6.2. Outils de l'analyse du discours utilisés dans l'élaboration didactique

‘"Il ne s'agit pas, en effet, dans des programmes de langues pour spécialistes ou professionnels d'apprendre à décrire, ce qui est le métier de linguiste. Il s'agit d'enseigner à comprendre, éventuellement à reformuler, produire, traduire, interagir, et donc à s'approprier différentes formes de "mises en verbes" qui correspondent aux genres discursifs attendus dans la culture, dans le domaine, dans le lieu où ils sont produits" 193 . ’

S. Moirand

Les caractéristiques qu'a fait ressortir l'analyse des discours des guides vont en partie être mises au service de cette formation. Nous visons en effet à faire acquérir aux guides plusieurs compétences nécessaires à la construction de discours adaptés à leur situation professionnelle : compétence discursive, compétence interactionnelle et interculturelle, au service desquelles seront traités un certain nombre d’outils linguistiques.

La parole du guide est une parole polyphonique par laquelle le guide joue plusieurs rôles, animateur, expert, accompagnateur. Cela aboutit à la combinaison de plusieurs types de discours : descriptif et historique sur le site, prescriptif dans le car, chaque fois inséré dans un discours relationnel perceptible tant à travers les moments de dialogues que par le biais du dialogisme des monologues. Les discours se caractérisent également par une forte inscription dans la situation de communication, aussi bien le discours du savoir qui concerne l’espace même sur lequel se déroule la visite, que le discours relationnel souvent suscité par un micro-événement situationnel.

À l’intérieur de ce modèle discursif général, chaque guide organise son discours en fonction de sa personnalité en pondérant différemment chacune de ces caractéristiques, se montrant plus ou moins interactif, insistant plus ou moins sur son rôle d’expert, etc. C’est dans cette pondération que réside la relation entre un modèle de discours et une réalisation chaque fois différente.

Notre démarche didactique consistera à faire prendre conscience aux apprenants de la réalité de ce modèle de discours, avec ses limites qualitatives et quantitatives (pour reprendre les notions de Grice), et la marge d’initiative dont dispose chaque locuteur par rapport à ce modèle. C’est dans cette perspective que pourront être utilisées des productions atypiques telles que celle du guide débutant Samer (cf. chapitre 4).

Il est à noter que tous les résultats de l'analyse du discours en sciences du langage ne sont pas exploités en didactique. Les phénomènes d'hésitation ou d'inachèvement, par exemple très fréquents dans tout discours oral spontané, et à ce titre largement étudiés, ne sont pas pertinents dans la formation didactique. On ne voit guère quel intérêt il y aurait à entraîner des apprenants à produire des hésitations ou des énoncés inachevés. Toutes les réalités de discours ne constituent pas des compétences à acquérir et ne deviennent donc pas systématiquement des objets d'enseignement/apprentissage. Contrairement à l’analyse du discours, la didactique, dans sa partie formation à l’expression (orale ou écrite), limite son intervention aux formes de discours qu’elle évalue positivement et dont elle considère que la maîtrise présente un intérêt pour les apprenants dans leur communication avec les autres. Les hésitations, les ruptures syntaxiques, par exemple, n’ont pas de valeur communicative alors qu’on peut reconnaître aux reformulations une valeur d’explicitation, de dédensification du discours favorable à une meilleure compréhension du discours par l’interlocuteur et, à ce titre, s’y intéresser en termes de formation linguistique. Cette question de la prise en compte ou non de certains éléments langagiers en classe de langue trace la limite entre le champ de la didactique et celui de l’analyse du discours.

Il reste à souligner que, au-delà, du choix des éléments à traiter en didactique, se pose la question de la possibilité ou non de les traiter en classe de langue. Comment, par exemple, traiter en cours ce qui relève des aléas d’une situation de communication ?

Notes
193.

S. Moirand (1991): "Quelles descriptions linguistiques dans les domaines de spécialité ?", dans la revue DELTA, Documentaçao de estudios de lingüistica teorica e aplicada, Université PUC-SP, Sao Paulo.