Introduction générale

Depuis le milieu des années 1980, une profonde crise économique sévit en Algérie. Succédant à l’euphorie du développement des deux décennies antérieures, la crise n’a pas épargné la sphère politique de laquelle elle s’est propagée vers les autres sphères de la vie. Débordant le cadre des désajustements macrofinanciers dans lequel elle était née, la crise a atteint le mode de fonctionnement de l’économie, mettant ainsi en cause le système d’économie à base de rente qui prévalait.

Par système d’économie à base de rente, on entendra ici le mode d’organisation économique fondé sur la rente, surplus d’origine externe qui se subordonne l’ensemble des rapports économiques internes et qui influe même sur tous autres types de rapports sociaux. Comme forme de revenu, la rente évolue dans la sphère de la circulation ; comme catégorie économique, elle inverse l’ordre des déterminations existant entre rapports de production et rapports de distribution. Dans l’un et l’autre cas, elle place l’Etat au centre de commandement du système parce qu’elle présuppose un centre unique de décision. Aussi n’est-il pas étonnant que le système d’économie algérien soit un système étatique et que la forme de propriété des principaux moyens de production soit la forme d’Etat. De ce fait, non seulement les rapports économiques mais l’ensemble des rapports sociaux revêtent un contenu politique en ce sens qu’ils se transforment en des rapports à l’Etat. Il n’y a pas jusqu’aux rapports de travail qui ne subissent cette métamorphose. Comme l’Etat est le siège de l’Autorité, la crise économique a tôt fait de se muer en crise de l’autorité alors même qu’un régime autoritaire de gouvernement était instauré à l’effet de régler les problèmes de légitimité du pouvoir en s’assurant une forte emprise sur la société. On comprend que, du coup, celui-ci ait perdu tout crédit auprès de la population depuis que la crise a frappé au cœur le système d’économie à base de rente sur lequel il s’appuyait. Plus difficile à admettre d’emblée le fait que cette crise ait muté en une crise de société mais ce fait est bien plus facile à comprendre qu’il n’y paraît si on ne perd pas de vue cet autre fait : il n’y a de société en Algérie que politique 1 dans la mesure où c’est dans le rapport à l’Etat que se définissent et les individus (si tant est qu’on puisse parler d’individu dans un tel contexte 2 ) et les groupes sociaux, fussent-ils d’extraction communautaire.

Peut-on pronostiquer dans ces conditions la réussite ou l’échec des réformes menées en Algérie sous le mot d’ordre de libéralisation, parrainées par le FMI et la Banque Mondiale ?

Notes
1.

On entend par société politique une société où l'ensemble des rapports sociaux se présentent comme des rapports de pouvoir.

2.

Voir au chapitre premier ce qu’on dit du procès d’individuation comme procès historique de formation de l’individu.