Chapitre huitième : Libéralisation financière et ajustements monétaires en système d’économie à base de rente.

Il a été question dans les chapitres sixième et septième ci-avant de la crise du système productif algérien consécutive au contre-choc pétrolier de 1986. La note interne du Conseil National de la Planification (CNP) référencée CNP/DP RIND 93-1 du 23 novembre 1993 déjà citée tente d’en appréhender l’ampleur au moyen de quelques indicateurs. Pour la période 1986-1992, la croissance réelle de la PIB hors Hydrocarbures et Agriculture serait de -7,1% en moyenne par an. Le taux moyen d’utilisation des capacités de production industrielles hors Hydrocarbures et Energie ne serait que de 50% tandis que le taux de chômage atteindrait les 21%. Pourtant le taux d’accumulation (mesuré par le rapport Investissements/PIB) serait encore élevé – de l’ordre de 30% - ce qui tendrait à prouver, selon les rédacteurs de cette note, que la crise est une « crise d’efficacité » 716 qui appelle une « profonde restructuration » 717 . La réalité est pourtant toute différente : d’accumulation il n’y en a pas eu si par accumulation on entend, comme il se doit, la production d’un surplus investissable à même d’élargir les bases de la reproduction. N’est-ce pas ce qui motive le FMI à s’interroger dans son rapport Algérie de janvier 2003 : « Why is Growth in Algeria so low » pour répondre « […] the Algerian economy suffers from growth well below its potential and from high unemployment » 718 ? Il s’agit donc d’une crise systémique à laquelle la libéralisation financière ne semble pas de nature à porter remède.

Quant au thème de la restructuration, il avait, on s’en souvient, été le cheval de bataille de la réforme de 1980. Cette fois, ce n’était pas l’entreprise qui en était le principal objet mais l’industrie entendue au sens de corps de métiers. La note susmentionnée s’intitule tout bonnement : la restructuration industrielle. D’autres documents officiels traitaient de la restructuration industrielle 719 , inspirés par les travaux sur la question de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI). Mais la restructuration industrielle n’est elle-même qu’un sous thème du programme d’ajustement structurel (PAS) auquel les autorités algériennes ont fini par souscrire après de longues et pénibles tergiversations.

Longtemps en effet, l’Algérie officielle, en butte à de sérieuses difficultés internes que sa politique de libéralisation tous azimuts n’a pas permis de surmonter, s’en est tenue à ce que les autorités appelaient l’ajustement autonome, tentative infructueuse de rétablir les équilibres macrofinanciers par des mesures de limitation drastique des importations : en 1992, les importations de marchandises atteignaient à peine 48% de leur niveau de 1985 720 . Mais cet effort a eu les conséquences que l’on sait sur l’appareil de production industrielle installé, ce qui n’a fait qu’accroître les déséquilibres macroéconomiques à l’origine des difficultés financières du pays. Malgré elles, les autorités en étaient venues alors à accepter le principe du rééchelonnement de la dette extérieure du pays, prélude à l’adoption d’un programme d’ajustement structurel (PAS).

On a déjà indiqué dans la première partie de la présente étude en quoi consiste le PAS : dans sa formulation courante, il se présente comme un ensemble d’actions tendant à éliminer les causes des déséquilibres macroéconomiques. On cherche ainsi à agir sur les structures productives de façon à augmenter l’offre en complément des mesures de stabilisation macroéconomique destinées à réduire la demande pour alléger la pression sur ces mêmes structures productives. D’où le qualificatif structurel accolé au substantif ajustement formant l’expression « ajustement structurel » dont on présente le contenu aux pays connaissant de graves déséquilibres macroéconomiques comme une panacée. Mais le PAS est-il de nature à éliminer les causes profondes de ces déséquilibres, à savoir la non maîtrise du principe de composition et le sous-développement ? Voire ! En pratique, le PAS est revenu à appliquer un modèle d’ajustement tendant à rétablir l’équilibre de la balance des paiements quand celle-ci affichait un déséquilibre structurel. Or le terme structurel a, dans le cas d’espèce, un sens tout différent : il désigne le caractère chronique du déséquilibre de la balance des paiements sans référer à son contenu non monétaire. Ce déséquilibre est alors justiciable d’un traitement strictement monétaire étant donné le ralliement du FMI, initiateur des PAS, à l’approche monétaire de la balance des paiements qui consiste à attribuer la responsabilité du déficit des échanges extérieurs à un excès d’émission monétaire. Il n’est donc pas étonnant que le programme d’ajustement structurel en soit réduit aux mesures tendant à réduire le déficit de la BP et que les principales mesures préconisées soient de nature monétaire. Il en a été ainsi dans le cas de l’Algérie où la majeure partie des mesures prescrites par les accords passées avec le FMI 721 a de fortes implications monétaires 722 . Cela ne tient pas seulement à une question de doctrine mais aux préoccupations bien réelles des organismes financiers nationaux des pays créanciers et des organismes internationaux (à leur tête le FMI) ayant accordé des crédits à l’Algérie : il fallait assurer à tout prix la solvabilité du pays. Cela passait par la réduction de la demande d’importation plutôt que par l’augmentation de l’offre en raison tant des rigidités de celle-ci que de sa forte dépendance des importations de biens et services productifs, donc de la demande externe grosse consommatrice de devises.

L’existence de surliquidités en dinars (engendrées par l’épargne forcée qui s’est accumulée tout au long des années de pénurie) et la surévaluation du dinar (tenue pendant ces mêmes années pour la meilleure politique à suivre pour favoriser l’investissement) ont, paradoxalement, joué de concert dans l’élévation de la demande externe et dans la dégradation de la situation économique du pays dès lors qu’il a été confronté à la crise pétrolière dont l’effet immédiat a été, on l’a vu, de réduire de façon drastique les ressources en devises de l’Algérie 723 . Or ces ressources étaient la seule garantie offerte aux organismes de crédit extérieur. En dépit des objectifs qui lui étaient assignés, le PAS ne revenait à rien moins qu’à assurer par tous les moyens la capacité de remboursement de l’Algérie, ce qui ne manquait pas de se répercuter négativement, on s’en doute, sur la situation économique et sociale interne. Le présent chapitre est consacré à l’étude de la libéralisation financière, des ajustements monétaires et des ajustements sociaux qu’elle induit. Ces derniers ne sont pas que d’ordre matériel mais aussi moral et spirituel. Quant aux ajustements monétaires, ils ne peuvent occulter la question du statut de la monnaie surtout si, comme c’est l’ambition de la présente recherche, on veut aller au fond des choses dans l’appréhension des réalités pour en saisir la quintessence.

Notes
716.

L’expression est des rédacteurs du rapport (page 1).

717.

Id. p1

718.

Page 5 du rapport annexe.

719.

Voir par exemple les documents internes du Ministère de l’industrie et de la restructuration, notamment le rapport de mai 1995 intitulé « Stratégie économique globale de la phase de transition ». On y lit : « La restructuration industrielle fait partie intégrante d’un ensemble plus vaste de dispositifs de transition : promotion et soutien au développement du secteur privé existant, désengagement de l’Etat de son rôle de producteur, privatisation de certaines des entreprises publiques […] » (p 36).

720.

Chiffre tiré du document de la Banque Mondiale intitulé : Algérie, la transition vers une économie de marché, septembre 1993, p 11.

721.

Sur le contenu et la chronologie de ces accords, voir A. Belhimeur, Dette extérieure de l’Algérie, une analyse critique des politiques d’emprunt et d’ajustement, Ed. Casbah, Alger 1999.

722.

Sur les sept chapitres de l’accord de confirmation couvrant la période 1994-1998, cinq regroupent des mesures à caractère monétaire ou ayant des implications monétaires.

723.

A coûts de production interne donnés incluant les inputs importés, la surévaluation du dinar est plus grosse consommatrice de devises que son évaluation à la parité.