4.1.2.2. La qualité de la prononciation et la fluidité du langage

Nous portons ici un jugement de type qualitatif car il s'agit de deux aspects liés à une maîtrise de la langue française chez les guides jordaniens. Nous les considérons comme des qualités du bon guide lorsqu'il n'a pas de problèmes de prononciation et parle clairement sans hésitations ou ruptures.

Nos trois guides jordaniens sont reconnus comme des guides "experts" avec plusieurs années d'expériences, leur maîtrise de la langue est jugée de haut niveau. Ils parlent parfaitement bien le français sans difficulté de prononciation. Cependant, nous avons relevé chez Nazeeh une prononciation marquée par certains sons, par exemple il roule parfois le "r". Il a une prononciation arabisante de certains mots. Il transforme les articles définis français en article arabe pour quelques mots par exemple, le mot "l'orchestre" est prononcé "el orchestra": "el" est un article défini en langue arabe qui s'attache directement au mot et le mot "orchestra" est la version arabe du mot "orchestre". Dans cet exemple, l'apparition de l'article arabe combiné à une prononciation arabisante du mot "orchestre" est une fluctuation entre les deux langues. D'autres exemples confirment ce phénomène qui est à la limite entre le changement de code et la prononciation arabisante : les mots "el cardo" et "el documanus", mots d'origine latine, prononcés de la même façon en arabe et en français, apparaissent également précédés de l’article « el ». Il faut noter que ce phénomène reste très limité dans l’ensemble des discours.

Cependant, il ressort des problèmes ou des "scories" qui vont contre la fluidité du langage comme les hésitations ou les ruptures de la parole. Comme nous le savons, les hésitations et les reformulations sont des caractéristiques de toute production orale mais lorsqu'elles sont nombreuses cela devient un défaut dans le langage et est jugé négativement par l'interlocuteur. Dans les discours des guides, ces phénomènes se répètent souvent avec des degrés différents, il est vrai, d'un guide à un autre. Par exemple, Samir hésite peut-être le plus, mais, à notre avis cette hésitation se produit souvent au moment de la reformulation des énoncés comme dans cet exemple :

Ex Samir : "dans le théâtre de Jérash et surtout qu’il s’agit d’un théâtre bien préservé on voit et là on voit tous les tous les systèmes ou bien tous les heu tous les procédés dès que les romains avaient besoin dans le théâtre …"

Présentation de la transcription en grille :

On voit

Et là on voit tous les

Tous les systèmes

Ou bien tous les

Heu tous les procédés dès que les romains …

Nous avons remarqué qu'il y a très peu de pauses dans le discours de Samir car on sent qu'il veut éviter ces moments de rupture soit par une hésitation soit par une reformulation.

Nazeeh produit moins d'hésitations ou de reformulations dans l'ensemble de son discours mais répète beaucoup (nous allons évoquer ce phénomène de répétition dans le discours du guide sous l'organisation discursive de la même analyse de la visite de Jérash). On peut trouver des exemples d'hésitations qui accompagnent les répétitions :

Ex Nazeeh : G : la rivière la rivière se trouve entre deux collines #ah# c’est pas euh c’est pas la peine de venir ici chercher l’eau xxx c’était une fontaine pour euh ++ parce que

T : xxxx

G : ah pour boire attention c’est pas potable ici l’eau parce que les gens euh po/ po/ pouvaient mettre les pieds dans l’eau des choses co/ comme aujourd’hui chez nous les fontaines publiques

Quant à Moh'd, à part les petites hésitations qu'on rencontre dans son discours de temps en temps, on aperçoit plusieurs ruptures discursives dues dans l'ensemble au changement de sujets. Prenons cet exemple qui illustre à plusieurs reprises ces changements de sujets (pour remarquer le changement de sujets, on va à la ligne à chaque fois où il se produit) :

Ex Moh'd : et puis là on voit ++ la même décoration et il y a la feuille de l’acanthe euh (1) +++ parce que à Jérash en fait il y avait quatre portes principales (2)

et puis c’était une grande ville où il y avait environ quinze mille habitants à l’époque (3)

et on trouve à Jérash les rues principales romaines (4)

après la porte sud on va passer à la place ovale et puis après on va monter jusqu'au temple de Zeus où on voit les colonnes là bas parce que du temple de Zeus vous avez une vue panoramique de l’ensemble de site d’accord"

Dans cet exemple, le guide commence ses explications sur la porte sud de la ville de Jérash, puis il mentionne le nombre d'habitants et les rues principales de la ville pour annoncer par la suite l'itinéraire de la visite. On commence à voir dans cet exemple le rôle de "et puis" comme démarcation que nous verrons plus en détail dans l'organisation discursive.

Pour conclure cette analyse de phénomènes locutoires, dans l’image plus ou moins positive que renvoie un discours, les phénomènes locutoires jouent un rôle non négligeable, même si naturellement ils ne sont pas les seuls.

Pour faire un bilan des trois guides, nous constatons que le guide Nazeeh a une voix meilleure et plus audible que les autres, tandis que Moh'd se distingue par la clarté de sa prononciation. Il ne s'agit pas uniquement ici de la qualité de la voix mais aussi la façon de se comporter qui est liée à notre avis à la représentation qu'ils ont de leur métier. Celui qui est plus conférencier, va avoir une voix forte comme par exemple Nazeeh. Par contre, celui qui est plus dans l'interaction, comme le guide Moh'd, sera dans le dialogue et parlera ainsi plus lentement et moins fort. Quant à Samir, il parle plus rapidement peut être parce que la quantité d'informations qu'il veut donner aux touristes l'oblige à accélérer et à parler vite. De plus, Samir est quelqu'un de très dynamique, qui aime parler et bouger beaucoup. Ainsi, même en arabe, il a toujours tendance à parler vite. Ce sont ses traits de caractère personnel qui influencent son discours. Ainsi, on reconnaît à Samir sa capacité à parler vite et sans accent étranger. Il a des qualités de diction. On peut dire, que son niveau locutoire le distingue des autres guides.

Une parenthèse brève sur le traitement didactique (développé dans le chapitre 7 consacré aux implications didactiques de notre analyse) que nous pouvons envisager dans la formation de futurs guides jordaniens. A l'issue de cette analyse des aspects locutoires des discours des guides, cette étude peut aboutir à deux types de pratiques d'enseignement, d'une part, enseigner à certains étudiants des extraits du théâtre par exemple afin qu'ils améliorent leur maîtrise de leur appareil phonatoire en français et en arabe. D'autre part, construire des matériels pédagogiques composés de séquences vidéos illustrant différents moments des visites guidées, du plus conversationnel au plus conférencier. Les étudiants vont travailler sur différentes activités d'écoute, de repérage et de reproduction.