Héraclite : la dialectique du couple guerre-paix

Du point de vue historique l'homme recherche depuis toujours la paix par rapport à une réalité contraire qui s'est imposée à lui, c'est-à-dire la guerre. La pensée philosophique d'Héraclite nous offre ici quelques éclairages pour comprendre le dynamisme des contraires. Dans la pensée englobante du philosophe, il ne s'agit pas de penser dans un cadre de logique formelle où se situe l'opposition des concepts de nature contradictoire qui s'excluent l'un l'autre. Héraclite postule l'harmonie des contraires et non pas l'identité des contradictoires, impossible par nature.

Si la paix est complémentaire de la guerre, ces contraires se pensent ensemble, dans une logique non exclusive mais dialogique. On ne pourrait sans doute pas penser et réfléchir sur le concept de paix si la guerre n’avait jamais existé : ‘"’ ‘ils [les hommes] ne comprennent pas comment ce qui est en désaccord avec soi-même s'accorde. Harmonie des mouvements opposés comme celle de l'arc et de la lyre’ ‘"’ ‘ 16 ’. Entre guerre et paix, aucune des deux n’est première, la paix s’oppose à la guerre comme son contraire, sans pour autant en être la négation. Guerre et paix sont des termes et non des propositions, il s’agit de l’opposition des contraires : ‘"’ ‘(les) termes qui sont opposés comme des contraires, n'ont pas leur essence dans les rapports qu'ils soutiennent l'un avec l'autre, mais ils sont dits seulement contraires les uns aux autres. En effet on ne dit pas que le bien est le bien du mal, mais le contraire du mal...’ ‘"’ ‘’ ‘ 17 ’ ‘.’ Ainsi, on ne dit pas la paix de la guerre, mais que la paix est le contraire de la guerre. Eduquer à la paix serait dans cette optique tout autant éduquer à résister à la violence.

Si la paix, considérée comme contraire de la guerre, n'est envisagée que sous cet angle, le discours à son propos s'éteint quand cesse la guerre. Afin que le discours sur la paix ait quelque chance de perdurer, l'homme doit lui attribuer un statut supérieur à celui de la guerre. En conséquence, on ne peut dénier à la guerre toute vertu. Par exemple, dans le cas où elle est envisagée pour la défense des intérêts vitaux indispensables à la reconquête de la liberté, perdue ou bafouée.

La paix est plus que la simple négation de la guerre en ce sens qu'on ne dira pas qu'il y a une paix de la guerre, comme on pourrait parler du double de la moitié. La paix ne saurait donc se réduire à une absence de guerre. Si nous nous plaçons uniquement sur le plan de la logique, il n'y aurait aucune dissemblance entre guerre et paix d'un point de vue axiologique ; aucune des deux ne précède l'autre nonobstant le fait que l'usage lié à la langue exprime la paix comme étant le contraire de la guerre.

Précisément, en ce qui concerne la paix et la guerre, ces deux termes sont constitutifs d'une harmonie. ‘"’ ‘La guerre (Polemos), est le père de toutes choses, de toutes le roi ; et les uns, elle les porte à la lumière comme dieux ; les autres, comme hommes ; les uns elle les fait esclaves, les autres, libres’ ‘"’ ‘ 18 ’.

Polemos, père de toutes choses, puisque le terme grec est neutre et non pas masculin, ainsi que l'explique Marcel Conche19, Polemos est non pas pure violence, mais réglé et juste.

Polemos est également en toutes choses : roi ; ainsi, si les êtres et les choses sont venues à l'existence, ils doivent aussi continuer à exister afin de ne pas sombrer dans le néant. Si les choses continuent à participer et à être au monde, c'est grâce à polemos ; la lutte est constituée de leur être et le roi maintient son pouvoir sur ce qui dépend de lui. De même, la guerre est le père de dieux du combat générateur, hommes et dieux sont antagonistes. Les uns s'opposent aux autres et inversement ; ‘"’ ‘Les ’ ‘hommes sont hommes par rapport aux dieux et contre eux, les dieux sont dieux par rapport aux hommes et contre eux’ ‘"’ ‘.’ ‘ 20

Au-delà des attributs spécifiques relatifs aux dieux, immortels, et aux hommes, mortels, c'est la puissance des premiers qui les distinguent également.

Quand par exemple Achille, confronté au dilemme qui le taraude, est sur le point de succomber à la violence et tire le glaive avec la ferme intention d'occire Agamemnon, c'est Athéna qui intervient pour le convaincre sinon l'obliger à renoncer à cet acte de violence extrême et irrémédiable : ‘"’ ‘allons, lui dit-elle, termine cette querelle, ne tire pas l'épée de ta main. En paroles, outrage-le, comme cela te viendra…’ ‘"’ ‘ 21 ’.

Il s'agit là de surseoir à la violence irréparable, c'est-à-dire la mort d'un homme, afin que par un changement de plan, la vie et par conséquent le conflit, soient pérennes et maintiennent les potentialités des existences en présence. Le respect de la vie de l'autre apportera plus de bénéfice que le déficit actuellement ressenti. Ainsi, Achille acquiesce à la demande d'Athéna : ‘"’ ‘cela vaut, s'exprime-t-il, car celui qui obéit aux dieux, ils l'écoutent aussi’ ‘"’ ‘ 22 ’ ‘.’

Il n'en demeure pas moins que, nonobstant le fait que la puissance est du côté du dieu et que la faiblesse est de l'autre, c'est-à-dire de l'homme, ce dernier ne se contente pas de sa condition de mortel. Le désir de puissance l'anime et s'il veut égaler les dieux, il se heurtera alors à la ‘"’ ‘jalousie et à la justice niveleuse des dieux, lesquels, étant les maîtres de ce qui nous arrive, se plaisent à rabattre ceux qui s'élèvent’ ‘"’ ‘ 23 ’ La sagesse consistera alors à se positionner entre les dieux et l'homme et plus précisément du côté des dieux. L'homme dans cette posture intériorise le point de vue qui lui est supérieur, ce qui en découle est majeur, en ce sens que la lutte, laquelle d'abord extérieure, en vient à s'intérioriser en l'homme. Marcel Conche affirme ainsi que ‘"’ ‘le sage, s'opposant à l'homme, est devenu dieu, et les dieux ne sont plus que des projections inutiles auxquelles le sage ne croit plus. Les dieux n'étant tels que par polemos, par leur propre opposition aux hommes, comme le sage ne s'oppose plus à eux, il n'y a plus de guerre pour les produire toujours à nouveau, et ils ne sont plus que des fictions poétiques. Pour Héraclite, les dieux grecs se sont évanouis’ ‘"’ ‘ 24

Polemos fait encore de certains des esclaves et d'autres des hommes libres. Eu égard à la guerre ‘"’ ‘l'esclavage suit toujours une guerre malheureuse’ ‘"’ ‘ 25 ’ ; ce propos d'Aristote nous montre en effet que la défaite fait de ceux qui étaient libres des esclaves, et la victoire fait des hommes libres de ceux qui ne l'étaient point.

Mais au-delà des guerres que se livrent les hommes avec des armes matérielles, c'est le quotidien des relations entre les hommes qui se peuple de luttes qui se développent sur fond de pouvoir et de soumission. Ce sont ces luttes qui génèrent rancœur et ressentiment, lesquelles d'ailleurs peuvent aboutir in fine à la violence physique.

Dans cette tension, la volonté de celui qui est libre fait la loi, alors que corrélativement le non-libre voit la loi de son agir hors de lui26. Pour l'esclave, la limite est le vouloir de son maître, alors que pour le maître, l'esclave est l'extension de son être et de son pouvoir, et, seul l'homme libre à la vertu et le pouvoir de porter les armes.

Ceci nous permet d'avancer que cette situation même si elle peut apparaître tel un état de paix est en fait une situation de guerre larvée, du fait précisément de la disproportion des statuts préétablis. Il ne s'agit pas d'une harmonie de contraires mis en présence ; de fait, il s'agit plus exactement d'un déséquilibre dans la nature et l'intensité des forces en présence.

Hormis le fait qu'aucune vie n'est mise en danger, ne retrouvons-nous pas cette configuration transposée dans le domaine éducatif où le maître, ou l'adulte plus généralement, au contact du plus jeune dont il a la charge, se positionne assez couramment dans une attitude relationnelle de pouvoir. Ainsi la paix qui semble régner n'est en fait qu'une situation de tension, de nature perverse, où l'harmonie des aspirations contraires subit une distorsion. En ce cas nous ne sommes plus dans une optique dialogique, la règle prend le pas sur la loi, ce qui traduit une recherche de paix qui est en réalité une paix larvée.

C'est, à en croire Héraclite, de la distinction des contraires que naît l'impossibilité de saisir la nature profonde de leur unité. Ainsi, dans le fragment 67, il est dit que ‘"’ ‘Dieu est jour nuit, hiver été, guerre paix, satiété faim ; il se différencie comme (le feu), quand il est mêlé d'aromates, est nommé suivant le parfum de chacun d'eux’ ‘"’. Ce n'est pas en effet en terme d'énumération qu'il convient d'envisager les contraires. Il n'est pas dans l'esprit du philosophe de dire "jour et nuit" mais "jour nuit" ; de même qu'il s'agit d'entendre "guerre paix" et non pas "guerre et paix". Le couple des contraires se doit d'être saisi dans l'unité de ceux-ci, et ce n'est pas seulement en saisissant l'unité d'un couple que l'on saisit Dieu, mais en saisissant l'unité de tous les couples comme unité cosmique.

Au regard de cela, la guerre ne présente pas une valeur négative, polemos étant le père de toutes choses ; l'aspect manichéen n'est que la valorisation liée à sa spécificité contingente qui l'établit.

Le "feu un" se différencie par le parfum qu'il exhale quand il est mêlé d'aromates et ainsi, il est nommé par l'identification du parfum de cet aromate et non pas comme feu. C'est séparément que l'homme peut énoncer les différents aspects d'une même chose. Ce n'est en fait que par l'intelligence que l'unité des contraires peut être saisie. Il en est ainsi du couple "guerre paix" ; la guerre est aussi active au maintien de l'harmonie que la paix, de même que le mal à l'égard du bien.

Ainsi, poursuivant la réflexion sur la nature des rapports humains, c'est bien ici du devoir et du droit de l'autre qu'il est question, afin que le jeu des contraires puisse être effectif. Ceci est renforcé chez Héraclite par le fragment 8 DK où le philosophe indique que ‘"’ ‘l'adverse, bénéfique ; a partir des différents, le plus bel assemblage’ ‘"’. Ainsi l'ajointement est créatif d'une harmonie renouvelée.27

"Armonia " , l'harmonie, " est l'arrangement en un tout des éléments mutuellement adaptés ; la plus belle " armonia " est celle qui réalise le mieux la perfection de la chose considérée"28.

La pensée est également dialectique. Le mouvement unitaire en jeu dans toutes forces opposées est régi par l'harmonie des tensions opposées. Nous pouvons comprendre par-là que tout ce qui est, l'est dans le devenir ; devenir harmonieux nonobstant le fait qu'il n'est point pacifiste mais guerrier, au sens héraclitéen du terme, c'est-à-dire du polemos. De fait le combat des forces opposées qui sans cesse recherchent leur équilibre dynamique, et non pas statique, anime le rythme du devenir ; d'où la difficulté pour les hommes qui s'en tiennent aux perceptions immédiates, ‘"’ ‘ils ne comprennent ’ ‘pas comment ce qui s'oppose à soi-même s'accorde avec soi : ajustement par actions de sens contraire, comme l'arc et la lyre’ ‘"’ ‘ 29 ’ ‘.’ Ceci est complété par le fragment 54 où Héraclite indique que ‘"’ ‘l'ajustement non apparent est plus fort que l'ajustement apparent’ ‘"’.

Dans le cas de l'arc, il ne faut pas omettre de prendre en considération l'archer lui-même, qui dans l'harmonie de l'ensemble établit l'antagonisme de l'équilibre dynamique entre le bras gauche qui maintient l'arc et le bras droit qui, par l'intermédiaire de la main droite, saisissant l'encoche et la corde amène celles-ci jusqu'à sa poitrine.

L'arc ainsi bandé ne peut l'être qu'à la raison d'un équilibre dynamique né de forces antagonistes que l'archer initie. L'équilibre ainsi obtenu est l'exact ajustement des contraires en présence ; ce qui se concrétise par l'arc en acte30.

De même, la lyre est l'instrument qui tire sa sonorité des tensions en jeu entre les branches et les cordes, ensemble où se jouent les contraires. Dans le cas de l'archer comme dans celui du musicien, la juste connaissance des adaptations réciproques des tensions harmonieuses permet seule de conserver l'équilibre non destructif des parties du tout considéré, qui dans un cas permet à la flèche de prendre sa course, et dans l'autre cas de générer une sonorité. Le couple des tensions qui lient les contraires ne peut s'exprimer ici et être comprises qu'à considérer la mise en acte du couple arc-archer ou lyre-musicien.

De ce qui n'est pas apparent, invisible, est plus fort que ce qui est apparent, donc visible, indique l'impérative nécessité de l'action de la pensée, de la réflexion, et la nécessaire conséquence de mettre en jeu le temps qui médiatise l'action.

L'ajustement non apparent est celui des contraires : tels "jour nuit", "été hiver" et bien sûr "guerre paix".

L'ajustement apparent est de nature statique, il est trompeur parce que caractérisé par le sens du général, il est encore probabiliste, alors que l'ajustement non apparent est un lien de nécessité, celui des contraires dans leur dynamisme. L'ajustement apparent c'est le moment qui ne présume pas du devenir, c'est une apparente stabilité ; alors que nous dit Héraclite : ‘"’ ‘on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve’ ‘"’ ‘ 31 ’, c'est la fugitivité de l'instant de l'homme dans son environnement physique et psychique.

En d'autres termes : l'ajustement apparent correspond à une accommodation d'éléments opposés, c'est encore ce qui caractérise le consensus qui, s'il n'épuise pas les antagonismes ne fait que les différer ; alors que l'ajustement non apparent correspond aux énergies des forces en présence des actes et actions afférents aux conflits, ce qui conditionne le devenir, mais cela est masqué, "la nature aime à se cacher"32. C'est ce que juge pertinent Nietzsche des siècles plus tard dans "Le gai savoir" parlant de ‘"’ ‘la pudeur que met la nature à se cacher derrière des énigmes et des incertitudes bariolées’ ‘"’ ‘ 33 ’ ‘.’ Il en est de même de l'œuvre d'art qui se montre dans sa finitude temporelle et spatiale, mais la loi qui a procédé à sa production reste cachée à celui qui la contemple. S'il ressent une émotion qui à l'occasion peut se muer en opinion, il ne s'agit aucunement du prolongement de la vérité qui procéda de la production.

Ordre et désordre ne concernent pas les mêmes éléments, ‘"’ ‘il faut éteindre la démesure plus encore que l'incendie’ ‘"’ ‘ 34 ’. La démesure est chose humaine alors que l'incendie est chose naturelle pour Héraclite, même si l'on sait que l'incendie peut avoir une cause humaine. La démesure s'oppose ainsi à tout autre principe qui agit dans la nature. C'est encore le principe du désordre. Quant à la nature elle possède la capacité de réguler ses propres désordres, mais reste quasi sans pouvoir sur l'homme. Il en ressort que l'ordre naturel est mis en danger du fait de l'agir de l'homme dans la démesure. En conséquence, il doit mettre fin à son délire, sinon "hydris", la démesure engendre la violence et risque de gangrener jusqu'au lien social et politique. C'est en cela que la mesure est représentée par la loi.

Le fragment 80 explicite un peu plus encore la nature de la guerre selon le philosophe : ‘"’ ‘il faut savoir que la guerre est universelle, et la joute justice, et que, engendrées, toutes choses le sont par la joute, et par elle nécessitées’ ‘"’. Il ne faut sans doute pas, de ce qui précède, confondre la guerre au sens où généralement les hommes l'entendent d'avec la joute. Polemos l'universel, recèle en lui-même la paix. C'est "eris" qui est aussi "dikè" : la justice par laquelle tout vient à l'existence. Si dans la nature la guerre, la lutte, la joute, se confondent dans un équilibre dynamique ; il n'en est pas de même en ce qui concerne les actions humaines. L'homme introduit la violence à l'état pur quand il ne respecte aucune loi. La joute comprise par Héraclite est référée à la lutte des athlètes, codifiée et réglée. Il s'agit d'un conflit au sens de tensions mises en jeu et qui s'équilibrent de façon dynamique. C'est "hybris" , la démesure" au contraire qui vient altérer la joute et la transforme en une guerre qui, elle par contre, détruit et conduit aux catastrophes humaines, alors qu'"eris" est féconde et assure la génération des êtres et des choses.

Si l'on considère la paix universelle, exclusive de son contraire la guerre, cela signifie en fait la mort universelle car plus rien ne pourrait émerger du mouvement en tension dynamique des contraires mis en présence. Cette mise en présence non pas pour s'anéantir mutuellement, mais bien au contraire dans une joute créatrice où l'égalité est la règle qui assure le maintien des différences. Ce qui vient à l'existence s'origine dans la structure oppositionnelle des protagonistes, mais également c'est ce qui les constitue dans leur finalité d'être-au-monde-vivant.

Ce qui peut paraître stable au premier regard, en équilibre statique doit être pensé comme étant en équilibre dynamique, c'est-à-dire du non-repos ; ce qui a contrario serait en fait l'anéantissement.

La joute, autrement dit le conflit, ne concerne pas uniquement les rapports extérieurs des hommes entre eux, mais tout de même leurs tensions intérieures.

Le nom de paix n'existerait pas s'il n'y avait son contraire la guerre. De même en est-il de la vie qui n'est ainsi nommée que parce qu'il y a un autre nom : la mort. Héraclite renforce son propos dans son fragment 88 où il est dit que : ‘"sont les mêmes le vivant et le mort, et l'éveillé et l'endormi, le jeune et le vieux ; car ces états-ci renversés, sont ceux-là, ceux-là s'étant renversés à rebours sont ceux-ci"’

Il y a en effet des morts parce qu'il y a des vivants engendrés qui deviennent "engendreurs" puis meurent à leur tour. L'unité des contraires n'épuise pas leur opposition. En effet, dire : "je suis vieux, vous êtes jeune" fait de vous un futur vieux – un vieux futur – non encore vieux et, quant à moi je suis un jeune qui n'est plus jeune. C'est en ce sens que le vieux est avenir du jeune. Le statisme et l'immuabilité n'existent donc pas ; ce sont des états, des événements qui se succèdent comme l'eau du fleuve, qui coule et qui n'est jamais la même au-delà des apparences.

C'est dans le mouvement qui unit les contraires, qui permet à chaque élément de se maintenir dans un changement mesuré et une discorde réglée, que se situe l'unité ; ‘"’ ‘dans la machine à fouler, le chemin (de la vis), droit et courbe, est un et le même’ ‘"’ ‘ 35 ’ ‘.’ Le domaine de la mécanique créé par l'homme est également concerné, le philosophe en tire un exemple éclairant : une vis et son écrou sont en leur mise en présence, le lieu du jeu des antagonismes, lequel origine leur unité. L'hélice de la vis en tournant fait monter, ou descendre, celle-ci. Ainsi donc en avançant, elle tourne et inversement. L'unité de ce système repose donc bien sur l'unité des contraires en mouvement.

Ainsi, la guerre serait consubstantielle à la nature et de manière coextensive. L'homme dans sa capacité à développer la démesure pervertit le principe du polemos et par-là même du conflit. La guerre devient ainsi destructrice, l'une des parties visant à la destruction de l'autre.

Notes
16.

- Héraclite, Fragments. Frag. 51. Op. Cit.

17.

- Aristote, Catégories, chap. X. p. 55, Paris, Vrin. 1997. 144 p.

18.

- HERACLITE, Fragments, Frag. 53. Paris, PUF, 1998. 1ère édition 1986. 470 p.

19.

- Traduction et commentaires des fragments d'Héraclite. Op. Cit.

20.

- Marcel Conche, in Héraclite, Fragments. Op. Cit.

21.

- HOMERE, L'Iliade I, 2, & svtes

22.

- Ibid.

23.

- Marcel Conche, in Héraclite, fragments, Op. Cit. p. 53.

24.

- Ibid. p. 443.

25.

- ARISTOTE, Politique, Paris, Vrin 1995. Pol V 10. 1310 b 37.

26.

- Cf. Marcel Conche, Op. Cit. p. 443.

27.

- Un exemple peut être pris dans le domaine de la construction et de l'architecture ou l'invention du tenon et de la mortaise sont deux éléments dont la taille est contraire. Chaque élément seul est invalide du point de vue d'une construction ; alors qu'assemblées, ces deux parties constituent un support nouveau, solide et capable de jouer un rôle essentiel dans un nouvel ensemble. Ce sera également la spécificité de la médecine allopathique, où la médication fait appel aux contraires afin de tendre au rétablissement d'un équilibre rompu.

28.

- Marcel Conche à propos du fragment 8 P. 403.

Dans notre époque contemporaine, il est un art martial et philosophique japonais qui peut illustrer le fragment 8 DK : l'Aïkido, qui est en quelques sortes emprunt de cette approche. Cet art vise tout autant à réaliser l'équilibre intérieur de l'homme par l'union du corps et de l'esprit que de l'étendre à l'inter-relationnel, et ceci de manière non disjonctive où l'esprit de compétition est radicalement exclu. Il s'agit de la confrontation, dans la pratique entre deux personnes qui se définissent comme partenaires et non pas comme adversaires.

L'engagement a pour but non pas de voir sortir un vainqueur et un vaincu, mais au contraire qu'il se crée, dans le mouvement, une harmonie qui génère une situation nouvelle où les tensions s'équilibrent. Il s'agit d'accepter la forme d'attaque pour s'y inscrire afin de la rediriger vers son origine et ainsi d'en sortir soi-même et permettre tout de même à l'autre d'en sortir. C'est en cela que l'Aïkido est défini comme art de la non-violence – non-violence ne signifiant aucunement refus du combat ou passivité. L'harmonie peut ainsi naître du conflit originel, de la disparité mise en présence, en tension dynamique.

29.

- Frag. 51.

30.

- C'est particulièrement vrai dans le Kyudo, art du tir à l'arc japonais, où l'archer, qui considère qu'il est lui-même sa propre cible, peut ne pas décocher sa flèche avant plusieurs années, et tenir un équilibre dynamique pendant plusieurs minutes avant de contrôler la mise au repos des tensions de l'arc en douceur.

31.

- Frag. 91.

32.

- Frag. 123.

33.

- NIETZSCHE, (F.W.), Le gai savoir, Paris, LGF, 1993. 532 p. Avant propos 4.

34.

- HERACLITE, frag. 43. Op. Cit.

35.

- HERACLITE, Op. Cit. Frag. 59.