Introduction Générale

Toute une partie de l’enseignement de la chimie consiste à former les étudiants à une manipulation symbolique qu’il faut pouvoir décrire en langue naturelle, soit pour en expliciter le contenu, soit pour faire comprendre l’usage des règles inhérentes à son fonctionnement. La comparaison à différents moments de l’apprentissage de la lexicalisation (Agrebi et all, 2003) de symboles qui transcrivent un événement moléculaire devrait informer sur l’adéquation entre les difficultés des étudiants et les moyens langagiers dont ils disposent. Nous nous intéressons au cas d’étudiants s’exprimant naturellement en français et à ceux pratiquant abondamment un changement de code (Laroussi, 1993). Les origines possibles de la nécessité de ce code switching peuvent renseigner sur les connaissances mises en œuvre par les étudiants qui ont besoin de décrire ces événements moléculaires que nous appelons mécanisme réactionnel en chimie organique. Un mécanisme fournit, étape par étape, le processus par lequel une réaction chimique a lieu, les ruptures et les formations de liaisons, la position des atomes mis en jeu et le niveau énergétique du système à chaque instant (March, 1977). Ce concept s’écrit au moyen d’un formalisme basé sur une représentation symbolique. Son apprentissage nécessite des connaissances théoriques et expérimentales de la chimie et des connaissances sur les conventions de la symbolique de représentation des mécanismes. La lecture d’un mécanisme sollicite des connaissances langagières permettant de le décrire. Nous déduisons que l’apprentissage de ce concept admet des difficultés d’ordre théorique, symbolique et verbal (Agrebi et all 2002).

Les difficultés liées aux connaissances théoriques et expérimentales de la chimie organique sont dues à plusieurs facteurs. Certains ont pour origine l’enseignement de la chimie organique qui met en jeu un grand nombre de réactions chimiques et de concepts que les étudiants ne peuvent pas se représenter de façon suffisamment fonctionnelle (Wentland, 1994). D’autres résultent des objets manipulés pour lesquels le chimiste articule des connaissances relevant de descriptions microscopiques et macroscopiques qui requièrent de raisonner tantôt à l’échelle de l’espèce isolée, tantôt à celle de la sociologie moléculaire, ainsi qu’une dualité stabilité / réactivité des espèces chimiques (Barlet, 1996). Ces difficultés sont aussi dues à la présence de conceptions des étudiants sur les mécanismes réactionnels (Zoller, 1990). Les étudiants sont peu entraînés à se représenter les mouvements tridimensionnels moléculaires lors des réactions chimiques. L’utilisation par l’enseignant de dessins à deux dimensions, même assisté du mouvement de ses mains et l’utilisation de modèles moléculaires statiques (Raff L, 1974), constitue également un niveau de codage qui doit être interprété avant d’être de permettre la construction de connaissances. En dehors du domaine de la chimie, l'enseignant qui utilise des symboles doit s'assurer que l'apprenant sait qu'une relation entre le symbole et son référent existe, qu'il connaît la nature de cette relation et qu'il sait la manipuler (Deloache et coll., 1998). Or dans le cas de la chimie organique, les symboles utilisés n’admettent pas de référents empiriques (Pekdag et Le Maréchal, 2002), ce qui accroît le caractère abstrait de la relation entre le symbole et son référent.

Communiquer oralement des concepts scientifiques est un enjeu essentiel de l'enseignement qui met en œuvre la lexicalisation d'une situation, d'une expérience (Tochon, 2000), ou dans notre cas d'un système de symboles. Or il n'est pas de systèmes symboliques transparents. La façon dont s'acquiert la faculté de lexicaliser cette représentation symbolique lors de la formation des enseignants est actuellement l'un des enjeux de notre recherche. Un professeur doit lexicaliser une telle représentation pour la communiquer en classe et donc doit acquérir cette faculté lors de sa formation. Nous connaissons mal l’apprentissage correspondant que nous ne savons même pas, a priori, décrire. Nous allons chercher à savoir dans quelle mesure une formation comme la préparation aux concours d'enseignement fait évoluer cette faculté. De plus nous nous proposons de décrire le fonctionnement d’étudiants lors de résolutions de mécanismes.

Pour répondre à cette problématique, nous avons subdivisé cette thèse en deux parties. Puisque le concept de mécanisme n’a pas été étudié en didactique nous commencerons par une pré-expérimentation avant d’aborder, dans une deuxième partie, le corps de notre travail.

1- Pré-expérimentation : dans un premier temps, nous allons voir quand et comment ces mécanismes ont été introduits dans la communauté des chimistes et dans l’enseignement. Cette partie est divisée en une étude historique, une étude d’enquêtes et une proposition d’une séquence d’enseignement.

2- Expérimentation : dans un deuxième temps, nous nous proposons d’étudier le fonctionnement d’étudiants lors de la résolution de problème de chimie organique (Bodner et all, 2002). Nous nous intéressons à la verbalisation des mécanismes en étudiant une tâche de lecture d’un mécanisme (un mécanisme écrit est fourni à l’étudiant), puis une tâche de production de mécanismes.