Pour un usage socialement utile des revenus pétroliers.

Il existe deux façons possibles d’utiliser les revenus pétroliers 844  :

Cette manière de catégoriser les usages possibles des revenus pétroliers appelle les précisions suivantes : par usages productifs on entend toutes utilisations à des fins de production d’un surplus accumulable. En économie de marché, ce sont les activités marchandes qui, seules, ont vocation à produire un surplus accumulable. Cela ne veut nullement dire que les activités non marchandes sont improductives en soi. Elles ne le sont qu’en considération du caractère non marchand du produit et donc aussi du surplus qu’elles sont susceptibles de dégager, en sorte que ce dernier ne puisse être mobilisé en tant que tel dans le procès d’accumulation. Mais ces activités n’en sont pas moins socialement utiles, ne serait-ce que parce qu’elles créent les conditions favorables au développement des activités marchandes et donc à la production d’un surplus accumulable.

Le critère de distinction entre activités productives et activités non productives est le caractère marchand ou non marchand du produit. S’il est attendu des activités marchandes qu’elles dégagent un surplus accumulable et qu’elles puissent ainsi se développer par elles-mêmes en faisant un usage productif de leur surplus, les activités non marchandes, parce qu’elles n’ont pas vocation à produire un surplus accumulable, doivent être prise en charge par l’Etat qui doit s’assurer au préalable de leur utilité sociale.

La question de savoir quelles activités relèvent de cette catégorie est une question pratique qu’il appartient aux autorités publiques du pays (en accord avec les forces sociales qu’elles représentent) de résoudre pratiquement sinon de jure. Classiquement, on associe aux activités marchandes la production de biens privés et aux activités non marchandes la production de biens collectifs. Mais cette distinction est en passe d’être remise en question dans les pays à économie de marché constituée où les activités non marchandes sont de plus en plus soumises à la rationalité du marché. Néanmoins cette nouvelle orientation ne doit rien au hasard : elle résulte d’une sorte de saturation des activités marchandes traditionnelles qui oblige le capital à trouver d’autres espaces de valorisation.

La situation est différente en Algérie où le capital est loin d’avoir soumis à sa rationalité toutes les activités marchandes de production de biens privés. C’est l’Etat qui supplée à cette carence par la prise en mains de ces activités. Mais l’Etat a montré ses limites dans cette entreprise : cherchant à incarner l’intérêt général, il est conduit à mettre en œuvre un type de rapports de travail dénué de toute efficacité productive et ne présentant de similitude que formelle avec le rapport salarial.

Cette façon de procéder s’est soldée par l’échec de la double mission dévolue à l’autorité consistant à endogénéiser le principe de composition et à élever le pays au rang d’Etat-nation. Malgré l’existence de revenus en devises qui ont levé devant lui la contrainte de disponibilités de ressources, l’Etat algérien a en effet échoué dans sa tentative de sortir le pays du sous-développement par l’industrialisation et de le hisser au rang de puissance économique. Tout bien considéré, c’est même le contraire qui s’est produit et cela a quelque chose à voir avec la disponibilité de ressources dont l’effet a été de pervertir les rapports de travail au point de les rendre inaptes à dégager un surplus et à l’investir productivement. Le pays disposait de plus d’argent que ne pouvait absorber son économie 845  ; ce qui a déterminé en grande partie l’emploi improductif des revenus pétroliers. Pourtant la matrice interindustrielle est loin d’être complètement noircie, ce qui laisse la plus grande latitude aux autorités pour décider d’une politique à même de réaliser ce que la stratégie algérienne de développement n’a pu obtenir. Dans cette perspective, il paraît indispensable de neutraliser l’effet rente sur le système productif. S’il n’est pas raisonnable de militer en faveur de l’assèchement pur et simple de ce type de revenu, il ne paraît pas déraisonnable de prôner son emploi à la réalisation des grandes infrastructures économiques qui font cruellement défaut ; infrastructures susceptibles de faciliter les investissements productifs dans les activités marchandes sans altérer leur vocation – celle de produire un surplus accumulable. Pour ce faire, force est de redéfinir les rapports de travail, ce qui doit disqualifier le type de socialité à l’œuvre dans la formation sociale algérienne. Encore faut-il pour cela reporter les yeux du Ciel vers la terre… pour voir où l’on met le pied.

Notes
844.

Nous faisons ici abstraction de l’utilisation des revenus pétroliers à des fins monstratives qui regroupent les usages au travers desquels s’affichent les positions sociales des détenteurs de parts de la rente.

845.

« Ce n’est pas le manque d’argent qui paralyse le développement. La difficulté la plus grande est l’absence de préparation sociale, culturelle et technologique – le manque de connaissance et de savoir-faire ». David S Landes, Richesse et pauvreté des nations, op. cit. p 349.