2.1.3. Grille de lecture

Dans cette étude, l’objectif est de décrire l’évolution de l’apprentissage des étudiants de l’agrégation, par rapport au savoir savant entre le début et la fin de l’année universitaire. Une analyse par niveaux de savoir, à l’aide de la théorie des deux mondes n’a pas été efficace puisque cette catégorisation n’est intéressante que lorsqu’il existe des éléments des deux mondes : le monde perceptible et le monde reconstruit. Or, l’écriture et la verbalisation de mécanisme, tâches proposées aux étudiants, ne mettent pas en jeu des éléments du monde perceptible. De ce fait cette analyse n’a pas montré l’évolution de l’apprentissage.

En conséquence, d’autres catégories ont été recherchées lors de l’analyse des données. Ces catégories sont présentées ci-après et seront validées par la pertinence des résultats qu’elles permettent de trouver.

Exemples : hydrogène, oxygène, proton, etc. peuvent être exprimés soit par des symboles de type : H, O, H+, etc. soit par un nom : l’hydrogène, l’oxygène, le proton, etc. Soit par une expression plus compliquée : l’atome d’hydrogène, l’atome d’oxygène, le proton H+, etc.

Exemple de phrases extraites de productions d’étudiants lors de la verbalisation de mécanisme

  • Niveau des propriétés

Une propriété est une qualité, une fonction particulière ou un trait d'un objet reconstruit (ou de sa représentation symbolique) comme un atome (ou sa représentation symbolique : H) ou d’un événement reconstruit comme une réaction.

  • Exemples de propriétés d’objets reconstruits (ou de leurs représentations symboliques) : être stable, être libre, avoir des formes mésomères, avoir un effet inductif donneur ou attracteur, être chargé positivement ou négativement, avoir un doublet libre, …
  • Exemples de propriétés d’événements : réaction peut mettre en jeu une prototropie, un équilibre acido-basique, une attaque nucléophile, une acétalisation, ...

L’emploi du niveau de propriétés correspond fréquemment à des adjectifs accompagnant des objets (exemple : électropositif, électronégatif, positif, négatif, catalyseur, doublet non-liant, se comporter comme une base, …) ou des évènements reconstruits (exemples : réaction catalysée, réaction favorisée, …).

Exemple de phrase extraite de productions d’étudiants lors de la verbalisation de mécanisme

Exemple : « on va donc former un groupement H 2 O + qui va constituer un bon groupe partant » (E11, étape 3)

Les propriétés peuvent être exprimées à l’aide des noms des fonctions des objets (ou de leurs représentations symboliques), exemples : cétone, alcool, acide, base, nucléophile, électrophile, … ou des évènements : réaction de protection, catalyse acido-basique, réaction d’élimination, mécanisme d’acétalisation, addition nucléophile, substitution nucléophile, …

Phrases extraites de productions d’étudiants lors de la verbalisation de mécanisme

  • Exemple  de propriété d’objets reconstruits : « ce carbocation est donc une espèce électrophile va être attaquée par l’autre atome d’oxygène » (E’10, mai)
  • Exemple  de propriété d’évènements : « ce carbocation va subir une attaque nucléophile de l’autre atome d’oxygène du diol » (E8, mai)

Ce niveau de propriété est intéressant pour l’étude, en effet, il peut être considéré comme un traceur de l’apprentissage de l’évolution des étudiants ; l’augmentation du nombre de propriétés implique une évolution (voir analyses et résultats)

  • Niveau de la théorie

Dans cette étude, les phrases utilisées pour argumenter une étape du mécanisme sont considérées comme appartenant au niveau théorique. L’argumentation peut être exprimée à l’aide de l’effet, la cause ou la conséquence (Plantin 1996) :

  • L’argumentation par la cause  : ce mode d’argumentation conclut à l’existence d’un effet dérivé de l’existence d’une cause (Plantin 1996).

Exemple de production d’étudiant : « comme l’oxygène est plus électronégatif que le carbone ça induit à l’intérieur de la molécule une charge positive » (E’1)

  • L’argumentation par l’effet  : une cause est régulièrement associée à un effet de façon biunivoque, si l’effet est constaté, alors la cause peut être confirmée (Plantin, 1996).

Exemple de production d’étudiant : « on va avoir en fait un phénomène d’assistance électrophile puisque notre atome ici d’oxygène chargé positivement va d’autant plus accepté la double liaison carbonyle » (E5, étape 2)

  • L’argumentation par la conséquence

Exemple de production d’étudiant : « puisqu’il y a existence de deux formes mésomères ce carbocation est plus stable » (E’4)

La théorie peut être exprimée par des phrases explicatives. Selon Plantin (1996), les notions d’argumentation et d’explication sont symétriques, l’argumentation causale apporte une réponse à un type de question pourquoi ; elle explique un phénomène en le rattachant à une cause. La question de l’explication peut être formulée comme un problème à résoudre au sein d’une théorie scientifique.

Exemples de production d’étudiants :

  • « on a la formation d’un carbocation donc qui peut avoir une forme mésomère pour expliquer la stabilité » (E1)
  • « on a déplacement du doublet de l’oxygènes pour stabiliser ce carbocation qui n’est pas stable » (E’6, étape 4)
  • « on va avoir libération de la double destruction de la double liaison pour garder la tétravalence du carbone » (E6, étape 2)

La théorie peut être du niveau de la généralisation de propriétés,

Exemples  de production d’étudiant :

  • « on va avoir les différentes étapes qui permettent d’arriver à la formation de cet acétal qui est une entité qu’on utilise souvent en tant que groupement protecteur pour les composés carbonylés » (E’1)
  • « donc ces intermédiaires étant régénérées et n’intervenant dans le bilan global donc de par leur définition d’ailleurs » (E’3)

Le niveau théorique englobe aussi la justification théorique.

Exemple de production d’étudiant : « puisqu’il y a une double liaison et un C + c’est pas stable donc la double liaison va se casser » (E6)

Lors de l’analyse, la théorie telle qu’elle est reconnue par le savoir savant est différenciée de la théorie des élèves. La justification théorique utilisée par l'élève peut être différente de celle du savoir savant.

Cette catégorie est intéressante pour l’étude, en effet l'augmentation de l’utilisation du niveau théorique prouve une évolution et par la suite un apprentissage.

  • Concision

La concision est la qualité du style qui exprime beaucoup de choses en peu de mots. Cette catégorie permet de comparer deuxphrases et de dire laquelle est plus concise. Il faut que les deux phrases aient la même signification, le même sens, que les mêmes niveaux de savoir soient mis en jeu, mais avec moins de mots.

Exemple  de production d’étudiant :

  • Phrase de référence : « l’oxygène du glycol peut attaquer sur le carbone ici du carbonyle qui est attaqué » (E2, étape 2)
  • Phrase plus concise : « ça permet l’attaque nucléophile d’un doublet de l’oxygène de l’éthylène glycol »(E’2, étape 2)
  • Précision

La précision d’une forme, d’un trait, d'un dessin, etc. est ce qui représente, traduit avec netteté et exactitude les détails. Comme pour la concision, cette catégorie permet de comparer deuxphrases et de dire laquelle est plus précise. De même, il faut que les deux phrases aient la même signification, le même sens, les mêmes niveaux de savoir soient mis en jeu, mais que les données soient plus claires et plus rigoureuses.

Exemple  de production d’étudiant:

  • Phrase de référence : « on va avoir attaque … pour obtenir une espèce encore chargée mais cette fois sur l’oxygène » (E12, étape 5)
  • Phrase plus précise : « on va avoir une substitution nucléophile et obtenir donc une autre fonction éther protonée  »(E’12, étape 5)
  • Indicateur de doute

Le doute est caractérisé soit par l'incertitude concernant l'existence ou la réalisation d'un fait, soit par l'hésitation sur la conduite à tenir, soit par la suspension du jugement entre deux propositions contradictoires, avec une expression comme « mais » entre les deux propositions, corrigeant - en la limitant - l'extension du doute. Le doute intervient avec la conscience de l’existence d’un savoir de référence et que l’expression orale n’est peut-être pas en accord avec cette référence.

Dans cette étude, les structures indiquant l’incertitude de l’expression orale, tel que : ah non c’est pas ça ce que je veux dire…, non en fait…, euh attend que je réfléchisse…etc. sont considérées comme indicateurs de doute.

Exemples de production d’étudiant

  • “  en fait non pardon il s’agit ici d’un oui c’est simplement une forme mésomère (E3, étape 4).
  • « dans un deuxième temps on va ah oui c’est pas une acétalisation en fait c’est une transposition euh qu’est-ce qui se passe là après élimination d’eau alors j’ai dû mal voir ce qui se passe  » (E2, étape 4).

Le doute peut être exprimé par deux propositions contradictoires dans deux énoncés successifs.

Exemples de production d’étudiant

  • « on a tout d’abord une attaque enfin une activation de notre composé carbonylé par protonation » (E’1)
  • « on a donc rupture de la liaison O enfin départ en fait du nucléophuge H 2 O » (E3)
  • Vision globale du problème

Un mécanisme est souvent constitué de plusieurs étapes et le locuteur globalise son propos lorsque son énoncé implique des données appartenant à plus d’une étape.

Exemples de production d’étudiant :

  • « on retrouve un intermédiaire relativement semblable au carbonyle de départ » (E1)
  • « on forme H 2 O + qui va être un bon groupe partant » (E6)

La vision globale contient la Méta-lecture,

Exemple de production d’étudiant : « ici on a un acétal cyclique mais peut être non cyclique on peut avoir deux substituants sur ces oxygènes différents » (E’1)

Cette catégorie englobe la vision du passé d’un objet ou d’un événement,

Exemple de production d’étudiant : « Ce mécanisme est répété une seconde fois avec la deuxième fonction alcool puisque au départ on avait un diol » (E4).

De même dans cette catégorie se retrouve le lien des objets et des évènements d’une étape avec les autres objets (d’une autre étape) et les autres évènements (réactions ou mécanismes),

Exemple de production d’étudiant : « on retrouve un composé type dérivé comme on avait au début et on va avoir de nouveau un enchaînement de réactions tout à fait similaires » (E’1)

Tous les exemples utilisés dans cette partie sont extraits de productions d’étudiants lors de la verbalisation d’un mécanisme.