7.2. Les réformes et les nouveaux rapports de travail, les réformes et le nouveau rapport au travail.

La réforme de 1988 place théoriquement les entreprises publiques autonomes devant l’obligation de produire un volume de richesses à même de leur fournir des ressources propres pour assurer le financement de leur activité (exploitation et investissement). Cela revient à exiger d’elles de dégager un excédent brut d’exploitation (EBE) et un cash-flow conséquents. Derrière ces catégories comptables se cache en réalité la capacité des entreprises à produire un surplus accumulable. Toute la question est donc de savoir si l’autonomie dont elles sont censées jouir désormais est de nature à conférer aux entreprises publiques algériennes l’aptitude à produire un tel surplus et si ce surplus est de nature à alimenter le procès d’accumulation. Sans même revenir ici sur l’idée amplement développée dans les chapitres qui précèdent selon laquelle le système productif algérien n’a pas atteint le degré de maîtrise du principe de composition à partir duquel il pouvait se développer sur ses propres bases, l’état de déstructuration dans lequel se trouvaient les entreprises avant leur passage à l’autonomie (déstructuration financière mais aussi désorganisation fonctionnelle), a obligé les pouvoirs publics à revoir et le mode d’organisation et le mode de gestion du secteur public industriel. Mais cette refonte est-elle de nature à permettre au système productif algérien de produire un surplus domestique accumulable ? Peu sûr ! Car la réforme ne s’est attaquée au cœur du problème – à savoir l’instauration d’un type nouveau de rapports de travail – que de façon formelle. La raison en est que, n’ayant rien changé de fondamental dans les rapports de propriété à l’œuvre dans l’économie, elle n’a fait que conférer un semblant d’existence légale au rapport salarial à travers la redéfinition des droits de propriété. Cela revenait à modifier l’architecture d’ensemble du secteur public industriel en créant (sous la forme de sociétés fiduciaires) une instance intermédiaire dans la chaîne des appareils bureaucratiques en charge de la gestion des entreprises publiques. Si, à l’occasion, elle en a profité pour remplacer aux postes de responsabilité les plus élevés dans ces appareils les tenants du pouvoir de décision par d’autres, ces derniers n’en étaient pas moins tenus que les premiers à reconduire le système de gestion antérieur par le fait qu’ils tiraient du même régime autoritaire de gouvernement leur légitimité si tant est qu’un tel régime puisse leur conférer quelque légitimité. Quelque dénégation que puisse formuler à ce sujet les promoteurs des réformes, à l’instar de S. Goumeziane et de G. Hidouci, le système économique continuait d’être adossé à la rente pétrolière et les réformes dont ils ont fait leur cheval de bataille ne pouvaient rien y changer si elles ne commençaient par redéfinir les rapports de travail, ce qui passait nécessairement par la mise en adéquation des droits de propriété avec les rapports de propriété à l’œuvre dans la société. Or, et c’est une caractéristique des régimes autoritaires de gouvernement dont nous avons examiné en détail les fondements dans la première partie de la présente recherche, rapports de propriété et droits de propriété ont ceci de particulier qu’ils ne se correspondent pas dans la réalité, en sorte que les détenteurs des droits de propriété ne les exercent que formellement, étant au mieux des représentants non attitrés de ceux qui ont le pouvoir effectif de décision et qui répugnent à apparaître au devant de la scène pour ne pas donner prise à la contestation sociale du régime comme cela ne manque jamais d’être le cas à la longue. Lorsque, comme c’est le cas en l’Algérie, le système économique est à base de rente, ces derniers n’ont aucun intérêt à voir s’instaurer de nouveaux rapports de travail qui les amèneraient à concéder tout ou partie de leur pouvoir de décision au profit de ceux qui ont la charge effective de conduire le procès de production. Disposant de la capacité à influer sur les décisions d’allocation des ressources de l’Etat dont ils tiennent les rennes par une sorte de pouvoir occulte, ils ont toute autorité sur les tenants du pouvoir formel à tous les échelons de l’appareil bureaucratique en charge de la gestion des institutions y compris les entreprises publiques. D’où le formalisme des réformes (que ce soit les réformes de 1980 ou celles de 1988) qui n’apparaissent que comme de nouvelles modalités de redistribution de la rente, redistribution qui affecte la position de tout un chacun dans ce qui tient lieu de système économique et en particulier la position de ceux qui, dans ce système, ont un pouvoir de décision.

Nous avons souligné dans les pages qui précèdent l’ambiguïté contenue dans les réformes économiques relativement à la question fondamentale des rapports de propriété. La question qui reste à examiner à présent est celle de savoir si ces réformes ont modifié en quoi que ce soit la nature des rapports de travail ; si, en d’autres termes, en décrétant l’autonomie de l’entreprise publique, le gouvernement dit des réformateurs a réussi le pari de rendre l’entreprise publique économique efficace, c’est-à-dire de la doter d’une fonction de production à même de lui permettre de dégager un surplus accumulable. Pour ce faire il y a lieu d’étudier dans leur contenu et leurs implications économiques 699 les nouvelles lois relatives aux relations de travail 700 ainsi que les mesures prises dans le cadre de celles-ci en matière de recrutement, de licenciement et de tous autres faits marquants relatifs aux rapports de travail.

Notes
699.

Nous traiterons de leurs implications sociales et politiques dans le chapitre huitième ci-après.

700.

Principalement la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail et la loi n°90-14 relative aux modalités d’exercice du droit syndical. Ces deux lois ont été modifiées et complétées par, la première, la loi n° 91-29 et la seconde la loi n° 91-30 du 21 décembre 1991. La législation actuelle du travail comporte huit lois et plusieurs décrets datant de 1990-1991.