4.1.6.3. D'autres phénomènes situationnels

Nous traitons également dans cette partie quelques éléments situationnels qui interviennent dans l'organisation du discours du guide. Parmi lesquels, nous avons choisi d'étudier un autre usage fréquent du déictique "là" et la tutelle dans le discours du guide.

Le déictique "là"

On a repéré un usage fréquent du déictique "là" essentiellement dans le discours de Samir. On a remarqué qu'il n'est pas utilisé par le guide uniquement comme un déictique spatial qui est sa fonction d'origine. Mais, également en tant que petit mot qui aide le guide à organiser son énoncé comme son usage par exemple d'"alors". On peut substituer dans la phrase suivante "et là" par la particule "alors" sans que cela modifie la signification de l'énoncé:

(Samir : L129, G8) :"Et là ce qui ce qui est rare dans les dans les colonnes"  "alors ce qui est rare dans les colonnes …"

L'usage de "là" est présenté sous deux formes dans le discours de Samir : d'un côté, accompagné par la coordination "et" ("et là"). Dans ce cas, son emploi marque une frontière syntaxique avec ce qui précède dans le discours en constituant en même temps un début de phrase. Ex : "et là on va passer par la ville de Kérak", "et là il y a un porto", "et là les niches que vous voyez"

De l'autre côté, "là" s'emploie seul et peut se trouver n'importe où dans la syntaxe de la phrase comme dans ces exemples :

"C'est une fête là où les gens descendaient à la piscine", "alors une carte chrétienne et que là si si on le mentionne ça veut dire qu'on le pratiquait toujours alors vous parlez d'une fête qui était là où les gens sont venus dans la piscine".

La tutelle dans le discours du guide

V. Bigot 163 propose, dans son article sur les comportements langagiers tutélaires des enseignants, deux types de tutelle : la tutelle pour communiquer et la tutelle pour apprendre. Ces deux types sont associés plus spécifiquement à l'enseignant, mais également pourraient être adoptés par tout locuteur expert engagé dans une interaction exolingue comme le cas du guide.

Pour faciliter l'intercompréhension dans une interaction exolingue, les interlocuteurs doivent utiliser des stratégies spécifiques de communication appelées les stratégies préventives (c'est ce que Albert et Py nomment "les stratégies de facilitation"). Nous les avons déjà étudiées dans le chapitre 2 mais nous rappelons cependant la définition: ce sont les procédures communicatives que les interlocuteurs, notamment le natif, mettent en place pour faciliter les échanges. Bigot cite les caractéristiques du "foreigner talk" pour signaler l'usage de ces mêmes stratégies (ralentissement du débit, simplifications lexicales, syntaxiques et pragmatiques du discours). Elles sont utilisées également pour éviter les risques de malentendus qui surgissent durant l'interaction.

Par ailleurs, ces comportements qui se manifestent dans une interaction à travers des tutelles pour "communiquer" sont le plus souvent mis en œuvre essentiellement par le natif, en tant que locuteur compétent qui a une responsabilité particulière vis-à-vis de son interlocuteur non natif. Donc, celui qui va manier cette tutelle pour communiquer, c'est celui qui est dominant du point de vue du langage comme c'est le cas de l'enseignant. Or, dans la situation exolingue typique du guide, il est plutôt dominé du point de vue du langage parce qu'il parle dans la langue de l'autre. Donc, celui qui peut jouer le rôle du tutelle, c'est plutôt le touriste qui a dans notre cas une autorité linguistique. Dans notre corpus, nous n'avons pas relevé d'exemples de collaboration scientifique où les touristes peuvent corriger le guide ou lui faire apprendre des éléments grammaticaux ou lexicaux. Par conséquent, nous excluons les "tutelles pour communiquer" de notre étude vue leur rôle inadéquat à la situation des guides.

À la différence de l'enseignant, le guide n'utilise pas les tutelles pour "apprendre". Son but n'est pas d'enseigner ou de faire apprendre. Pour cela, nous ne trouvons pas dans le discours du guide des éléments du type "vous avez appris hier". Par contre, la tutelle utilisée par le guide en tant qu'expert est la tutelle pour "informer" et non tout à fait pour "apprendre". Autrement dit, le contexte dans lequel se trouvent le guide et les touristes n'est pas un contexte d'apprentissage comme celui de la classe de langue par exemple. Le guide peut utiliser des énoncés du type : "vous avez vu hier", "nous allons visiter demain…", etc. Nous nous intéressons ainsi dans le discours du guide à la tutelle de l'expert sur la connaissance "pour informer" et non à la tutelle de l'expert sur la langue pour "communiquer".

Ainsi, nous adaptons les tutelles proposées par Bigot à notre contexte de visites guidées en proposant une autre tutelle propre au guide : la tutelle pour "informer". Celle-ci ressemble un peu dans sa forme à la tutelle pour "apprendre" mais en diffère par sa fonction discursive.

Un certain nombre de comportements langagières caractéristiques du discours du guide nous semblent bien relever d'une forme de tutelle de communication spécifique à ce genre de discours. Ces comportements de tutelles que le guide assume en tant qu'expert sont reliés à la gestion de discours (monologal/dialogal), à la structuration de l'interaction (gestion des thèmes) et à la construction de la relation guide-touristes. Les commentaires "cognitifs" 164 que le guide fait au cours de son discours sont essentiellement pour souligner ce qui est dit (par le guide) ou vu (par les touristes), ce qui devrait être dit ou vu, ce qui est su ou devrait être su, ce qui sera dit,etc.

Classement des tutelles

Nous classons les tutelles en deux catégories selon leur lieu d'apparition dans le discours :

les éléments de bornage

Ces tutelles remplissent la fonction de bornages dans le discours. Elles se divisent en deux, soit en début du discours, soit à la fin :

a) Pour le début :

Tout d'abord, le guide les utilise pour annoncer les visites à venir dans le programme ou le monument suivant à faire visiter dans le site.

Ex: Moh'd :

Ex : Samir:

Ex Nazeeh :

Ces mêmes tutelles peuvent être utilisées également au début d'une explication, autrement dit pour instaurer une discussion comme nous montre l'exemple suivant :

Ex corpus Jérash Mohammad: (on entend l’appel à la prière)

G: là on dit on entend qu’est-ce qu’il dit le mo'adhdhin vous connaissez

T : non qu’est-ce qu’il dit

G : il dit la ilaha illa Allah Mohammad rassoul Allah ça veut dire Allah est grand et Mohammad son prophète

T : ah donc c’est toujours la même xxx

G: non mais c’est la prière ils sont en train de faire la prière maintenant vous savez la prière c’est cinq fois par jour et c’est la prière de midi maintenant Allahouakbar ça veut dire Allah est grand et c’est maintenant où il commence à faire la prière

b) pour la fin :

Nous identifions deux types de clôture : clôture locale et clôture globale. Le guide peut utiliser ces commentaires de tutelle par exemple à la fin d'une explication, donc une fonction de clôture locale :

Ex Jérash Moh'd : "bon vous avez vu comment ça fonctionne".

Ici, le guide a procédé à une démonstration dans le théâtre en chantant avec le groupe afin de leur montrer le fonctionnement de l'acoustique. L'exemple suivant montre une clôture locale :

Ex Samir (L644) : " alors pour finir ici alors vous voyez vous avez vu aussi ailleurs alors le cardo comme ça un endroit"

Nous distinguons un autre type de clôture par sa fonction de clôture globale de l'ensemble de l'interaction ou de la séquence. Le guide peut conclure son monologue ou sa séquence explicative par une question comme dans l'exemple du corpus Jérash Samir :

T : c’est ça ce qu’on appelle hellénistique

G : oui oui et la civilisation grecque là bas c'est grecque et hellénistique c'est ici dans la région vous voyez alors l’autel de sacrifice au départ était mis au centre de l’orchestre et le théâtre hellénistique était mis à la périphérique de l’orchestre était et à l'époque romaine était mis tout en haut dans la pièce qui était tout en haut du théâtre entre les deux niches en face du bâtiment de scène voilà est-ce qu'il y a des questions là dessus

les éléments internes

Faire référence à des connaissances générales antérieures

Ex : Moh'd

T: non

G: une question à vingt dollars quinze dollars

Ex : Samir

T (tous) : oui oui

T : on apprend tous les jours xxx

Ex Nazeeh

Ex Samir

G : vous voyez pourquoi les poissons

T : xxxx

G : oui oui les initiales les initiales de Jésus

T : Jésus Christ xxxxx

G : voilà vous avez eu la traduction impeccable

Vérifier explicitement la compréhension par une question

Ex Samir

Ex Nazeeh :

Référer à un discours intérieur déjà dit par le guide

Ex Samir :

Ex Nazeeh :

Ts : des statues des statues pour de l’eau

A : non non non

G : il y a des statuts je vous le rappelle j’ai déjà dit les chars passaient à droite et les gens les piétons ça c’est ici

-"la la Jordanie c’est la terre sainte pour les juifs attention tous les monuments j'ai déjà parlé de ça entre Samir et Pétra tous les villages et toutes les villes étaient mentionnés dans les anciens testament

Le guide peut manifester sa maîtrise des compétences requises par son statut d'expert. Il commente les informations qu'il a déjà données aux touristes.

Ex Moh'd : "donc là comment on explique ça"

Ex Samir :

Le rôle de tutelle par rapport à l'écoute par l'intermédiaire des questions rhétoriques

Le guide utilise des questions rhétoriques pour diriger l'écoute des touristes comme nous l'avons déjà mentionné dans l'organisation discursive du discours.

Notes
163.

Bigot V. (2002): "Les comportements langagiers tutélaires des enseignants: réflexion sur la mise en discours des activités cognitives des apprenants" in Cicurel F., Véronique D. (coordonné par) Discours, action et appropriation des langues, Presse Sorbonne Nouvelle, P.67-86.

164.

Bigot utilise ce terme de "commentaires cognitifs" pour désigner la dimension de tutelle exercée par l'enseignant et qui jouent deux rôles : de gestion temporelle de l'interaction et d'accomplissement des tâches.