Conclusion générale

L’objectif de ce travail est de comprendre la verbalisation de systèmes symboliques complexes qui peuvent se rencontrer en chimie pour représenter les mécanismes réactionnels, et en lien avec leur apprentissage au niveau universitaire. Passer de ce qui est écrit et ce qui est lu nécessite en soi une large variété de niveaux de connaissances qui sont apparus révélateurs du fonctionnement cognitif de l’individu. L’étude de cette verbalisation a nécessité deux types d’analyses, l’une par niveaux de savoir (objet, propriétés, théorie) auxquels nous avons ajouté la concision dans la formulation, la possibilité d’avoir un point de vue global et celle d’exprimer le doute sur sa compréhension du système étudié. L’autre a mis en œuvre l’analyse des verbes utilisés dans la verbalisation du système symbolique : verbes de mouvement, catégorie liée aux objets représentés, verbes de transformation et de changement d’état liés à la description de la modification de l’état des systèmes et des entités chimiques, verbes d’état qui sont fréquemment liés aux niveaux des propriétés et de la théorie et les structures existentielles on a et il y a. Il a été intéressant de comparer l’usage de ces verbes chez des étudiants n’utilisant qu’un seul code ; le Français, et ceux qui en changent régulièrement ; nos étudiants tunisiens, qui passent du Français à l’Arabe tunisien. Une hypothèse sur l’origine de ce code switching a permis une description de l’activité cognitive des apprenants.

L’analyse par niveaux de savoir a montré que l’apprentissage se traduit par une augmentation du nombre d’utilisation des théories, des propriétés et par un point de vue globalisant, en même temps qu’une diminution du nombre d’objets reconstruits convoqués dans la lecture d’un mécanisme ainsi qu’une diminution du doute. L’analyse linguistique montre que cet apprentissage conduit à une réduction de l’usage des verbes de mouvement et de changement d’état et à un accroissement du nombre de verbes qualifiant l’état des éléments du système chimique symbolisé.

Il a été intéressant de se référer à l’émergence, dans la communauté scientifique, des connaissances liées aux mécanismes. Celles-ci sont apparues immédiatement après l’avènement de la première théorie sur la liaison chimique par Lewis en 1916. Bien qu’au niveau symbolique il n’y ait eu que peu d’évolution dans le système de représentation mis au point par Lapworth et par Robinson, nous ne pouvons qu’être frappé par l’absence d’explicitation du sens donné aux symboles utilisés. Il en est de même dans l’enseignement et une enquête que nous avons conduite a permis de montrer que ce système symbolique s’apprend à l’occasion de son utilisation par le professeur, sans qu’en soient explicitées les règles de son fonctionnement. Les apprenants doivent donc, pour lire un tel ensemble de symboles, élaborer leur propre système lexical qui se limite apparemment à une énonciation des objets représentés jusqu’à un niveau élevé d’étude. Tardivement, c’est-à-dire au niveau de la préparation à l’agrégation, nous constatons une évolution dans le langage qui se traduit à la fois par une modification des verbes utilisés, et par les niveaux de connaissances mis en œuvre lors de la lecture.

Notre travail doit pouvoir inspirer les enseignants de chimie organique puisque à moindre frais, il est possible d’expliciter les conventions liées au système de représentation symbolique utilisé pour traduire les mécanismes réactionnels. Nous avons proposé des éléments allants dans ce sens. Bien que l’étude de l’impact sur l’apprentissage de nos propositions de catégorisation des types de flèches courbes utilisées dans ce domaine dépasse le cadre de notre travail, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un outil pédagogique utilisable lors d’une première approche de l’enseignement.

Sur le plan de la description de l’activité cognitive des apprenants qui utilisent les concepts liés aux mécanismes réactionnels, l’outil d’analyse que nous avons élaboré doit pouvoir servir de point de départ pour d’autres recherches dans ce domaine. L’utilisation des niveaux de savoir, des catégories de verbes ou du code switching comme outil d’analyse, n’avaient à notre connaissance pas été envisagées en recherche.

Notre travail pourrait être mis à profit pour repenser le début de l’apprentissage de la chimie organique. Un appel aux nouvelles technologies qui permettrait, via des animations, de décrire les mouvements tridimensionnels des molécules sans utiliser une symbolique sophistiquée devrait engendrer une plus grande motivation et moins d’échec aux examens. En effet, les résultats de l’étude impliquant le code switching comme celle de verbes semble indiquer que les étudiants sont plus à l’aise, pour traduire un mécanisme, avec des verbes de mouvement et des connaissances d’origine de la vie quotidienne. De tels outils existent mais leur utilisation dans l’enseignement reste l’apanage d’innovation non fondée sur des travaux de recherche, et peu diffusés.