1988) a bien décrit ce système lié à ces phénomènes de régulation dans le cadre du discours. Il parle d'abord de "maintenance" pour référer à l'activité du locuteur. Il définit celle-ci comme le processus par lequel les locuteurs vont tenter de gérer au mieux leur participation à l'interaction.

Ce processus renvoie à trois questions que le locuteur se pose en permanence au cours de l'échange, et sur lesquelles il va chercher à s'informer :

Dans la plupart des cas, ce sont ces fameux indices d'écoute (verbaux, vocaux et gestuels) produits par l'interlocuteur qui, entre autres, le renseignent. J. Cosnier qualifie cette activité du récepteur qui écoute le locuteur de "pilotage". Ainsi, les indices émis par le locuteur d'un côté et par l'allocutaire de l'autre côté participent de cette activité de régulation de discours. Plus précisément, celle-ci fonctionne comme un tout qui assure le "co-pilotage" de l'interaction.

Par rapport à la seule activité du récepteur, M.-M. De Gaulmyn parle, quant à elle, d'activité "contrôle". Ce terme indique davantage, selon l'auteur, "la vigilance du récepteur, sa participation active pour soutenir, ponctuer, voire même orienter l'énoncé" 97 .

Dans son étude consacrée aux particules énonciatives des discours (et plus spécifiquement les ponctuants), D. Vincent mentionne le type spécifique de "marqueur d'interaction". Selon l'auteur, celui-ci renvoie aux "mots ou expressions (qui) marquent le contact entre les interlocuteurs et existent en vertu de ce contact" 98 . Il définit les ponctuants comme:

‘"Des éléments de la langue parlée dont l'émission découle de la conjonction du lien que le locuteur entretient avec son propre discours et avec l'allocutaire. Ils interviennent au niveau du rythme des énoncés en accentuant le découpage de certains constituants" 99 . ’

L'auteur qualifie notamment les particules du type "hein", "tu vois", etc., de marqueurs d'interaction. Selon elle, ceux-ci peuvent devenir "ponctuants en suivant le cheminement de l'usure" 100 , et l'intonation permettrait de les distinguer (de ce point de vue, les ponctuants seraient liés au segment qui les précède, les marqueurs d'interaction ayant, quant à eux, une intonation distincte). Ces marqueurs entrent donc dans la catégorie des régulateurs évoqués. Vincent précise ainsi à leur sujet :

‘"(…) proches de la fonction phatique du langage, à cause de leur caractère désémantisé et ritualisé, (…) ne porte pas la charge référentielle qu'on leur accorderait normalement, mais (…) répondent à une fonction symbolique régulatrice des échanges" 101 .’

L'auteur fait allusion, en outre, à une notion fondamentale, celle "d'implication" :

"‘A l'oral, l'implication de l'allocutaire dans le discours du locuteur est fondamentale. Le dialogue, donc le droit à la réplique immédiate, définit l'existence même du langage parlé dans les interactions quotidiennes’" 102 .

La prise en compte de l'activité de l'allocutaire, à travers les régulateurs d'écoute notamment, permettrait d'appréhender et de mesurer sa part d'implication dans le discours. Dans ce cadre, tous les éléments constitutifs de l'oral tels que les hésitations, les reprises, les retours en arrière, etc. doivent être considérés.

Notes
96.

Traverso V. (1998) : La conversation familière, éd. PUL.

97.

Gaulmyn M.-M. de (1987): "Les régulateurs verbaux : le contrôle des récepteurs", in Cosnier J. et Kerbrat-Orecchioni C. (éds), Décrire la conversation, PUL, P. 203- 223

98.

Vincent D. (1993) : Les ponctuants de la langue et autres mots du discours, Québec, Nuit Blanche. P. 80.

99.

Vincent (1993): idem, P. 141.

100.

Vincent (1993): idem, P. 80.

101.

Vincent (1993): idem, P. 50.

102.

Vincent (1993): idem, P.43.