4.4.3. Le guide sur site

Nous avons choisi les explications données par Samir sur le macellum parce que de tous les guides enregistrés c'est lui qui fait la description la plus détaillée de ce monument. Voici l'extrait de son discours sur le macellum :

G : alors là on est où ici on est dans le macellum c'est pas massez l'homme c'est macellum [rire] comment on dit boucherie en italien

T : euh macelleria

G : oui c'est un peu la même chose hein macellum macelleria c'est

T : c'est vrai

G : oui c'est la boucherie ou bien le marché euh l'abattoir

T : ah la boucherie

G : alors ça c'est un endroit public utilisé pendant certains jours dans la semaine et pour les autres c'était le marché de la viande et de poissons le poisson c'était pêché de la rivière qui est à côté-là et la viande alors les bêtes qui avaient ici dans dans la ville à égorger à les vendre ici euh sur les boutiques que vous voyez tout autour et surtout y a un endroit là où on trouvait euh face d'une boucherie avec l'étal et vous allez voir le plancher sur lequel on coupait la viande c'est usé d'un côté et de l'autre vous voyez vous allez voir que c'est lisse c'est pas c'est pas usé parce que là à force d'utilisation couper la viande là-dessus on voit les traces de couteaux même là-dessus et c'est euh alors le mur voyez y a des trous dans le bloc que c'était plaqué peut être avec du marbre pour que pour faciliter le nettoyage parce que le sang et tout

T : bien sûr bien sûr

G : oui et même euh ce qui est quelque chose de rigolo qui était qui était euh dans cette espèce de macellum c'est que devant les magasins soit c'était pavé devant soit y avait un panneau c'était toujours en mosaïques là où c'était marqué achetez chez nous chez nous le moins cher chez nous le plus frais et tout

T : ah oui oui oui

G : ah oui mais sans blague mais sans blague alors c'est vrai que je dis en souriant mais ça existait hein

Ts : xxx [discussion et rire]

G : passez voir la la boucherie qui est par là bas

[Arrêt de l'enregistrement]

G : alors macellum alors les hommes étaient comme ça et les femmes massaient par derrière euh non non ça n'a rien à voir [beaucoup de rire] c'est pas les bains turcs ici euh alors la boucherie vous voyez les quatre bases par là y avait le plancher qui était mise comme ça par-dessus et là on coupait les viandes regardez là les traces de couteaux et tout même c'est usé mais regardez par derrière là où c'était euh mis euh là-dessus là alors c'est pas usé

T : non par derrière c'était en dessous

G : oui oui par derrière c'est en dessous et là l'endroit là où on coupait les viandes c'est euh c'est l'époque avec euh le plancher euh en bois là alors quand tu coupais

T : c'est les antiques

G : oui oui et là là vous avez des lions là parce que le romain y mangeait des lions là c'est là [rire] j'ai un couteau plus grand que celui là

Samir s'intéresse moins ici à une description architecturale du monument et au détail de toutes les parties. Il essaie de montrer la particularité de ce monument par rapport au reste du site. Il s'agit, en effet de présenter le vécu et le quotidien des habitants de la ville de l'époque. Il essaie de mettre les touristes en situation réelle, en les faisant imaginer comment se déroulait la vente au marché et de leur montrer également les outils utilisés.

Contrairement aux deux autres discours, on voit apparaître un élément qui n'apparaît pas ailleurs, qui est un processus de "mise en scène" parce qu'on est sur le site même. La visite guidée est la seule situation où les gens sont sur le lieu, ce qui permet au guide de procéder à une mise en scène du lieu pour faire revivre aux touristes au mieux l'histoire du monument. Ça ne peut être le cas dans le Guide Bleu du fait de la distance induite par l'écrit aussi bien par rapport au lieu réel que par rapport à l'interlocuteur–lecteur. Ça ne l'est pas non plus chez le conférencier qui parle hors du site et qui est conduit par son statut à un discours plus abstrait.

Samir commence son discours devant le macellum avec un jeu de mot "on est dans le macellum c'est pas massez l'homme", ce qui provoque des rires de la part des touristes. Il les implique ensuite dans le discours en posant une question : "comment on dit boucherie en italien". Il enchaîne sur des explications faisant partie du vécu des habitants de l'époque comme le fait de mentionner les habitudes de marquer sur des panneaux "achetez chez nous chez nous le moins cher chez nous le plus frais". Il poursuit sa plaisanterie sur "massez l'homme", qui provoque encore une fois des rires "alors macellum alors les hommes étaient comme ça et les femmes massaient par derrière … c'est pas les bains turcs ici".

Ces plaisanteries ne peuvent exister que dans une visite sur site et non dans une conférence ou dans un Guide Bleu. Cela est expliqué par la distinction entre l'oral et l'écrit qui impose une manière différente dans l'exposition de l'information. Ainsi, dans le Guide Bleu, il est certain qu'on ne peut pas faire ce genre de plaisanterie car elle exige que l'interlocuteur soit présent en face du locuteur.

Quant aux différences entre les deux discours oraux, celui du conférencier et du guide sur site, elles ne tiennent pas uniquement au fait d'être sur site ou non, mais également au statut du locuteur, de celui qui explique, guide contre conférencier. Un conférencier qui fait ce genre de visite par exemple à des gens spécialisés ne fera pas ces plaisanteries vu son statut scientifique. La différence du statut concerne également celui du public : un public spécialisé est différent d'un grand public non spécialisé.

Ainsi, l'aspect qui distingue le discours du guide des autres discours comparés ici est la présence des plaisanteries et des connivences qui rendent ainsi, le discours moins formel et plus agréable pour les touristes. Il est vrai que le caractère du guide lui-même joue un rôle dans le type du discours qu'il fait (moins formel et anecdotique) et dans la présence des plaisanteries, mais également la nature de la visite guidée sur site implique un choix différent dans le contenu et dans la manière d'exposer les informations.

Le guide est également conscient du fait que la visite touche à sa fin (le macellum est le dernier monument que le guide fait visiter aux touristes) et que les touristes doivent être fatigués et se concentrent moins sur les informations. Il essaie donc de rendre son discours plus agréable et moins difficile à suivre.

Pour conclure, outre les différences de type discursif et situationnel, apparaissent également des différences de type interactionnel entre le discours du guide et les deux autres discours. Nous remarquons que le premier est le plus interactionnel et le moins formel des trois discours. Il montre l'aspect humain du monument qui pourrait intéresser le touriste visitant le site : le plaisir de la couleur locale, du vécu des habitants de l'époque romaine.

J. Seigne, lui, reste très scientifique dans son discours en se focalisant sur un problématique de la datation du monument. Cela est bien sûr justifié par l'objectif principal de son discours et le public auquel il est destiné. L'aspect relationnel est ainsi moins présent dans son discours.

Quant au guide Bleu, il se distingue par son côté pratique et fonctionnel et son usage par le touriste qui se limite à accompagner la visite du site. Il est cependant vrai qu'il essaie de remplacer le guide humain dans la visite touristique (à donner les informations pratiques et essentielles), mais comme nous l'avons vu d'après cette comparaison, il est loin de l'être. En fait, il manque cet aspect humain que le guide sur site crée avec son groupe des touristes car cela est inhérent à l'écrit et le locuteur n'est pas en présence à l'écrit.