1.4. Pouvoir et argent.

Reste à savoir pourquoi pouvoir et argent ont fait bon ménage depuis des temps immémoriaux.

En parlant d’argent, ce n’est pas de ses fonctions qu’il faut s’occuper en premier lieu comme il est d’usage de procéder lorsqu’on vise des objectifs pédagogiques : il faut remonter à son essence même. « La principale difficulté de l’analyse de la monnaie se trouve surmontée, écrit K. Marx, dès que l’on a compris que l’argent a son origine dans la marchandise elle-même » 52 . J.K. Galbraith montre à l’aide d’exemples concrets pris dans l’histoire économique somme toute récente des Etats-Unis d’Amérique que l’argent peut être représenté par de simples objets sans valeur intrinsèque hormis celle que leur confère la culture des peuples de l’Amérique précolombienne : « Dès l’origine, écrit l’auteur du Nouvel Etat industriel, les colons avaient expérimenté des substituts à la monnaie métallique […] Leur premier substitut fut emprunté aux Indiens […]. Les wampum, coquillages utilisés par les Indiens, devinrent la monnaie de petite valeur acceptée partout » 53 . Mais l’auteur avait pris soin de préciser d’entrée de jeu 54 que l’utilisation de ces coquillages ne faisait que combler un vide créé par l’absence de pièces métalliques de valeur minime. Il reste que, même dans ces cas-là, l’argent ne se détache pas d’un corps matériel. Et si ces objets ne sont pas des marchandises, c’est sans doute simplement parce que la société marchande ne s’était pas encore extraite des limbes de l’économie naturelle que les premiers colons eurent à pratiquer à l’instar des autochtones dans un pays où tout était à recréer. On comprendra que notre propos ne puisse s’attarder sur cette forme d’économie sans dévier de son objet : l’économie de marché.

Notes
52.

Contribution à la critique de l’économie politique, Ed. Sociales 1972, p 39. A. Smith, pour sa part, définit la monnaie comme une marchandise dans le paragraphe suivant : « … tout homme prévoyant dans chacune des périodes de la société qui suivirent le premier établissement de la division du travail, dut naturellement tâcher de s’arranger pour avoir par devers lui dans tous les temps, […] une certaine quantité de quelque marchandise qui fût, selon lui, de nature à convenir à tant de monde que peu de gens fussent disposés à la refuser en échange du produit de leur industrie ». In Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Ed. Gallimard 1976, p 55. Dans le même esprit, J.B. Say écrit : « S’il existe dans la société une marchandise qui soit recherchée non à cause des services qu’on peut en tirer par elle-même mais à cause de la facilité qu’on trouve à l’échanger contre tous les produits nécessaires à la consommation, une marchandise dont on puisse exactement proportionner la quantité qu’on en donne avec la valeur de ce qu’on veut avoir, […] Cette marchandise est la monnaie. ». Cf. Traité d’économie politique, Ed. ENAG 1990, Alger, p 228.

53.

J.K.Galbraith : L’Argent, Ed. Gallimard 1975, p. 87.

54.

Il écrit en effet au tout début de l’ouvrage en parlant de cette sorte de monnaie : «Mais les éléments plus étranges ou exotiques tels que bétail, coquillages, whisky et cailloux qui font pourtant les délices des professeurs d’économie n’ont jamais eu qu’une importance très relative pour les peuples tant soit peu éloignés d’une existence agreste ou primitive». Cf L’argent, op. cit. p 24.