4.1.3.2. Les défauts

Les ruptures de construction syntaxique

Au cours du discours, les guides opèrent à plusieurs reprises des ruptures de construction. Nous avons repéré plusieurs exemples de ruptures discursives chez les guides. Nous classons ces phénomènes en trois catégories :

1) une rupture suivie d'une reformulation :

Ex 1 Moh'd : " c’est le soir à partir de huit heures le soir et on voit que ce colonne là regardez devant chaque colonne il y a une lampe".

Nous avons ici une construction qui commence par un verbe "on voit que" suivi par "ce colonne là" puis une reprise de la structure "devant chaque colonne …". Donc, le premier énoncé est interrompu et le deuxième vient le remplacer. Cet exemple illustre un comportement que l'on trouve souvent aussi fréquemment chez un natif dans la construction de son discours : commencer par quelque chose et puis le modifier.

2) une rupture suivie d'une compensation icono-gestuelle :

Ex 2 Moh'd : "et puis là regardez on voit ça ça c’est resté de l’époque regardez comment ils ont taillé les pierres de cette | comme ça et puis en bas c’est comme ça et puis là on voit il y avait en fait une coopération jordano française (…)".

Présentation en grille :

Et puis là regardez

On voit ça

Ça c'est resté de l'époque

Regardez comment ils ont taillé les pierres de cette |

Comme ça

Et puis en bas c'est comme ça

La guide interrompt son discours après l'énoncé "les pierres de cette", puis il relie l'élément verbal au geste qui accompagne le "comme ça". C’est en quelque sorte une construction plurisémiotique : car l'énoncé n'est pas achevé par un élément verbal mais par des gestes. Ainsi, cette catégorie se trouve en position intermédiaire entre une reformulation et une rupture définitive de l'énoncé comme dans l'exemple 3.

3) une rupture linguistique pure :

Ex 3 Moh'd : "avec le nouveau roi oui euh je pense que euh ++ regardez maintenant s'il veut plaît à droite on voit ce qu'on appelle le documanus "

Dans cet exemple, la rupture syntaxique est suivie d’un changement de sujet. Nous avons ici deux signaux qui annoncent la rupture : le "euh" et la pause. Ce comportement du guide manifesté par cette rupture correspond à une volonté et en même temps une incapacité à terminer son énoncé et il abandonne complètement le sujet.

Autre exemple de cette rupture linguistique pure accompagnée d’un changement d'énoncé :

Ex Moh'd : "et puis on voit aussi derrière ce decumanus il y avait des habitations il y avait des constructions romaines mais jusqu'à maintenant on a pas tout fouillé il y a encore des choses à découvrir et puis on a commencé| donc le site ça était découvert en mille huit cent six mais il y a jusqu'à aujourd'hui il y a beaucoup de choses donc à faire il y a beaucoup on voit donc par exemple"

Ici, le guide commence un énoncé "et puis on a commencé" mais il abandonne l'idée et amorce un autre énoncé introduit par "donc". Cette rupture est marquée par le changement de sujet : la date de découverte du site.

Ex Moh'd : "vous voyez il y a plusieurs arcs ça représente/ là bas derrière c’est l’hippodrome de Jérash"

Là, on a plutôt une rupture syntaxique après "ça représente", annulé et repris par "c’est".

Les erreurs

Les erreurs morphologiques que nous avons relevées chez les trois guides concernent spécifiquement le "genre" des substantifs (masculin ou féminin). Ce problème du genre est difficile à maîtriser. Même les apprenants qui sont dans un stade avancé de leur apprentissage de la langue éprouvent des difficultés à le traiter, dans la mesure où, dans la majorité des cas, aucune règle ne permet de prévoir le genre des mots : "la lune" et "le soleil", deviennent "le lune" et "la soleil" en arabe et aussi en allemand. Quant au problème du "nombre" des substantifs qu'on peut trouver dans le corpus, nous le classons parmi les problèmes de locution. En fait, c'est à cause de la rapidité du discours qui fait qu'il n'y a pas d'ajustement. Il s'agit aussi des problèmes dans l'emploi des auxiliaires du passé composé et des accords des verbes. Voici quelques exemples qui montrent ces erreurs morphologiques et syntaxiques chez les trois guides :

Ex : Moh'd : - "Une croix qui est faite d'une style d'un croix"

Ex Nazeeh: - "ça remonte au premier guerre mondial"

Ex : Samir :

On ne peut pas considérer l'emploi du présentatif "c'est" dans cet exemple du guide Nazeeh : "c'est des romains" comme une erreur. Cette tournure a tendance, dans les discours en général, à perdre sa caractéristique verbale pour devenir tout simplement une locution ou une forme neutre. Cette forme est utilisée souvent par les natifs. Parfois, "c'est" pourrait être utilisé pour introduire une reprise des éléments détachés, ex: Samir : "le rempart de la ville (…) c'était uniquement pour délimiter les frontières de la ville (…) c'était pas défensif".

D'après ces exemples d'erreurs retenues chez les trois guides, nous constatons tout d'abord qu'elles ne sont pas très fréquentes dans les discours et que leur présence est justifiée du fait que les guides parlent le français en tant que langue étrangère. Il s'agit de fautes de morphosyntaxe qui ne gênent pas la compréhension des énoncés, ainsi elles ne sont pas comme des obstacles dans la construction de leur discours. Il est vrai que les fautes de langues sont jugées négativement dans le discours du locuteur non natif, mais dans le cas de nos guides, les fautes ne sont ni répétitives ni intentionnelles mais plutôt occasionnelles. Leur production est liée à la rapidité de la parole. De plus, la préoccupation principale du guide est accordée au contenu des informations données plutôt que la structure de la langue.

"C'est" / "là"

Nous avons remarqué une récurrence forte de l'emploi du présentatif "c'est" qui est en usage syntaxique indispensable dans le discours du guide. Nous en avons identifié deux types dans le discours des guides : d'une part comme déictique pour se référer aux monuments et aux objets dans la visite. D'autre part, un usage anaphorique, le guide utilise "c'est" lorsqu'il opère le repérage de l'information à fournir à partir du discours antérieur et effectue donc des repérages de type anaphorique.

- Moh'd (L161, G73) : "ça c’est la vue la meilleure vue sur Jérash depuis devant"

"Ça" est un démonstratif déictique dans cet énoncé. Par contre, dans d'autres exemples, il peut avoir d'autres fonctions. Sur le plan morphologique est un pronom démonstratif. L'organisation du discours comporte un nombre non négligeable d'éléments déictiques dont le référent ne peut être déterminé que par la situation de communication. Syntaxiquement, nous avons trouvé ces tournures fréquentes pour décrire les objets ou les lieux dont on parle :

Éléments déictiques + c'est + objet visité

Ex : "là c'est", "ça c'est", etc.

"Là" est utilisé comme un élément anaphorique et un adverbe de lieu en même temps. Cependant, on peut lui attribuer un rôle d'appui du discours lorsqu'il est utilisé en tête de l'énoncé comme dans cet exemple de Moh'd : "et là on va chanter une autre chanson". Dans cet énoncé le "là" est utilisé comme le mot "alors", un introducteur du discours.

L'un des savoirs faire sociaux des guides est de se rendre compte s'il est dans un discours familier ou dans un discours soutenu et de s'adapter en fonction de son public. Autrement dit, cette partie constitue un pont entre la partie linguistique et la partie interactionnelle du fait qu'on retrouve également ce problème de degré de familiarité du discours du guide au niveau interactionnel. D'après notre étude, les différentes composantes linguistiques qu'utilisent ces trois guides jordaniens, dépendant du niveau de français, sont très bien maîtrisées.