2.6.1.2. Définition

Issu de la problématique de l'acquisition des langues secondes au cours des années soixante, le courant européen de recherches sur les situations de contact s'est focalisé sur le terme de "communication exolingue". Dès la fin des années soixante-dix, des linguistes en France ont entrepris l'étude des processus d'acquisition chez des apprenants adultes, en général des migrants récemment arrivés en France. Ces études visent à décrire les particularités des parlers des migrants à tous les niveaux (syntaxique, phonologique, lexical, sémantique, et discursif). On s'intéresse également aux aspects interactionnels.

La notion de "communication exolingue" apparaît à la confluence des travaux d'ethnographie de la communication, des recherches acquisitionnelles et des recherches sur l'interculturel. R. Porquier, le promoteur de cette notion, définit la communication exolingue comme "celle qui s'établit par le langage par des moyens autres qu'une langue maternelle éventuellement commune aux participants" 119 . La communication exolingue est structurée pragmatiquement et formellement par le fait que les interlocuteurs ne peuvent ou ne veulent pas (le cas des enseignants) communiquer dans une langue maternelle commune. R. Porquier note qu'ils sont conscients de cette spécificité de la situation et y adaptent leur comportement et leurs conduites langagières. Selon lui, les cinq paramètres qui définissent la communication exolingue sont les suivants : les langues des interlocuteurs, le milieu linguistique de l'interaction, le cadre situationnel de l'interaction, le type d'interaction et le contenu de l'interaction.

À la suite de R. Porquier, J.-L. Alber et B. Py renforcent à plusieurs reprises la définition de la communication exolingue. Ce terme désigne très généralement "‘toute interaction verbale en face à face caractérisée par des divergences significatives entre les répertoires linguistiques respectifs des participants’" 120 . L'accent est donc mis sur la dissymétrie dans les compétences linguistiques des participants. En 1988, J. F. De Pietro entérine ce choix : "‘la communication exolingue y est définie comme un type particulier de communication dissymétrique dans lequel l'asymétrie découle de différences linguistiques’" 121 . Il ajoute que la communication exolingue ne concerne pas seulement la situation, que l'on pourrait considérer comme prototypique, où se trouve en face à face un locuteur natif et un locuteur non-natif dans une langue donnée, mais aussi les formes extrêmement variées que peuvent prendre les contacts linguistiques: par exemple le recours à une troisième langue, le passage d'une langue à l'autre dans les cas d'alternance codique ou de conversations bilingues.

En 1990, le concept de communication exolingue est précisément désigné au sens plus large par B. Py dans son article intitulé "Les stratégies d'acquisition en situation d'interaction", comme une interaction en face à face, entre un locuteur alloglotte et un locuteur natif, qui "‘se caractérise à la fois par une asymétrie importante dans la compétence linguistique des interlocuteurs (la langue utilisée est en principe langue première pour l'un et langue seconde pour l'autre), et par une thématisation récurrente de cette asymétrie – surtout apparente lors de résolution de difficultés (malentendus, incompréhension, etc.)’" 122 . B. Py précise pareillement que l'asymétrie linguistique est généralement prolongée par des asymétries dans les règles de l'interaction et les conventions culturelles à savoir dans la manière d'identifier et d'interpréter les indices de contextualisation.

Dans cette optique, nous pouvons résumer que la communication exolingue désigne toute communication mettant en présence un autochtone et un alloglotte et que la caractéristique de ce type de communication est l'asymétrie essentielle entre les participants : l'inégalité de maîtrise du code linguistique, la divergence socio-culturelle et la différence des rites d'interaction. C'est donc une communication asymétrique à risques tant sur le plan de l'intercompréhension que sur celui de l'accomplissement des buts de l'activité communicative.

La communication exolingue est plutôt étudiée sous l'angle linguistique. L'intérêt pour l'interaction reste subordonné à la problématique de l'acquisition. Dans ce courant, les aspects interactionnels ne sont guère objet d'intérêt dans les études portant sur la conversation exolingue et les caractéristiques sociales de la communication semblent effacées. Il n'y a guère que dans le domaine de l'analyse de l'incompréhension et des malentendus qu'on évoque les aspects culturels inhérents aux situations de contact. En effet, il semble évident que la négociation dans l'interaction exolingue ne porte pas seulement sur la forme ou le contenu des énoncés, mais également, comme dans toute interaction, sur les compétences, pouvoirs, rôles et places de chacun.

La réflexion sur la notion de situation exolingue, quant à elle, "a conduit tout d'abord à reconnaître que toutes les situations de communication se situent en réalité sur un axe reliant les deux pôles extrêmes exolingue et endolingue (i.e. d'où serait absente toute disparité dans les répertoires des participants)" 123 : "Il n'existe pas de conversation effectivement endolingue (…) certaines conversations se situent il est vrai très près du pôle endolingue… C'est quelquefois le cas des conversations entre "complices" amoureux ou vieux époux par exemple. Mais pour atteindre réellement le pôle endolingue il faut sortir des langues naturelles; la communication homme/machine est vraiment endolingue" 124 .

Ainsi, pour rendre possible le déroulement de l'échange et atteindre ses buts communicatifs, pour parvenir à l'intercompréhension, les partenaires doivent utiliser divers procédés conversationnels en faisant un effort assez considérable à savoir la mise en place de stratégies de communication diversifiées selon leur capacité et selon la situation d'interaction.

Notes
119.

Porquier L. (1984): "Communication exolingue et apprentissage des langues", in Acquisition d'une langue étrangère III, Encrages, Presses Universitaires de Vincennes, Neuchâtel, Centre de linguistique appliquée, P. 18-19.

120.

Alber J.-L., Py B. (1985): "Interlangue et conversation exolingue", in Cahiers du département des langues et des sciences du langage 1, Lausanne, Université de Lausanne, P.30-47.

121.

De Pietro J. F. (1988): "Vers une typologie des situations de contacts linguistiques", in Langage et société n° 43, P.71.

-De Pietro J. F. (1988): "Conversations exolingues, une approche linguistique des interactions interculturelles", in Cosnier, Gelas, Kerbrat-Orecchioni, Echanges sur la conversation, Paris, Editions du C.N.R.S. P. 251-267.

122.

Py B. (1990): "Les stratégies d'acquisition en situation d'interaction", Le Français dans le monde, numéro spécial, Recherches et applications, février-mars, Paris, P. 82.

123.

Charaudeau P., Maingueneau D. (Sous la direction de) (2002): Dictionnaire d'analyse du discours, Seuil, P. 250-251.

124.

Alber J.-L., Py B. (1986): "Vers un modèle exolingue de la communication interculturelle: interparole, coopération et conversation", ELA n°61, janvier-mars, P. 80.