2.6.2. La communication interculturelle

Selon H. Besse 134 , on peut considérer la communication interculturelle, soit comme une communication entre partenaires de langues/cultures différentes s'exprimant dans une langue tierce (par exemple un jordanien parle en anglais avec un francophone), soit comme une communication entre partenaires relevant de langues/cultures différentes et s'exprimant dans la langue de l'un d'entre eux (un jordanien parle en français avec un francophone). Mais, selon H. Besse, seul ce second type de communication relève pleinement de l'interculturel.

Compte tenu de la dimension culturelle de l'interaction, il est indispensable, pour réussir la communication (seulement dans le cadre de la communication exolingue, parce qu’en situation endolingue, c’est inconscient), d'observer des comportements programmés ou conditionnés par la culture, et d'essayer de les comprendre. La compétence culturelle révèle son importance dans la communication. Il est plus difficile de communiquer dans une langue si on ne la rattache pas à la culture. La culture pénètre dans la langue, elle est ancrée dans le mode de l'accueil, dans les routines, dans la religion, etc. L'apprentissage d'une langue ne peut pas négliger d'explorer les nuances, les significations et les connotations de la culture. C'est pourquoi il importe d'apprendre aux étudiants les différences qui séparent les deux cultures, règle importante également dans le cas qui nous intéresse de la formation des guides en français.

Quand on étudie le fonctionnement de la communication entre deux locuteurs appartenant à des communautés linguistico-culturelles différentes, il faut se rendre compte que les systèmes interactionnels varient sensiblement d'une culture à l'autre. En situation de communication interculturelle, ces variations culturelles peuvent entraîner l'incompréhension ou le malentendu. Étant donné que notre travail porte sur l'analyse du discours des guides et les échanges entre les guides jordaniens et les touristes francophones, on peut penser que l'écart de langue et de culture (maternelle) est important. Nous devons tenir compte de phénomènes complexes dans les relations interculturelles qui subissent l'influence de la langue et de la culture maternelle en cours d'échange.

Ainsi, le mot "interculturel" signifie, selon C. Kramsch, "acquisition d'informations relatives aux coutumes, aux institutions, à l'histoire d'une société qui n'est pas la société d'origine de l'apprenant. Celui-ci doit aussi savoir se comporter dans une communauté différente de la sienne" 135 . Dans la communication interculturelle, il apparaît que les règles des systèmes conversationnels ne sont pas universelles : elles varient sensiblement d'une société à l'autre, ce qui peut affecter tous les aspects, et se localiser à tous les niveaux du fonctionnement des interactions 136 .

Dans la didactique des langues, on se rend compte que la simple acquisition de systèmes linguistiques n'est pas toujours une garantie de compréhension. La composante culturelle est aussi un élément indissociable du processus communicatif. Cependant, nous constatons que la situation de communication interculturelle est trop spécifique pour pouvoir nous permettre d'en tirer des généralisations sur le fonctionnement habituel des cultures en présence. Lorsque le guide jordanien est en face à des interlocuteurs francophones originaires d'une autre culture, est-ce qu'il se contente d'être lui-même ou est-il affecté par des préjugés ou par les difficultés de l'échange lui-même ? À cette interrogation, C. Béal 137 propose trois sortes des risques de distorsion à ce niveau de communication :

Ethnocentrisme et exotisme

Il s'agit de deux attitudes opposés chez des locuteurs alloglottes en situation de communication exolingue : soit ils ont une tendance à l'ethnocentrisme et surtout dans le cas des groupes. Ils créent une "enclave" dans l'environnement de L2 et leurs réactions envers l'autre culture sont plus catégoriques et plus tendues qu'habituellement. Béal signale que la réaction la plus dangereuse est l'inverse, "la tentation de l'exotisme, car celui-ci constitue bien, comme le dit Todorov (1989: 356), "un éloge dans la méconnaissance"" 138 . Il s'agit ici des francophiles qui se constituent une image idéalisée des Français et de la France et qui renient leur culture d'origine, pour des raisons plus ou moins personnelles. Ceux-ci sont les plus mauvais informateurs et leurs réactions sont les plus atypiques dans les échanges interculturels.

Le miroir déformant

C'est la tendance de l'individu à se conformer à l'identité ou au stéréotype qui lui est renvoyé par l'autre. Le locuteur réinterprète cette image négative renvoyée par l'autre comme l'envers d'une qualité. Cette attitude ressemble à l'ethnocentrisme dans ce que le locuteur se focalise sur ses positions, mais cette fois-ci, cette attitude est déterminée par le regard de l'autre. En effet, elle est faussée, car ce même locuteur n'aurait peut être pas suivi cette attitude dans son environnement habituel.

Langue et rapport de pouvoir entre les groupes

La nature de la relation entre les locuteurs de L1 et les locuteurs de L2 et le degré de bonne volonté qui existe ou non de part et d'autre, influence les comportements langagiers dans l'échange interculturel et peut les faire dévier de ce qu'ils pourraient être habituellement. En effet, la langue peut être dans certaines situations une forme de rapport de pouvoir car l'échange antre les locuteurs de langues différentes est souvent inégal.

Ainsi, il serait nécessaire d'adopter une position neutre et objective au moment de l'analyse des phénomènes interculturels, afin de pouvoir décrire sans porter un jugement sur les comportements langagiers des interlocuteurs en présence. L'échange interculturel, tout en étant un lieu d'exploration extrêmement riche, doit toujours être traité avec beaucoup de précautions.

Notes
134.

Besse (1980): "Enseigner la compétence de communication?", Le français dans le monde, n°153, mai-juin, Paris, P.46.

135.

Kramsch C. (1995): P.60.

136.

Kerberat-Orecchioni C. (1994): Les interactions verbales, 3: variations culturelles et échanges rituels,

137.

Béal Christine (2000): "Les interactions verbales interculturelles : quel corpus? Quelle méthodologie?", in V. Traverso (sous la dir), Perspectives interculturelles sur l'interaction, éd. PUL, P. 22- 24.

138.

Béal C. (2000): idem, P. 23.