6.1.3.1. Les différentes appellations

Les différentes appellations concernant les dénominations du français sur objectifs spécifiques que nous évoquerons ci-après sont à la fois le reflet de l’évolution des méthodologies didactiques et de l’importance accordée aux éléments constitutifs de ce domaine : le type de discours spécialisé, le public, les objectifs et la pédagogie. D. Lehmann présente clairement ces différentes appellations dans son ouvrage Objectifs spécifiques en langue étrangère 185 .

  • Français scientifique et technique : cette expression, la plus ancienne du domaine dont nous nous occupons, renvoie autant, à la variété de langue et aux publics auxquels elle est enseignée sans mettre d’aucune façon l’accent sur la méthodologie.
  • Langue de spécialité : dénomination utilisée entre 1963 et 1973 à l’époque de la méthodologie structuro-globale audio-visuelle. A la suite de l’apparition du français fondamental, l’attention est portée sur les spécificités lexicales et sur une sélection syntaxique.
  • Français instrumental : appellation lancée en Amérique Latine au début des années soixante-dix, mettant l’accent sur la communication scientifique et technique (sciences dures et sciences humaines). Elle privilégie la lecture des textes de spécialité. Alvarez envisage l'enseignement du français instrumental comme une "langue étrangère" destinée à des "étudiants qui sans se spécialiser en français doivent avoir accès, en général dans leur pays, à des documents écrits de caractère informationnel" 186 . Ainsi, la notion d'enseignement du français instrumental apparaît-elle comme un cas d'enseignement du français fonctionnel. Donc le français fonctionnel englobe le français instrumental.
  • Français fonctionnel : cette formule lancée vers les années 70 par le Ministère des Affaires Étrangères français met en évidence la volonté de donner une nouvelle impulsion à la diffusion du français. Un enseignement destiné à des publics spécifiques comme les techniciens, les spécialités diverses, les hommes d'affaires, les diplomates et les futurs cadres. Cortès précise dans le rapport publié par l'AUPELF (association universitaire pour les enseignants de la langue française), en 1977 que "le français fonctionnel est envisagé dans un but utilitaire, voire réduit; but qu'on doit atteindre dans un délai déterminé (le plus rapidement possible) et avec peu d'efforts" 187 . Aspect pratique et efficacité caractérisent le français fonctionnel, "en ce sens, tout enseignement du français, s'il veut être efficace, c'est à dire répondre aux attentes et eux besoins du public et non pas aux voeux des enseignants, doit être fonctionnel" 188 . Les méthodologues, en la transformant en «enseignement fonctionnel du français» ont mis l’accent plutôt sur les spécificités des publics et de leurs besoins, sur une pédagogie adaptée plutôt que sur les problèmes de langue 189 . S. Eurin définit le français fonctionnel dans son livre Pratiques du français scientifique, et le réfère à trois significations : à un type de public comme pour le Ministère des Affaires Étrangères qui «emploie le mot pour désigner un public visé par une politique volontariste d’action de formation en relation avec l’étranger» 190 , ainsi qu’à l’apprentissage et au contenu linguistique.
  • Enseignement sur objectifs spécifiques : expression créée à partir de l’anglais E.S.P (English for special / specific purposes). Elle renvoie essentiellement aux objectifs à atteindre plus qu’aux moyens pour y parvenir.
  • Publics spécialisés : titre utilisé dans la revue Reflet 191 pour la rubrique concernant l’enseignement du français à des publics adultes de spécialités diverses, à différents niveaux de professionnalisation. Cette expression renvoie aux publics intéressés par des formations spécifiques sans tenir compte des méthodologies adaptées.
  • Formation linguistique professionnelle : formule proposée par M. Henao dans le dossier «Publics spécialisés» dans la revue Reflet (1989) mettant l’accent sur les objectifs de l’apprentissage. Il s’intéresse également aux critères spécifiques des publics spécialisés (motivation, comportement, niveau, etc.).

D'autres termes, véhiculant tous une certaine perception des langues de spécialité ont également fait leur apparition et nous trouvons des appellations telles que "Le français appliqué" et "l'enseignement du français à des publics spécifiques". Devant cette diversité terminologique, l'AUPELF propose en 1977 de parler "d'un enseignement du français en fonction d'objectifs spécifiques", terminologie reprenant en partie "English for Specific Purposes". Mais comme nous le remarquons, la longueur de l'appellation n'en facilite pas l'utilisation, pour cela elle est devenue par la suite "français sur objectifs spécifiques". Nous retenons cette appellation, l’une des premières dénominations utilisées, dans le cadre du contexte de ce travail.

La variété de ces formules, qui représentent de véritables jalons dans l’histoire de la didactique du français sur objectifs spécifiques, témoigne de la difficulté à circonscrire ce domaine d’une façon satisfaisante. Cependant, malgré la diversité des points de vue, des méthodologies auxquelles elles renvoient, des publics concernés ; derrière toutes ces formules nous percevons la présence d’une constante : les différents publics apprennent une langue pour en faire un usage déterminé dans un contexte déterminé, avec des objectifs concrets.

Nous résumons les différentes tendances des théoriciens concernant les langues de spécialité. Pour certains, il y a plusieurs sortes de langues : la langue générale et les langues spécialisées qui se caractérisent par une syntaxe un peu différente. Pour aborder n'importe quelle langue de spécialité, il faut donc avoir atteint un véritable niveau de langue générale. Pour d'autres, les langues de spécialité ne signifient pas une langue scientifique mais des langues utilisées dans des buts spécifiques. Donc, il y a plusieurs langues qui sont différentes selon les besoins et les objectifs. Il est aussi nécessaire de prendre en compte la variété des situations.

Cependant, il existe un nombre important des critères qui définissent l'enseignement des langues de spécialité et les distinguent des autres types d'enseignement de langue. Nous retenons ainsi certains de ces traits définitoires qui constituent l'originalité de l'enseignement des langues de spécialité et que nous avons jugé les plus pertinents : le public et la finalité de l’apprentissage.

Notes
185.

Cf. : - D. Lehmann (1989) : « Publics spécialisés : quelques éléments de lexique », Reflet, n° 31, P. 19- D. Lehmann (1993) : Objectifs spécifiques en langue étrangère. Hachette.

186.

G. Alvarez, M. Aupecle (1977) : «français instrumental et français fonctionnel», in Actes de la deuxième rencontre mondiale des départements d’études françaises, organisée par AUPELF. Strasbourg, 17-23 juillet, P. 19

187.

Cortès (1977) : « rapport introductif : français scientifique, français instrumental et français fonctionnel, essai de définition », AUPELF, Strasbourg.

188.

L. Porcher (1976) : « Monsieur Thibaud et le bec Bunsen » Etudes de Linguistique Appliquée, n° 23 juillet -sep, Paris, Didier, P. 16.

189.

Voir au sujet de la notion « enseignement fonctionnel du français » L. Porcher (1976) : « Monsieur Thibaud et le bec Bunsen » Etudes de Linguistique Appliquée, n° 23, P. 16.

190.

S. Eurin, M. Henao (1992 ) : Pratiques du français scientifique, éd. Hachette/AUPELF, Paris.

191.

M. Henao (1989) : « Publics spécialisés » Reflet n° 31 juin, P. 18-27.