4.2.5.1. Organisation et autonomie discursive

Du point de vue de l'organisation de la conférence, nous pouvons diviser celle-ci en plusieurs moments bien distincts. Ainsi nous pouvons distinguer :

  • Le premier moment, celui du préambule qui précède la conférence : il s'agit de la présentation du conférencier lui-même. En fait, il y a deux présentations : la première est faite par l'organisateur de la conférence et a pour but de présenter le conférencier, son nom, sa spécialité, ses intérêts de recherches actuels. La deuxième présentation concerne la prise de parole du conférencier qui commence par des salutations, des remerciements à l'organisme qui l’accueille et au public qui est venu assister à la conférence.
  • Le deuxième moment est l’amorce de la conférence proprement dite, qui annonce le sujet et donne les détails abordés par le conférencier. Dès le début de la conférence, nous savons quels sont les points fondamentaux du discours entier.
  • Et enfin le dernier moment est la clôture de la conférence qui inclut l'annonce de la fin par le conférencier lui-même et est suivi immédiatement par les applaudissements du public.

En divisant la conférence en trois moments, nous pouvons constater que le deuxième moment pourrait être le discours scientifique, proprement dit, étant donné que le contenu est très riche en termes techniques spécialisés dans le domaine de l'archéologie.

Dans le cadre du discours oral hors situation (comme c'est le cas de la conférence), on trouve chez le conférencier une planification interne dans son discours lié au besoin de préparer son auditoire à quelque chose d'abstrait, par exemple "Plusieurs choses frappent tout de suite quand on observe l'organisation spatiale de cette ville", "c'est la deuxième caractéristique de Jérash". Ici, le conférencier prépare intellectuellement son auditoire à avoir plusieurs éléments qui vont suivre dans son discours. Grâce à cette planification du discours du conférencier, on peut prévoir la suite. Par contre, le discours du guide est "spontané" du fait de la situation et contient moins de planification car il explique au fur et à mesure du déplacement. Cela est lié au cadre situationnel précis de la visite guidée. Lorsqu'on est sur site, on a tendance à moins planifier le discours car l'élément visuel permet de faire de prévisions.

Un autre exemple qui illustre bien cette programmation faite par le conférencier de son discours, réside par exemple dans le fait de surveiller le temps qui lui reste dans la prise de parole : (L206) "je crois qu'il faut que j'aille un petit peu plus vite". Nous imaginons dans cette situation que le conférencier possède ses notes devant lui et ce n'est qu'en les regardant qu'il se rend compte qui lui reste des choses à dire, donc il va accélérer dans son discours.

Cette construction discursive chez le conférencier est différente de celle du guide. La situation de la conférence se déroule dans une salle et non sur le site, alors que le guide a tous les éléments visibles et accessibles l'un après l'autre. On trouve dans la planification discursive de la conférence et du discours du guide, des éléments d'annonce tels que : "on le verra après", "on va le voir", "je vais vous le montrer", "vous le voyez tout de suite" ; et des rappels tels que : "donc qu'on a vu tout à l'heure", "dont on a parlé tout à l'heure". Évidemment, ce qu’annonce un conférencier dans une salle n'est pas de l'ordre du comportemental ni du physique (aller regarder un monument), mais plutôt une explication qui annonce ce qui est à venir dans le discours. Ainsi, cet énoncé renvoie à des objets discursifs abstraits dans le cas de la conférence. Par contre, chez le guide, il s'agit d'une planification d’actes physiques.

Le genre de discours qu'on trouve aussi dans la conférence est le genre narratif, dans la mesure où il raconte l'histoire de la découverte archéologique du site. Dans ses explications, J. Seigne aborde deux histoires : d'une part, l'histoire de la cité de Jérash, également évoquée par le guide. D'autre part, l'histoire de la connaissance du site qui est aussi une histoire de la découverte, des hypothèses et des fouilles archéologiques. Dans ce deuxième type d'histoire, il s'agit d'une histoire ouverte qui nécessite des interprétations et de recherches. Elle estabordée essentiellement par le conférencier vu ses intérêts de recherches dans ce domaine d'archéologie.

Le discours expositif est également l'une des caractéristiques du discours du conférencier. Il est ainsi défini par S. Eurin Balmet :

‘"Le discours expositif pour la communication spécialisée qui vise à exposer des idées, formuler des hypothèses, présenter, décrire, faire des raisonnements logiques (…) c'est-à-dire faire savoir" 169 . ’

Ce faire savoir dans le discours scientifique nous mène à distinguer deux types de savoir. Le premier type est un savoir centré sur la connaissance qui se trouve dans les manuels scientifiques et qui sont plus du type didactique cette fois-ci que scientifique. Cependant, ce type de savoir est "neutralisé" dans la mesure où les connaissances qui existent sont objectives et ne sont plus rattachées à qui que ce soit. Par contre, le deuxième type de savoir est celui du discours scientifique "vivant" qu'on trouve dans les articles ou les conférences. Dans ce cas, un chercheur "je" ou un groupe de chercheurs "nous" qui s'opposent aux autres chercheurs "ils" du même domaine afin de donner leur propre point de vue sur les données scientifiques en question.

Par ailleurs, certaines normes régissent les premiers discours scientifiques qualifiés du "connus" dans lesquelles les connaissances sont partagées et leur imposent un caractère impersonnel. Une faible inscription de l'énonciation dans ce genre de discours se traduit par :

  • la récurrence des tournures passives ("ce monument a été en partie fouillé dans les années soixante dix par une équipe de l'université de Jordanie", "ce bâtiment étant transformé en station d'autobus", "c'est l'emplacement qui a été choisi pour l'établir"). En effet, dans une tournure passive, le thème est l'objet décrit et non l'agent. Dans ce premier exemple, on ne met pas l'accent sur celui qui a fouillé à Jérash, mais sur le monument fouillé.
  • des nominalisations ("le dégagement et l'étude … tendrait à prouver", "le captage des eaux nécessaire à l'alimentation humaine", "la mise en place d'un urbanisme", etc.). La nominalisation, par opposition à la structure verbale, permet d'éliminer l'agent. Ainsi, la nominalisation est le propre d'un discours d'"abstraction". Par exemple, "le captage" permet de ne pas se focaliser sur la personne qui l'a fait mais sur l'action elle-même.
  • des énoncés définitionnels du type "X est Y" ("le macellum qui est un marché", "un petit théâtre qui est un odéon bouleutérion", "ce grand axe est un axe ancien c'est le cardo", etc.)

Quant au deuxième type de discours scientifique "à connaître" qui remet partiellement en cause des connaissances et amène à l'idée d'interprétation, est qualifié par la présence du pronom de la première personne le "je". Ainsi, nous remarquons une forte présence du conférencier dans son discours. Étant donné que le sujet de la conférence traite un problème de datation et d'interprétation des réalités archéologiques, le conférencier s'inscrit dans son discours et propose des hypothèses allant parfois jusqu’à contredire les interprétations existantes. Comme nous le savons, le métier d'archéologue nécessite des interprétations qui peuvent être modifiées au fil du temps et suite à des fouilles archéologiques récentes. Il doit rester cependant prudent dans ce domaine d'interprétations. Beaucoup de contraintes du type politique et scientifique peuvent influencer et intervenir dans le travail d'un archéologue. Voyons quelques exemples illustrant cette présence forte du conférencier dans son discours avec un engagement de son dire :

  • (L268-269) " et à mon avis il y aurait pas eu euh de changement notable si il ne va se produire un événement extérieur juste après la visite de l'empereur Hadrien"
  • (L300-301) " je crois pas je crois que c'est un cas particulier et je pense que les fouilles montreront que dans les autres cités il s'est passé autre chose"
  • (L306-309) "si vous voulez pour conclure je pense que c'est ça la marque de Rome c'est quelque chose qu'on a imposé sur des villes qui n'étaient pas organisées de la même manière qui avaient leurs particularismes locaux"
  • (L314) " toutes ces villes ont toutes à un moment donné reçu un habillage qui à mon avis ne peut être que de l'époque romaine"

Notes
169.

Eurin Balmet S., Henao de Legge, M. (1992) : Pratiques du français scientifique, Hachette, AUPELF, P. 102