3.2.2. Corée du sud: un pays aux prises avec son propre modèle d’accumulation.

La Corée du sud est, jusqu’à ces toutes dernières années (1997) donnée en exemple par de nombreux auteurs aux pays dits en transition vers l’économie de marché pour la façon dont elle s’est sortie de l’état d’arriération économique où elle se trouvait au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Une étude de l’OCDE réalisée par Chang H Lee intitulée «la transformation économique de la Corée du sud» porte en sous-titre : «leçons pour les économies en transition» 264 . Dans les actes du colloque «Investir en Asie» réuni à l’initiative du Forum International sur les Perspectives Asiatiques 265 , les auteurs présentent les pays du continent asiatique et spécialement la Corée du sud comme «la région la plus dynamique du monde sur le plan économique» 266 . Dans la même année pourtant la crise financière survint, balayant les certitudes de la veille, obligeant les auteurs à revenir sur leur jugement. Ainsi J. Bonvin, directeur du centre de développement de l’OCDE entre 1995 et 1997, après avoir préfacé l’ouvrage de Chang H Lee susmentionné, tout entier consacré à la glorification du modèle économique coréen, s’est-il appliqué dans une publication récente de l’OCDE 267 , à déterminer la part de responsabilité des économistes dans les erreurs d’appréciation de l’expérience de développement des pays d’Asie 268 . Cherchant une explication plausible à la crise financière qui a frappé ces pays, il commence par mettre en cause le point de vue qui était le sien selon lequel la politique gouvernementale d’incitations est à la base de l’extraordinaire développement des pays de l’Asie du sud-est. Il s’en prend ensuite au système financier de ces pays qu’il juge «peu efficace à cause d’un contrôle bancaire inadéquat, de règles prudentielles insuffisantes, et d’interventions publiques inappropriées» 269 . Il conclut : «la réalité est que la croissance exceptionnelle de l’Asie n’était pas due à son système économique et financier mais à des taux d’épargne extraordinairement élevés» 270 . En dépit de la contradiction qu’elle contient (les taux d’épargne étant un des paramètres fondamentaux du système économique et financier), cette assertion renvoie au problème crucial du financement de l’accumulation et par-delà, à celui de la nature du surplus.

On a déjà évoqué au sujet de la Russie les limites qu’impose au procès d’accumulation le mode de son financement, celui-ci n’étant pas sans rapport avec le contenu et la forme du surplus. Sans doute doit-on considérer comme une performance inégalée la capacité des pays d’Asie à réaliser des taux d’épargne extraordinairement élevés. Mais comme dans tout pays à régime autoritaire, se pose immanquablement à eux le problème de l’adéquation (de contenu et de forme) entre le surplus et le procès d’accumulation. La crise financière des dernières années ne semble pas pouvoir être interprétée autrement que comme l’expression du décalage entre ces deux éléments. C’est sur l’exemple de la Corée du sud que l’on peut mesurer le mieux l’étendue de ce décalage et inférer de ses conséquences sur l’état de santé véritable de l’économie. On verra alors que, tout comme en Russie, le régime autoritaire paraît avoir atteint la limite au-delà de laquelle il ne peut plus contribuer à l’essor de l’économie.

On doit en premier lieu évoquer le contexte particulier dans lequel a été amorcée l’industrialisation en Corée 271 . La situation géostratégique de ce pays au moment où apparaissaient les rivalités Est-Ouest qui alimenteront la guerre froide est à considérer comme un de ses facteurs déclenchants. Tête de pont des Etats-Unis dans l’Asie du sud-est, la Corée a d’abord été administrée par le gouvernement militaire américain après le départ des Japonais qui en avaient fait pendant plus de quarante ans leur colonie. Puis un gouvernement civil a été formé sans que les Etats-Unis n’eussent relâché leur emprise sur le pays. Ce gouvernement a bénéficié d’une aide massive des Etats-Unis et dans une moindre mesure des autres pays de l’OCDE. Dans sa plus grande partie, l’aide a d’abord servi à financer les équipements militaires en provenance des Etats-Unis ainsi que l’assistance technique qui leur est attachée. Vingt milliards de dollars d’aide ont été accordés à la Corée entre 1953 et 1976 dont dix-sept des seuls Etats-Unis 272 . Concentrée sur des objectifs à court terme, l’aide américaine répondait sans doute prioritairement au souci des Etats-Unis d’écouler hors de leurs frontières leurs excédents de produits, mais elle n’en a pas moins profité à la Corée qui, comme le note Chang H Lee, se trouvait dans un état d’arriération économique extrême : le pays accédait ainsi gratuitement à des ressources qu’il ne produisait pas.

Qu’elle se présente sous la forme de produits agricoles (biens-salaire) ou de produits intermédiaires (biens de capital), l’aide contribue à faire sortir la Corée de l’état de délabrement où l’avait jetée l’occupation japonaise et la guerre. Bien que la partie de cette aide ayant servi à financer des projets spécifiques d’investissement n’ait représenté qu’un cinquième du total, les quatre cinquièmes restants n’en ont pas moins contribué indirectement à l’amorce de l’industrialisation. A en croire M. Lanzarotti 273 , c’est contre la volonté des Etats-Unis que la Corée a entrepris de s’industrialiser : le programme américain d’aide pour la Corée ne prévoyait en guise de politique économique que de réaliser les grands équilibres macroéconomiques. Sa gestion fut d’ailleurs confiée au gouvernement militaire nord-américain et le contrôle de son exécution à l’administration responsable du plan Marshall, l’ECA (Economic Cooperation Administration).

L’aide a donc été la première source de financement de l’industrialisation de la Corée. C’est un point qu’il convient de souligner. Au contraire des pays comme la Russie des années 1920-1930, la Corée n’a pas eu à organiser un transfert massif de surplus de l’agriculture vers l’industrie. Avant que l’endettement international n’en prenne le relais, l’aide américaine a été un facteur déclenchant de l’industrialisation. Mais, comme le note G. de Bernis en parlant du lien entre accumulation, Etat et plan dans les pays en proie au sous-développement, «nulle part […] l’accumulation ne s’est réalisée spontanément. L’Etat a en effet la charge des intérêts de la nation et lui seul peut organiser l’investissement dans le cadre d’un plan» 274 . De fait un régime autoritaire de gouvernement a vu le jour en Corée pour mener à bien cette mission. Plus que n’importe quel autre régime de ce genre sans doute, le régime coréen, qui a défini une stratégie d’industrialisation accélérée, a fait usage pour la traduire dans les faits de tous les instruments de contrainte dont il a pu disposer. Mais au moins a-t-il veillé à réunir les présupposés de l’industrialisation, ce qui vaut aujourd’hui à la Corée d’être considérée comme un pays industriel à part entière.

Sans entrer ici dans le détail de la stratégie de l’Etat coréen, on notera que le gouvernement a d’abord réalisé une réforme agraire d’envergure visant à détruire le système de classes de type féodal qui existait en Corée avant la colonisation japonaise et à neutraliser les grands propriétaires terriens qui, s’ils devaient constituer un groupe de pression, se seraient opposés au gouvernement sur sa politique industrielle. L’autre objectif de la réforme agraire était moins de susciter une élévation de la productivité du travail dans l’agriculture que d’éliminer toute éventualité d’émeutes paysannes motivée par la précarité de la condition sociale des paysans. D’où le caractère égalitariste de la réforme agraire dans ce pays.

L’éducation-formation a été le second axe d’effort de la politique gouvernementale coréenne à ses débuts. Plus en accord avec la thèse néo-classique 275 de la nécessité d’une prise en charge par l’Etat des secteurs à fortes externalités positives, l’intervention des pouvoirs publics en matière d’éducation-formation a été précoce en Corée. Dès 1960 en effet, le taux d’analphabétisme qui était de 78% en 1945, a été ramené à moins de 30% 276 grâce à des campagnes de scolarisation massive. Bien que, par la suite, cette politique ait eu des effets pervers – les capacités d’emploi de la main-d’œuvre instruite ne parvenant pas à suivre le rythme de développement de l’instruction – elle a permis, moyennant une formation rapide sur le tas, de satisfaire ultérieurement la demande en main-d’œuvre qualifiée suscitée par l’accélération de l’industrialisation à partir du milieu des années 1960. Ce faisant, la Corée réalisait l’une des prémisses de la maîtrise du principe de composition.

La troisième caractéristique de la politique gouvernementale en Corée est ce que Chang H Lee appelle une organisation quasi-interne constituée par le gouvernement et les centres de décision des grandes entreprises appelées les Chaebols. Comme l’indique l’auteur 277 , c’est grâce à la relation unique tissée avec les chaebols que les pouvoirs publics sud-coréens ont pu orienter le développement économique dans le sens qu’ils désiraient. Les chaebols sont des entités à caractère industriel ou commercial qui se sont constituées pour la plupart à partir des biens assignés 278 acquis à des prix dérisoires par les Coréens au lendemain de la libération. Cela remonte aux tous débuts de l’ère Rhee qui a présidé aux destinées de la Corée de 1948 à 1961. Les plus-values exceptionnelles réalisées par les chaebols par le simple fait de la dépréciation de leurs emprunts due à l’inflation ont constitué une source d’enrichissement pour ces conglomérats qui ont par ailleurs bénéficié de l’attribution préférentielle de licences d’importation et de devises à un taux de change surévalué. D’autres mesures – tel l’octroi de fonds d’aide et la fourniture de matières premières à des prix préférentiels – ont été accordées par le gouvernement aux chaebols, ce qui a fait dire à certains auteurs à l’exemple de Jung-en Woo 279 que le système économique coréen est de type capitalisme politique 280 . Il n’empêche que, avant même que les sources de rente ne se soit taries (il s’agissait rappelons-le de l’aide nord-américaine), les chaebols ont acquis des positions solides dans de nombreux secteurs de la production matérielle travaillant pour l’exportation, se conformant ainsi à l’orientation de la politique économique gouvernementale 281 . Comme nous le verrons ultérieurement, le passage à l’économie de production n’a été possible en Corée que parce que l’Etat s’est attaché à instaurer un rapport salarial de type autoritaire sur la base duquel la politique de promotion des exportations a été menée.

Quatrième et dernier axe d’effort de la politique économique du gouvernement, l’encadrement institutionnel du système financier.

L’expression «système financier» renvoie en économie de marché à l’ensemble des transactions portant sur l’argent et aux institutions qui en font usage. Qu’ils se présentent sous la forme bancaire ou boursière, ces marchés sont le lieu par excellence de mobilisation des ressources et de leur allocation aux différentes activités productives 282 . Nombreux sont les auteurs 283 qui font néanmoins état de l’importance des coûts de transaction quand les marchés sont insuffisamment développés et qui justifient de cette façon le rôle que jouent les institutions autres que le marché dans la mobilisation et l’allocation des ressources financières au sein de l’économie. Quoi qu’il en soit, le système financier coréen se trouve être sous la haute autorité de l’Etat depuis que les banques commerciales ont été nationalisées. Cela s’est passé immédiatement après le coup d’Etat militaire de 1961. Accusées d’avoir constitué leurs fonds de manière illicite sous le régime de Rhee, les banques se sont vu confisquer leurs avoirs et leurs actes de gestion ont été soumis à l’approbation du ministre des finances. Puis des banques publiques ont été créées et l’ensemble du système financier s’est trouvé sous le contrôle direct de l’Etat qui en a fait l’instrument privilégié de sa politique économique très fortement orientée. Une part croissante des crédits a d’abord été dirigée vers le secteur manufacturier et plus spécifiquement vers les industries exportatrices de ce créneau d’activité. Puis, lorsqu’il s’est agi pour les pouvoirs publics d’encourager l’industrie lourde et l’industrie chimique dans le cadre de la politique de substitution aux importations, les crédits leur ont été affectés en priorité. Enfin, et en raison des relations privilégiées qu’ils entretenaient avec les chaebols, les pouvoirs publics ont systématiquement favorisé le financement des activités de ces derniers au détriment des entreprises de petite taille avec lesquelles ils n’entretenaient pas le même type de relations.

L’intervention de l’Etat ne consiste pas seulement, dans le cas de la Corée, en la prise en charge du financement de l’investissement, elle se manifeste aussi, comme c’est le cas en Russie, par la centralisation des décisions industrielles. L’exemple de la Corée montre combien est déterminante la question des arrangements institutionnels 284 dans tout processus de développement. Définissant le sous-développement comme l’inexistence ou l’insuffisant développement du complexe de machines (alors que le capitalisme développé se caractériserait par la tendance à son sur-développement), M. Lanzarotti entreprend d’analyser les facteurs de croissance qui ont déterminé l’essor de l’industrie manufacturière coréenne. A ses yeux les facteurs essentiels sont au nombre de deux : la forte intervention de l’Etat et un rapport salarial très singulier.

Sans entrer ici, comme le fait M. Lanzarotti, dans l’étude détaillée de la structure de l’industrie coréenne qu’il subdivise en trois sections 285 , on doit noter la forte croissance économique globale enregistrée par la Corée tout au long de trois décennies : de 1961 à 1989 la croissance du PNB n’a pas été en effet inférieure à 6,3% par an. Sur la même période, la croissance des industries manufacturières a oscillé entre 9,7 et 16,7%. La croissance particulièrement élevée de ces industries, explique M. Lanzarotti, est à la base de changements structurels profonds qui ont affecté l’économie coréenne dans son ensemble. Ces changements se résument dans le passage d’une économie à dominante agricole à une économie de type industriel formant un véritable système productif. En termes de sections, et si l’on retient la méthode de découpage sectionnel de l’auteur, on doit noter l’importance de la section 3 dans la croissance économique globale et au sein de cette dernière, la forte proportion des industries manufacturières. Comme le signale M. Lanzarotti, «l’évolution des exportations industrielles se caractérise non seulement par une croissance rapide, mais aussi par un remarquable processus de diversification» 286 .

Sans doute est-ce là un modèle d’industrialisation que d’aucuns qualifieront d’extraverti 287 mais outre que ce modèle n’a pas empêché la Corée de se lancer dans la production de machines, amorçant ce faisant une sortie du sous-développement au sens de M. Lanzarotti, il a au contraire permis, dans une phase ultérieure, une croissance des industries lourde et chimique plus rapide que celle de la section 3 prise en bloc, ce qui est un signe manifeste de vitalité de l’économie coréenne. Bien que restant fortement dépendante des importations de machines en provenance du Japon vis-à-vis duquel la Corée continuait d’enregistrer un déficit commercial substantiel tout en étant tributaire des débouchés extérieurs, la Corée a réussi à mettre sur pied un véritable système productif si par système productif on entend, comme indiqué dans les chapitres précédents, un ensemble structuré d’activités productives soumises à la logique de la reproduction ; celle-ci renvoyant à la production d’un surplus accumulable. Cela passe bien sûr par l’endogénéisation de la section 1, ce qui est le cas en Corée où ce processus s’accompagne de performances à l’exportation telles que, de plus en plus, les importations de machines sont financées par les exportations de machines.

Mais, et c’est là où apparaît toute la singularité du modèle d’industrialisation coréen, la structure de la section 2 montre une grande inertie alors même que l’économie enregistre des taux de croissance élevés. Ainsi, la part de la valeur ajoutée des industries alimentaires dans la valeur ajoutée globale de la dite section reste constamment en dessous de la barre des 40% (ce qui est un indice de la faiblesse des revenus salariaux) tandis que, plus significatif encore de la faiblesse de ces revenus, la part de la valeur ajoutée des industries de biens de consommation durable dans la valeur ajoutée totale de la section 2 ne dépasse pas les 6%. De ces chiffres on déduit que les revenus salariaux sont loin de constituer une source de la demande solvable capable de susciter de nouveaux investissements dans la section, ce qui est le signe le plus tangible de ce que l’extraversion du système productif dans son ensemble n’est pas une idée totalement infondée. Cette situation n’est pas la résultante de la seule politique délibérée des pouvoirs publics de développer prioritairement la section 3 : c’est aussi la conséquence directe du rapport salarial prévalant en Corée dont M. Lanzarotti dit qu’il est très particulier.

La caractéristique principale de ce rapport est de maintenir la grande masse des travailleurs dans un état de dénuement relatif permanent pour assurer le financement de l’investissement dans les sections 1 et 3. Mais, on l’a vu, le développement de la section 3 impulse celui de la section 1 qui, une fois constituée, a tendance à entretenir sa propre dynamique conformément aux lois de la reproduction élargie. L’apparition et le développement de la section 1 sont le signe d’un changement de régime d’accumulation : du régime d’accumulation extensive, la Corée est passée au régime d’accumulation intensive, s’obligeant ce faisant à trouver en elle-même de nouvelles sources de demande effective, ce que seul le relâchement de la contrainte exercée sur les travailleurs par le biais du rapport salarial de type autoritaire pouvait lui assurer. Aussi a-t-on assisté depuis la fin des années 1980 à une revalorisation substantielle des rémunérations sans pour autant que soient modifiés pour l’heure les autres paramètres entrant dans la définition du rapport salarial 288 . Si, jusqu’en 1974, la part des salaires dans la valeur ajoutée manufacturière est allée en diminuant – passant de 34,1% à 24,6% entre 1960 et 1974 – elle s’est progressivement relevée jusqu’à absorber une grande partie de la productivité réalisée à partir de cette date. Mais outre que cette revalorisation n’a concerné pour l’essentiel que la partie variable des rémunérations – ce qui laisse aux employeurs toute latitude de révision des salaires à la baisse en cas de récession – les conditions de travail se sont dégradées au lieu de s’améliorer, révélant la nature véritable du rapport salarial à l’œuvre dans l’économie coréenne. Si, comme nous l’avons amplement développé dans le chapitre 2 de la présente recherche, le rapport salarial de type marchand contient tout en l’occultant le principe d’autorité, dans le cas de la Corée, le rôle répressif de l’Etat dans la gestion de la force de travail met à rude épreuve la prétendue relation d’équivalence à laquelle serait réduit le rapport salarial. La collusion entre le gouvernement et le patronat s’est traduite par l’interdiction des grèves, l’extrême faiblesse voire l’inexistence du pouvoir de négociation des syndicats, une législation du travail restrictive etc. Bien que la durée légale de la journée de travail soit de 8 heures, la durée hebdomadaire est de 48 heures au minimum (à raison de 6 jours ouvrables par semaine). Cette durée peut aller jusqu’à 60 heures. Le congé annuel, fixé par la loi à trois semaines, peut être réduit à 11 jours en décomptant les jours d’absence etc. Indiquons enfin, pour clore cette caractérisation quelque peu lapidaire du rapport salarial en Corée, qu’il n’y a ni assurance-maladie, ni assurance-chômage, ni congé de maternité, ni système de retraite dans ce pays 289 .

Telle est, brièvement relatée, la situation qui a prévalu en Corée avant que la crise financière des dernières années ne se déclarât, enfonçant le pays dans l’incertitude des lendemains comme s’il n’avait servi à rien de s’assimiler le principe de composition pour se doter d’une base d’accumulation. En fait, tout comme en Russie où, nous avons essayé de le montrer, il avait atteint la limite au-delà de laquelle il n’était plus d’aucun apport à l’économie, le volontarisme économique attaché au régime autoritaire comme son mode spécifique d’être et d’agir a produit en Corée des effets pervers qui ne diffèrent de ceux constatés dans le cas de la Russie que par le contexte – historique, social, politique et géostratégique – où il a opéré. Aussi ne peut-on s’étonner de ce que, tout comme la Russie, la Corée doive chercher à renouveler le mode de gestion de son économie. La libéralisation lui offre-t-elle cette possibilité ? C’est ce qu’il convient d’examiner avant de relater l’expérience des pays – à l’exemple de la Turquie, de l’Egypte et du Maroc – n’ayant pas, eux, assimilé le principe de composition ou ne l’ayant assimilé que formellement.

Notes
264.

Etude du Centre de développement de l’OCDE, 1995.

265.

OCDE 1997

266.

P. Uhel, La Banque asiatique de développement et l’investissement en Asie, in Investir en Asie, op. cit. p 25.

267.

La libéralisation financière en Asie, analyses et perspectives, 1999.

268.

L’auteur écrit en effet : «la première responsabilité nous incombe peut-être à nous autres économistes qui avons tant vanté le miracle de l’Asie de l’Est». P 10

269.

Id. p 10

270.

Id.

271.

Dans la suite de cette section, Corée désignera toujours la Corée du sud.

272.

Ces chiffres se répartissent comme sui t: 5 milliards (dont 2,5 au titre de l’aide militaire) entre 1953 et 1961 ; 12 milliards entre1961 et 1976 pour la seule aide américaine (chiffres cités par G. De Bernis in Développement durable et accumulation, op. cit p17 et suiv. ).

273.

M. Lanzarotti, Corée du sud: Une sortie du sous-développement, IEDES, PUF, 1992.

274.

Développement durable et accumulation, Document ronéoté. p15

275.

Rappelons que, sous l’influence des Etats-Unis et en réaction à la politique nord-coréenne, la Corée du sud se réclame d’emblée du monde libre et de la politique libérale dont les néo-classiques se présentent comme les théoriciens. Mais, ainsi que le note G. de Bernis, « […] les circonstances dans le cadre desquelles elle [l’expérience coréenne] s’est développée interdisent d’en faire un «modèle » transférable, a fortiori un exemple de libéralisme.

276.

Ces chiffres sont cités par M. Lanzarotti. Op. cit.

277.

p 22.

278.

Les biens assignés sont des éléments de patrimoine détenus par les Japonais et qui leur ont été confisqués. Selon Chang H Lee, il existait 166 301 biens de ce type à la libération dont 3551 usines.

279.

Rate to the swift: Stat and Finance in Korean Idustrialization, Colombia University Press, New York 1991. Cité par Chang H Lee p 24.

280.

Chang H Lee citant Haggard, Kim et Moon (1993), indique que sur les 10,7 milliards de wons attribués de manière préférentielle à 45 entreprises sélectionnées entre août 1959 et mai 1960, 6,2 sont allés au parti libéral sous la forme de contributions financières des chaebols pour les élections du 10 mars 1960.

281.

Ne faut-il pas voir là une preuve supplémentaire de la nécessité pour un pays en voie d’industrialisation d’une forme de collusion entre les forces détentrices du pouvoir d’Etat et celles qui oeuvrent dans l’économie comme les exemples de l’Allemagne, du Japon et de la Russie l’ont montré ?

282.

Nous faisons abstraction ici des activités purement spéculatives qui supposent, pour se développer, l’existence d’activités de production.

283.

C’est le cas notamment de O. Williamson : The economic institutions of capitalism, The Free Press, New York, 1985.

284.

L’expression est de M. Lanzarotti, op. cit. L’auteur écrit que l’enseignement à tirer de l’expérience coréenne «est aux antipodes des positions dominantes à l’heure actuelle qui sont réfractaires à toute tentative de substitution aux mécanismes spontanés du marché». p18.

285.

L’analyse en termes de sections productives est due à K. Marx qui en fait usage dans les schémas de la reproduction élargie. L’auteur du Capital subdivisait l’ensemble de la production sociale en deux grandes sections et chacune des deux en deux sous-sections. Reprenant cette analyse, M. Lanzarotti y introduit une troisième section – la section de production pour l’exportation – pour tenir compte de la spécificité du modèle coréen.

286.

Op. cit. p 33.

287.

C’est notamment le point de vue de A.Gallez et de JL Troupin dont l’étude consacre un paragraphe au «modèle d’industrialisation extraverti» coréen. Cf. Revue Tiers-monde n° 87, juillet-septembre 1981.

288.

Voir à ce sujet les développements consacrés à cette question dans le chapitre premier ci-avant.

289.

La précarité des conditions de travail en Corée a été décrite par de nombreux auteurs en des termes particulièrement forts. A. Lipietz parle de taylorisme sanguinaire au sujet des méthodes d’exploitation de la main-d’œuvre coréenne. Voir M.Lanzarotti, op. cit.