3.1.5. Transcription du corpus

L'étude des discours oraux conduit l'analyste à se poser une double question : comment rendre les matériaux oraux utilisables pour l'analyse ? Comment rendre compte des éléments vocaux : prosodie, débit, intensité, etc.? Le transcripteur tend à rendre sa transcription qu'il veut aussi fidèle que possible pour pouvoir, par la suite, faire comme si elle était une traduction exacte et suffisante du matériau initial. Il prend bien soin de noter certains éléments supra-segmentaux comme les pauses, de signaler le changement d'interlocuteurs et l'organisation des prises de parole. Pour ce qui est de notre corpus, nous avons choisi de transcrire le verbal car le niveau d'analyse qui nous intéresse, c'est l'analyse discursive et non supra-segmentale. Cela révèle un choix méthodologique de recherche qui porte uniquement sur l'analyse des éléments verbaux, comme c'est le cas dans les travaux de C. Kerbrat-Orecchioni, C. Blanche-Benveniste, etc.

Travaillant sur l'oral authentique, dans une perspective descriptive, le premier contact, nous a révélé toute la complexité de l'échange verbal. La parole nous est apparue comme un continuum sonore, non pas un fil mais un ruban de parole, occupé successivement et de manière synchronisée par les locuteurs, et ce avec une rapidité vertigineuse, au sens fort du mot. Nous avons voulu que la transcription en rende compte autant que possible. Le découpage du continuum sonore n'a pas été effectué sans difficultés. Cet espace de la parole nous est apparu, non seulement organisé linéairement, mais permettant aussi la simultanéité des locutions sous des formes diverses : les interventions en partie superposées, les anticipations sur les paroles de l'autre, les interruptions sont autant de production verbales parallèles.

Par ailleurs, bien que l'alternance soit la manière la plus économique de produire et de recevoir l'information, il ne nous semble pas évident que la parole simultanée, provoque, pour les interlocuteurs en présence, comme l'affirme C. Kerbrat-Orecchioni 143 , "un effet cacophonique" incompatible avec l'audibilité; ils ne l'évitent pas toujours, bien que pour un observateur-transcripteur cela constitue indéniablement un bruit Une partie des cas d'inaudibilité notés dans le corpus ont pour cause des situations d'interlocution simultanées. Le type de transcription adopté ici (audition sans recours à des moyens informatiques sophistiqués) ne peut rendre compte de manière satisfaisante de ce phénomène. Pour cela, nous n'avons pas pu individualiser les prises de parole des touristes. Nous utilisons le "T" pour référer à tous les touristes sans prendre en compte le changement de prise de parole d'un touriste à l'autre, sauf lorsqu'il y a une prise de parole de plusieurs touristes, nous le signalons par un "Ts".

Le schéma général de notre discours de guides est, en effet un monologue adressé à un public de touristes avec la présence de moments de dialogues. Cependant, intuitivement, il nous est apparu que, dans notre corpus, il y a des moments d'interaction où, bien qu'il y ait une occupation alternée de l'espace verbal par les locuteurs, il n'y a pas pour autant rupture du fil de la parole du locuteur principal, ce sur quoi les participants semblent également et implicitement s'accorder. Nous nous référons ici à ce que C. Kerbrat-Orecchioni appelle "les régulateurs" qui nous semblent bien, pour certains d'entre eux, relever de ce qu'elle appelle une "activité somatique" de la réception, qui accompagne l'activité verbale de l'autre, sans être sentie comme interruption. D'autres semblent avoir une présence plus effective. Ces signaux se nichent le plus souvent dans les pauses respiratoires, dans celles qui démarquent les syntagmes ou marquent un effet expressif. Une étude fine des phénomènes prosodiques devrait permettre de déterminer les caractéristiques des segments phoniques, antérieurs à ces pauses qui ne produisent pas un effet de rupture de la continuité de discours, ainsi que de déterminer les caractéristiques prosodiques et fonctionnelles des différents régulateurs insérés dans ces pauses (nous n'avons pas l'intention de mener cette étude car ce n'est pas notre point principal d'intérêt). Ainsi, pourrait-on rendre objective cette impression de continuité qui nous semble d'ailleurs associée aux séquences expositives.

Nous n'accorderons pas le statut de tour de parole (interventions à valeur fonctionnelle), à ces productions verbales qui n'exigent et ne reçoivent pas de réponse de locuteur principal mais sont reçues par lui comme une confirmation de ce que son interlocuteur accepte son occupation de l'espace de la parole. Elles seront transcrites à l'intérieur du discours du locuteur principal entre dièses (ex : #oui#), sauf lorsque le locuteur les produit en tête d'une intervention qui, elle, a une valeur illocutoire. Cette catégorie intermédiaire de la reprise des paroles de l'autre avec ou sans reformulation, nous ne la considérons cependant pas comme des régulateurs. Il nous semble avoir parfois, dans notre corpus, une valeur de demande de confirmation de l'information reçue, ce qui peut donner lieu à une réponse ou pas. Les réactions sous forme non-verbales des guides confirment implicitement, à la fois le contenu informatif et la valeur illocutoire de ces manifestations.

Code de transcription

Le système de transcription orthographique a été adapté selon nos intérêts d'analyse. Nous nous inspirons cependant, du code de transcription proposé par l'équipe du GARS. Par ailleurs, le niveau d'analyse qui nous intéresse est une analyse du type discursif portant sur l'organisation des informations, les phénomènes d'enchaînement, les reprises, les reformulations, etc. Il s'agit donc, d'une analyse du type discursivo-syntaxique et non de type prosodique/phonétique. Ainsi, dans la transcription du corpus, une position intermédiaire nous est apparue la plus objective possible: nous reprenons la graphie officielle des mots dans la transcription sans noter les variations phonématiques automatiques 144 à l'intérieur des mots, même si certaines lettres disparaissent de la prononciation et c'est le cas de "parce que" où le "r" ne se prononce presque jamais et également le "e" dans "le". Par contre, quand un mot ou un article est véritablement absent dans la prononciation comme le "il" dans "il y a", ou encore le "ne" de négation, nous ne le notons pas. Ce choix nous permet d'avoir un corpus représentatif de ce qui se dit sans rentrer dans les détails de l'analyse phonétique. Le tableau suivant présente notre mode de transcription :

Tableau 12 : de code de transcription
Description Notation
Pause brève +
Pause Moyen ++
Pause longue +++
Accent d'insistance Lettres en majuscules
Chevauchement de parole Mots soulignés
Incertitude de la transcription (Mot transcrit + ? ?)
Passages inaudibles xxx (si possible un par syllabe)
Amorces de mots Le mot est écrit avec une barre oblique,
Ex : Jéra/
Deux propositions de mots Signalés entre deux parenthèses et séparés par une virgule
Ex : ça (a été, était)

Il inclut, comme on peut le constater, des paramètres relevant principalement des segments de systèmes linguistiques. Nous avons jugé nécessaire, au cours des analyses, de tenir compte de ces différents paramètres. Pour les éléments supra-segmentaux, seul l'accent d'insistance 145 a été mentionné. Malgré ces choix, il est difficile d'uniformiser totalement une transcription; faut-il transcrire [sepa] par "je ne sais pas, je n'sais pas, je sais pas" ?

Nous nous sommes contentée du repérage auditif et des approximations pour noter la pause. Le système de représentation des pauses est le suivant : pause simple (+), pause moyenne (++), pause longue (+++), leur durée a été évaluée intuitivement. Elles ont une incidence sur l'enchaînement des informations: une pause longue peut donner par exemple l'occasion à l'interlocuteur d'intervenir et cela joue un rôle sur les enchaînements discursifs.

Quant à l'accent d'insistance, son rôle discursif se manifeste dans l'explication de la répétition de certains mots. Un lien pourrait exister entre le fait de répéter, reformuler et attirer l'attention d'une part et entre l'accent d'insistance d'autre part.

Les chevauchements de parole, sont présentés soulignés. Ils peuvent influencer le discours et modifier la suite de la parole; par exemple, un énoncé bref de l'interlocuteur au milieu du discours du guide a une influence sur ce qu'il va dire dans la suite (une explication, une répétition, une justification, etc.). Les autres phénomènes jugés pertinents pour l'analyse de l'oral tels que : les passages dont la transcription n'est pas sûre, sont présentés entre parenthèses avec deux points d'interrogation. Les éléments tels que : heu, hein, hum; ont été restitués le plus fidèlement possible. Tous ces éléments sont notés car ils ont une fonction discursive; une hésitation est souvent accompagnée par "euh" qui marque un signal d'attente et de recherche de mots parfois si la pause est très longue il peut y avoir une répétition derrière. Le "hum" est l'équivalent de "oui" ou "d'accord"; il a donc une fonction discursivo-sémantique.

Les passages inaudibles sont notés par (xxx) selon le nombre des syllabes, les interruptions d'enregistrement sont signalés entre parenthèses ainsi que tout commentaire sur un élément situationnel pertinent par rapport au discours comme les déplacements du guide et des touristes et les différents aléas de la situation (arrivée d’un autre groupe à proximité etc.).

Notes
143.

C. Kerbrat-Orecchioni (1990): Les interactions verbales, tome 1, Armond Colin éd. P. 27.

144.

On notera, en revanche toute prononciation parfois arabisée de certains mots qui distingue par exemple un guide débutant d'un guide expérimenté

145.

Nous signalons la prononciation appuyée des mots uniquement dans les exemples qui vont être étudiés dans l'analyse, lorsqu'elle se combine avec d'autres phénomènes discursifs.