7.2.1. Les avancées de nature juridique dans la redéfinition des rapports de travail.

D’un point de vue juridique, la nouvelle législation du travail est en rupture complète avec le dispositif du SGT et de la GSE ayant régi jusque-là les relations de travail. Cette législation s’inscrit dans la ligne définie par le texte fondamental des réformes économiques, la loi n° 88-01 du 12 janvier 1988 par laquelle a été instituée l’autonomie de l’entreprise publique. Mais alors que celle-ci n’apparaît en fin de compte que comme un réaménagement institutionnel mineur du système d’économie étatique fondé sur la rente, la nouvelle législation du travail opère une rupture avec l’ancienne en adoptant le principe du contrat comme mode de gestion des divers aspects de la relation de travail liant employeurs et employés : « La relation de travail prend naissance par le contrat écrit ou non écrit » dispose l’article 8 de la loi n° 90-11 susmentionnée. Par le seul fait d’avoir instauré le contrat de travail, la loi modifie de fond en comble la législation existante en élevant au rang de sujets de droit les parties contractantes, à savoir l’employeur et l’employé. En ce sens il y a bien désengagement de l’Etat au profit des acteurs sociaux – l’entreprise (à travers ses représentants), certes, mais aussi le salarié qui n’a plus le statut de producteur-gestionnaire que lui attribuait formellement la charte portant organisation socialiste des entreprises (GSE). Par désengagement de l’Etat, il ne faut pas entendre le fait que l’Etat ne s’implique plus dans la gestion des entreprises (ce qui ne correspond d’ailleurs pas à la réalité) mais le fait que l’Etat n’est plus le seul sujet de droit si tant est qu’on puisse dire de l’Etat qu’il fut, dans la législation antérieure, un sujet de droit. De ce point de vue, la réforme de la législation du travail est une avancée considérable sur le chemin de la réalisation de l’individu en tant que personne et non plus seulement en tant qu’être social. La possibilité offerte aux partenaires sociaux de négocier librement les termes du contrat de travail, la reconnaissance de la liberté syndicale et de son corollaire, l’exercice du droit de grève etc. participent de la réhabilitation des principes à la base de ce que nous avons appelé dans la première partie de la présente étude le processus d’individuation. Que l’Etat garde la haute main sur la définition des normes au respect desquelles doivent se conformer les contractants, cela est dans l’ordre des choses : la notion même de droit n’implique-t-elle pas l’Etat dans ses attributs de puissance publique ? Aussi bien la nouvelle législation du travail confie-t-elle à l’Etat le rôle de définir les conditions générales de travail, la prévention des conflits collectifs ou individuels de travail, les règles auxquelles doivent satisfaire les parties en conflit dans la défense de leurs droits etc. A titre d’exemple, si la nouvelle législation reconnaît au chef d’entreprise (ici l’entreprise publique économique) le pouvoir d’édicter « les règles relatives à l’organisation technique du travail, à l’hygiène, à la sécurité et à la discipline » (article 77 de la loi n° 90-11 susmentionnée), elle lui enjoint de les consigner dans un document officiel portant règlement intérieur et de soumettre celui-ci non seulement aux représentants des travailleurs (organes de participation, section syndicale) mais aussi à l’inspection du travail territorialement compétente (institution représentant l’Etat dans ses attributs de puissance publique) pour approbation avant sa mise en œuvre (article 75). Il va sans dire que les dispositions du règlement intérieur qui dérogeraient éventuellement aux lois, règlements, conventions ou accords collectifs en vigueur sont nulles et de nul effet (article 78).

Le nouveau dispositif juridique traite bien évidemment de la cessation de la relation de travail, question d’importance s’il en est en ces temps de crise touchant au fondement même du système productif. Ce que la loi introduit de nouveau, ce n’est pas tant la possibilité de licenciement individuel (pour faute professionnelle) ou collectif (pour raison économique) mais la suppression de l’autorisation préalable de l’inspection du travail territorialement compétente, même si certains garde-fous sont élevés par elle à l’effet d’éviter des licenciements abusifs. De même la nouvelle législation reconnaît-elle implicitement le caractère conflictuel des relations de travail en élargissant aux salariés de l’entreprise publique le bénéfice du droit de grève. Cependant, si la reconnaissance du droit de grève met fin à la fiction de la convergence des intérêts des employés et de l’unique employeur – l’Etat (être omnipotent ayant le don d’ubiquité en ce qu’il se représente en chacun des travailleurs) – la grève n’en est pas moins sévèrement réglementée, preuve que l’Etat ne se désinvestit pas tant qu’on l’a dit de la sphère marchande mais qu’il s’y investit autrement. D’un autre côté, si l’initiative la plus large est laissée à l’entreprise dans la définition et la conduite de la politique de rémunération, l’Etat ne renonce pas davantage à ses attributions concernant la fixation des minima de salaire, la fiscalité sur les revenus salariaux et plus généralement l’encadrement de l’évolution des salaires en rapport avec la politique de régulation macroéconomique. Ce faisant, l’Etat ne fait qu’exercer les prérogatives attachées à ses attributs de puissance publique. Mais tous les éléments de la nouvelle législation du travail concourent à instaurer un rapport salarial de type nouveau : celui-là même qui a cours dans les économies de marché constituées et qui se trouve être à la source de leur efficacité productive avérée. Ne devrions-nous pas en attendre les mêmes effets que dans ce type d’économie ? Sans doute, à condition cependant que l’aspect formel du nouveau rapport salarial ne l’emporte pas sur son aspect réel dans l’organisation de la production et qu’il ne soit pas réduit à n’être que l’enveloppe sous laquelle les rapports de distribution à l’œuvre dans l’économie à base de rente refont leur apparition, reléguant en arrière plan les rapports de production. Dans cette éventualité, on le comprendra aisément, c’est la capacité de l’entreprise (et plus fondamentalement du système productif dans son ensemble) à produire un surplus accumulable qui sera prise en défaut.