Sans vouloir entrer dans le débat théorique des linguistes sur le concept du FOS, nous aborderons quelques points concernant les questionnements traditionnels du domaine: les origines de cet enseignement, les différentes appellations, l’histoire de l’ESP (English for Specific Purposes) et du FOS. En effet, même si notre regard procède d’un point de vue essentiellement didactique, il nous semble important de nous situer aussi vis-à-vis des discours des linguistes. Le concept de «langue», déjà difficile à cerner, rend celui du FOS essentiel à définir.
Nous rencontrons dans le domaine du FOS une diversité de termes (français scientifique et technique, langue de spécialité, français fonctionnel, etc.) L’intérêt des langues de spécialité date des années 1920-1930, à l’époque où l’école de Prague a commencé à s’occuper du «style fonctionnel», typique de la science et de la technique. L’attitude initiale était plutôt conservatrice et tendait à présenter cette langue de spécialité comme inférieure et nettement séparée de la langue commune. Jusqu’il y a très peu de temps, les chercheurs se sont surtout attachés à définir les différences entre la langue générale et la langue de spécialité. Après la Deuxième Guerre Mondiale, l’attention s’est portée sur les caractéristiques morphologiques, lexicales, syntaxiques et stylistiques de la langue.
Ensuite, le passage d’une conception de la langue comme système indépendant du contexte à outil de communication très souple, susceptible d’être utilisé dans des situationstrès diversifiées, a favorisé le développement de l’étude des langues de spécialité dans le cadre plus ample des variétés situationnelles : en particulier, les analyses se sont orientées vers la relation du destinataire de la communication et le type de rapport communicatif et social existant avec lui, en mettant en évidence les variétés synchroniques sociales et situationnelles.
Plusieurs spécialistes 182 avancent un certain nombre de raisons expliquant l'essor des langues de spécialités vers la fin des années soixante, raisons qui peuvent être résumées ainsi : tout d'abord, le contexte économique, qui détermine le terrain dans lequel évolue l'enseignement des langues de spécialité. Les spécialistes ont directement lié les avancées faites dans l'enseignement des langues de spécialité au boum pétrolier des années 60/70, non seulement dans le domaine de l'anglais mais également dans celui du français. Les raisons politiques jouent également un rôle important dans l'évolution de l'enseignement des langues de spécialité. D. Lehmann a dit à ce propos : "‘l'enseignement des langues étrangères aux publics spécifiques est considéré comme une arme efficace dans l'arsenal de la diffusion du français’" 183 .
Les études britanniques des années 60 et 70 se sont attachées à démontrer le degré d’autonomie des langues de spécialité par rapport à la langue commune. Ces recherches ont visé non seulement le lexique, la syntaxe ou la morphologie mais aussi le discours en général. En effet, le domaine de la langue de spécialité n’est pas si homogène qu’on pourrait le croire. Naturellement, une distinction apparaît entre les différentes spécialités (chimie, droit, économie, etc.), même si cette différenciation fondée sur des critères lexicaux semble être assez simpliste. Le domaine disciplinaire ne détermine pas seulement le lexique mais influe souvent sur d’autres choix de caractère morphosyntaxique, textuel ou pragmatique ; ce qui traduit les spécificités sémantiques et fonctionnelles du discours de spécialité.
Cette spécificité de l’emploi n’implique pas nécessairement l’existence des règles exclusives mais impose une certaine prudence à l’égard des caractéristiques repérées à l’intérieur d’une langue de spécialité. À côté des caractéristiques communes, les langues de spécialités possèdent des particularités d’emploi qui les différencient les unes des autres. Il y a encore une distinction à faire à l’égard des langues de spécialité qui concerne le degré de spécialisation du discours : la simple présence du spécialiste ne suffit pas à garantir un emploi spécialisé du langage et cet emploi ne se limite pas à des échanges communicatifs entre collègues. Il existe, en effet, trois situations différentes où le spécialiste intervient sur un sujet à caractère professionnel. A un premier niveau, le spécialiste s’adresse à d’autres spécialistes pour discuter de questions relatives à leur propre contexte disciplinaire, exposer des projets de recherche, en présenter les résultats, expliquer le fonctionnement d’une machine : locuteur et destinataire partageant les mêmes connaissances, lexique et discours spécialisé ne présentent aucun type d’opacité. A un deuxième niveau, le spécialiste peut s’adresser à des non-spécialistes pour leur présenter des concepts relevant de son domaine disciplinaire ; il introduit alors un lexique de spécialité et organise un discours pour expliquer ces concepts. À un autre niveau, le spécialiste peut se trouver dans la situation de fournir des informations de discuter avec des «profanes» sur des sujets techniques : il devra, alors, simplifier son discours pour le rendre accessible à son interlocuteur. Ces trois situations déterminent trois emplois différents de la langue de spécialité ou plutôt trois niveaux différents de spécificité de l’emploi de la langue.
Comme nous pouvons le constater, il n’est pas facile de trancher à propos de la définition de la langue de spécialité : l’accent est parfois mis sur un type de discours, sur les caractéristiques d’un certain domaine, parfois sur le public destinataire de ce discours, sur les spécificités lexicales ou syntaxiques, sur l’intention de communication, etc. En même temps, il y a une tendance à s’interroger sur la pertinence de la distinction entre langue générale, commune, et langue de spécialité, qui voudrait ramener les particularités des langues de spécialité aux variétés situationnelles ; ce qui amènerait à définir toutes les langues de spécialité comme des manifestations diversifiées d’une seule langue.
Enfin, toute la question est de savoir, d’une part, si les «langues de spécialité» présentent des différences notables avec la langue générale, s’il existe des manifestations spécifiques de «la langue» qui soient clairement différenciables des manifestations quotidiennes ou «générales» ou bien s’il n’y a qu’une langue, qu’une activité discursive ; d’autre part, s’il y a des formes spécifiques d’organisation des savoirs techniques et scientifiques différentes de celles des savoirs «ordinaires» et des savoirs sociaux qui règlent les rapports au réel. Il s’agit là des enjeux scientifiques du domaine.
Afin de nous situer dans le contexte scientifique actuel sans pour autant prétendre refaire l’histoire du domaine, il nous semble nécessaire de fixer quelques points de repères en passant par l’anglais spécifique (ESP : English for Specific Purposes). En effet, toute réflexion sur l’enseignement des langues sur objectifs spécifiques, quelles qu’elles soient, ne peut faire l’économie des évolutions qui ont marqué l’histoire de l’anglais de spécialité, véritable point de repère pour tous les secteurs du champ.
Nous renvoyons pour plus de détails au numéro spécifique de Recherches et Applications dans le Français dans le monde «Publics spécifiques et communication spécialisée», 1990.
D. Lehmann (1993): “La communication spécialisée est un bouillon de cultures”, Le français dans le monde n° 260 oct, P. 42.