4.1.4.3. Les particules énonciatives

Les particules énonciatives peuvent avoir plusieurs significations ou fonctions selon leur usage et leur positionnement dans le discours. Elles peuvent être soit générales, utilisées par tout le monde, soit idiosyncrasiques, propres à chaque locuteur. Par exemple, la particule "bon" marque la clôture dans le discours "bon vous avez vu comment ça fonctionne" (Moh'd), à l'inverse de "alors" qui marque l'ouverture lorsqu'il se trouve en tête de l'énoncé. Pour cette raison, on peut les considérer comme des particules de ponctuation du discours. On peut attribuer une autre fonction aux particules qui est celle d'enchaînement comme dans certains usages de la particule "puis".

On distingue tout d'abord les formes communes qui se répètent chez les trois guides telles que : "on voit", "vous voyez", "bon", "donc". Nous observons une récurrence forte dans l'usage de la forme "on voit" / "vous voyez" chez les trois guides. Elle est utilisée pour désigner un objet ou un monument, donc le verbe "voir" est ici sémantisé. Tandis que dans un autre usage, nous l'interprétons comme une particule énonciative qui n'a pas de sens réellement. Dans ce cas le verbe '"voir" est désémantisé. Parfois, il peut jouer le rôle de présentatif qui peut signifier "il y a", ou "nous avons / on a ".

Chez Moh'd

Nous avons repéré une récurrence de l'usage de certains appuis de discours tels que: "et puis" (90 occurrences de "puis" dont 77 occurrences combinées avec la conjonction de coordination "et puis"), et "donc" (69 occurrences). Il utilise fréquemment "et puis" dans tout son discours, pour accompagner principalement une narration, mais également dans la description pour signaler une succession dans les informations. Dans l'exemple suivant, le guide décrit la fontaine de l'agora en utilisant 5 fois "et puis" :

-355G: "non c'est pas petite et puis on voit au milieu là on voit dans l'agora il y a la fontaine d'eau qui est comme une croix + qui est faite d'une style d'un croix + et puis au milieu de cette fontaine il y avait de l'eau bien sûr + de l'eau qui sortait et puis pour faire décoration + les colonnes ils sont très très bien taillées et puis l'agora c'était surtout pour vendre la viande et les poulets +++ et puis là on va vous montrer une chose"

À chaque fois le guide veut introduire une nouvelle information, il utilise souvent "et puis" qui facilite la transition et la combinaison des informations accumulées comme le montre cet exemple :

-7G : "là nous sommes devant l’entrée principale du site de Jérash et puis bien sûr ça c’est s’appelle cette porte la porte de Philadelphia ou la porte sud pourquoi on appelle ça la porte de Philadelphia parce que il y a la ville de Amman autre fois elle s’appelait Philadelphia et puis là cette porte elle est orientée vers le sud c'est à dire vers la ville de Philadelphie autrefois à l’époque romaine et puis cette ville donc Philadélphie et Gerasa elles faisaient une partie de de la fédération qu’on appelle la fédération de la décapole"

Un autre usage de "et puis" pour marquer cette fois-ci un changement radical du sujet, comme le montre l'exemple suivant dans lequel le guide passe des pierres taillées à la coopération jordano-française en l'introduisant par "et puis" :

- "et puis là regardez on voit ça ça c’est resté de l’époque regardez comment ils ont taillé les pierres de cette | comme ça et puis en bas c’est comme ça et puis là on voit il y avait en fait une coopération jordano française (…)".

- "bien sûr la place ovale on voit au milieu donc c’était en c'était au départ le forum c’était un centre de commerce et puis là au milieu on a mis la flamme vous voyez la flamme"

"Donc" est utilisé fréquemment par Moh'd comme une concession dans le discours, ou bien comme un marqueur de conclusion ou un marqueur indiquant la reprise d'une information déjà évoquée et amorcée dans le discours. Par exemple : "là pour le théâtre on voit bien comment ça ça fonctionne donc dans le théâtre l'acoustique". Un autre usage de "donc" comme une conséquence : "quand les gens parlent donc l'acoustique est encore mieux". La plupart des "donc" employé dans le discours de Moh'd joue le rôle d'un simple appui de discours sans une fonction précise :

-"18G : donc pourquoi cette flamme parce que ici à Jérash il y a un festival chaque année c’est nouveau ça depuis l’année mille neuf cent quatre vingt jusqu’à maintenant c’est un projet qui est lancé par la la reine Nour qui est la femme du roi Hussein et qui a donc proposé de faire un festival de musique du folklore à Jérash tous les ans et donc là maintenant on voit la flamme parce que quand il y a le festival au mois de juillet on allume cette flamme qui veut dire c’est le début de festival et puis là on voit donc là c’est donc ça c’est un colonne qu'on a on a ajouté

Nous indiquons également les différentes fonctions d'un certain nombre de phénomènes et en particulier celle des appuis du discours qui peuvent avoir, d'un côté simplement un rôle d'appui du discours ; de l'autre côté, ils peuvent jouer un rôle qui est au contraire plus sémantisé. Ce sémantisme pourrait être renforcé, comme nous l'avons déjà mentionné, par la dimension gestuelle ou de l'icono-gestuel.

Le guide combine ces appuis avec d'autres mots comme "là", ou "ça" : "là on voit", "et ça on voit", "et puis là on voit", "et puis bien sûr ça c'est …", "et donc là", "c'est comme ça puis après". L'exemple suivant présente une accumulation de ces petits mots au début de l'énoncé :

-"et puis là on voit donc là c'est donc ça c'est un colonne qu'on a on a ajouté" (L87, G18).

Chez Samir

Quant à Samir, il utilise fréquemment la particule "alors" : 173 occurrences. On peut utiliser "alors" comme un mot grammatical qui porte la signification de cause/conséquence, par exemple :"il est venu alors je suis parti". Cet usage n'est pas du tout celui qui est utilisé dans le discours du guide Samir. Il est intéressant de faire remarquer que "alors" est aussi un marqueur de structuration, c'est ce que Roulet appelle MSD (Marqueurs de structuration des discours), jouant le rôle d'articulateur. En fait, il introduit une transaction un peu particulière, fondée sur un acte liminaire de consigne, et est associé dans ce rôle à maintenant. D'après Ali Bouacha 159 , "c'est un méta-terme qui se surajoutant à la déixis classique du je-tu-maintenant, et donne au discours "pédagogique" la forme d'un discours en train de se dire". Lorsque ce terme se trouve en début de phrase, on le voit jouant le rôle d'attaque de discours" 160 .

Il serait intéressant d'analyser d'une manière approfondie chaque sens de "alors" car on se rend compte qu'il possède plusieurs sens ou bien qu'il joue plusieurs rôles, en fonction de la situation de communication. Dans cette situation particulière, on remarque que "alors" est le terme préféré du guide. R. Bouchard le désigne par "l'habitus langagier" ou encore par "idiosyncrasique" 161 .

Ainsi, la plupart des "alors" utilisés à l'oral sont considérés comme une ponctuation discursive liée à l'interaction. On repère plusieurs fonctions de "alors" dans le discours de Samir : soit comme un simple appui du discours, soit chaque fois qu’il reprend son discours après une interruption, soit pour marquer un changement de contenu de son discours.

-"à côté de la ville de kérak ils ont marqué maïoumas alors maïoumas c’est toujours la même fête qui était fêté à l’époque romaine mais c’est bizarre de de le voir alors sur une carte de l’époque byzantine alors une carte chrétienne et que là si on le mentionne ça veut dire que qu’on le pratiquait toujours alors vous parlez d’une fête qui était là où les gens descendaient nus dans la piscine"

-"alors alors la proscaenium ici on parle de aussi des gradins que vous voyez alors le siège c’est en partie c’est excavé en bois là où on plie les jambes alors c’est parce que quand on se met par là et quand on se parle alors avec cette partie excavée comme ça"

Nous retrouvons également d'autres formules ou "tournures impersonnelles" chez Samir considérées comme des appuis du discours comme "il faut dire". Le guide l'utilise, en effet, pour insister sur l'information qu'il va donner aux touristes par la suite :

(L356) : "mais il faut dire que les chrétiens n’ont pas commencé tout de suite par construire les églises" ;

(L380) : "mais (si, ici) les églises alors il faut dire là les églises sont orientées vers l’est"

Chez Nazeeh

Par contre, Nazeeh n'a pas de "petit mot" qu'il utilise fréquemment comme appui dans son discours, à l'inverse de Moh'd qui utilise "et puis" et Samir "alors".

Il nous semble que les guides, conformément à leurs habitudes et à leurs préférences, pour faciliter leur communication avec les touristes, ont tendance à employer les mêmes mots qui reviennent souvent dans leur discours. L’idiosyncrasie réside dans la fréquence d’usage de certaines particules plutôt que d’autres chez chacun. L’usage de ces particules énonciatives montre un savoir faire discursif que les guides professionnels maîtrisent dans leur discours, alors qu'on ne les leur a jamais enseignées. Notre préoccupation didactique sera de savoir dynamiser l'usage des particules dans la formation des guides.

Notes
159.

Cité par Bouchard (1982) : in L'étude des échanges verbaux en classe de mathématiques, Séminaire de didactique et pédagogie des mathématiques. Voir la note suivante.

160.

Bouchard R. (1982) : "L'étude des échanges verbaux en classe de mathématiques", Séminaire de didactique et pédagogie des mathématiques, N° 33, Centre National de la recherche scientifique, Université scientifique et médicale de Grenoble, INPG, P. 37.

161.

Bouchard R. (2000) : "M'enfin !!! Des "petits mots" pour les "petites" émotions ? in Les émotions dans les interactions, sous la dir. de Plantin Ch., Doury M., Traverso V., éd. PUL, P.231.