Questions de méthode.

La présente étude doit beaucoup à plusieurs courants de pensée en économie. Elle s'inspire grandement (si même elle ne s'en réclame pas) de l'école de la régulation dans ses variantes parisienne et grenobloise. Celle-ci s'appuie comme on sait sur les travaux de Marx et de Keynes dont elle tente de réaliser une synthèse portée, sinon à dépasser leurs limites intrinsèques, du moins à les fructifier en investissant dans l'analyse leur apport respectif à l'économie. Que ce soit dans l'une ou l'autre des variantes de cette école, les concepts ne prennent tout leur sens que replacés dans leur contexte, ce qui revient à postuler leur historicité. C'est ce qui donne toute sa valeur à l'approche historique en économie. En ce domaine, les auteurs du courant régulationniste trouvent un appui chez les historiens – les historiens de l'économie en particulier. Nous les avons suivis dans cette voie. Nous nous sommes fortement inspiré non pas tant seulement de l'oeuvre mais (pour autant que nous en ayons perçu quelque chose) de l'esprit des grands historiens contemporains à l'exemple de Fernand Braudel, de K. Polanyi, de Paul Bairoch, d'Eric Hobsbawm, de Paul Kennedy, de David S Landes pour ne citer que les plus importants parmi ceux que nous avons consultés.

L'étude accorde donc une place centrale à l'histoire économique. Histoire longue des pays à économie de marché constituée, histoire brève de certains des pays en transition à l'économie de marché. Le but n'est pas simplement de relater les faits (encore que la relation des faits ne nuise en rien – tout au contraire – à la compréhension du sujet) mais de pénétrer au coeur des catégories économiques et sociopolitiques qui donnent toute leur signification aux faits. Même alors, l'effort resterait insuffisant s'il ne débouchait sur la mise en relation de ces catégories et sur la mise en cohérence de tout l'appareil conceptuel. C'est ce que nous avons tenté de faire au fur et à mesure que nous avancions dans nos recherches. Dans cette mise en cohérence nous sont apparus des vides théoriques que nous avons cherché en conséquence à combler. Ainsi avons-nous forgé le concept de principe de composition que nous avons doté d'un pouvoir explicatif à la mesure de son contenu pluriel. Celui-ci ne s'articule pas seulement en effet aux concepts de l'économie politique mais aussi à ceux de la science politique – ceux d'Etat-nation et de régime autoritaire de gouvernement entre autres qui ont un grand pouvoir explicatif quand on les couple avec les premiers (la précaution étant prise de les définir au préalable de façon à servir à cette fin) – et de la sociologie.

L'étude fait grand cas de la mise en évidence par les auteurs de l'école de la régulation de l'existence de deux logiques de régulation sociale : la logique marchande et la logique tutélaire. Leur champ d'action privilégié est l'Etat-nation mais elles opèrent aussi, et de façon manifestement plus contradictoire que dans le cadre de l'Etat-nation, dans les relations économiques internationales. Nous avons essayé de tirer tout le profit possible de l'étude de l'action tantôt antinomique tantôt complémentaire de ces deux logiques de régulation à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Etat-nation. L'expérience des pays à économie de marché constituée est, en cette matière, plus riche et variée que celle des pays en transition quoi que puisse laisser croire l'idée généralement admise de l'univocité de cette expérience où les lois du marché joueraient à plein.

Si on parle aujourd'hui de libéralisation, c'est pour faire entendre l'idée de l'abandon de la logique étatique de régulation au profit de la logique marchande. Bien évidemment, c'est dans les pays à régime d'économie administrée comme l'Algérie que cette libéralisation prendrait tout son sens. D'où le choix que nous avons fait de traiter en détail de l'expérience de ce pays en matière de libéralisation, ce qui nous a obligé (suivant en cela la démarche consistant à replacer les faits économiques dans leur contexte historique) à nous intéresser au contenu de la politique industrielle de l'Algérie en tant qu'elle délimite le cadre dans lequel évoluent les paramètres fondamentaux de l'économie.

L'analyse que nous présentons de la rente comme catégorie économique et comme revenu laisse sceptique – sauf à s'en tenir au caractère purement formel de la libéralisation – quant à une sortie possible du système d'économie administrée tant qu’elle représentera l’essentiel du surplus investissable. C'est dire combien est problématique la transition vers une économie de marché sans base productive ; ce qui a conduit certains auteurs à parler d'économie de bazar. Si tel est le cas, c'est bien entendu à cause de la survivance de la rente comme surplus d'origine externe, ce qui disqualifie toute étude de ce genre d'économie dans les termes de l'économie politique (à moins de réussir l'exploit de construire une économie politique de la rente). D’où le choix que nous avons fait d’un éclectisme méthodologique susceptible de fournir des éclairages multiples à un même fait social total.