Guerre ou paix ?

Si la nature enseigne la paix et la concorde, Erasme admet que : ‘"’ ‘cette nature qui peut tout sur les bêtes ne puisse rien sur les hommes...’ ‘"’ ‘ 81 ’. Mais, il est un argument plus fort que celui de nature pour l'humaniste chrétien, c'est l'argument d'ordre ontologique : la nature est transcendée par la grâce.

La liberté pour Erasme, s'inscrit d'abord dans l'ordre de la nature selon l'idée des anciens philosophes. Cette nature est couronnée par un Dieu créateur, et sa conviction est que la nature est bonne, elle doit de ce fait être suivie, accompagnée. Cependant, en chrétien, l'humaniste pense que la nature, primitivement bonne, est corrompue par la faute d'Adam, mais l'homme ne saurait être tenu pour responsable d'une faute qu'il n'a pas commise.

L'émancipation de l'homme repose sur l'existence de sa propre liberté, celle de faire un choix, celui du bien, mais celui du mal est également possible. En conséquence, il pourra choisir l'amitié et la paix, de même que la haine et la guerre.

Le bien suprême c'est la paix, mais ceux qui aiment le monde font tendre leurs efforts en ce sens, Erasme nous indique qu'il s'agit d'une paix qui est fausse, car la sagesse ne vainc pas la malice. Le monde imaginé par la sagesse païenne, est lié aux contingences humaines sujettes à bien des instabilités. Par contre, la vraie sagesse c'est le Christ, qui est la lumière, dissipatrice de la nuit causée par la folie du monde.

La vive polémique qui eut lieu entre Erasme et Luther nous éclaire sur la manière dont Erasme aborde la notion de liberté, liberté pour l'homme. En effet, depuis longtemps, Luther reprochait à Erasme de ne pas se prononcer ouvertement sur certains problèmes relatifs à la religion et notamment à propos du libre-arbitre. Finalement, Erasme se décide et lui répond en un long traité82, qu'il souhaite être une "joute paisible et amicale".

En fait, pour Erasme, la question de la liberté de l'homme ne se pose pas. C'est contraint et forcé qu'il s'exprime sur ce sujet, l'homme peut exercer son libre-arbitre grâce à sa volonté : ‘"’ ‘De même que la raison a été obscurcie mais non détruite en ceux à qui fait défaut la grâce... de même probablement la force de leur volonté n'a-t-elle pas été détruite de fond en comble, mais rendue incapable de faire le bien. La raison est à l'âme ce que l'œil est au corps’ ‘"’ ‘.’ ‘ 83 ’ Toute volonté n'est pas détruite, il est possible de la revitaliser, car si l'homme ne possède pas son libre-arbitre, ainsi que le proclame Luther, ‘"’ ‘Qu'imputerait-on à celui qui ne peut rien faire, ni le bien ni le mal ?’ ‘"’ ‘ 84 ’.

Or, l'homme dispose bien d'une possibilité de choix, Erasme se réfère à la Bible, qu'il connaît parfaitement. L'Ecriture Sainte exhorte l'homme à la conversion : ‘"’ ‘L'Ecriture (Sainte) parle presque exclusivement de conversion. Tous ces textes ne peuvent que devenir froids, si l'on pose une fois pour toutes la nécessité d'agir bien ou mal’ ‘"’ ‘ 85 ’.

Le plus grand des préceptes, nous dit Erasme, est que la conversion de l'homme, par son libre choix, doit se réaliser : ‘"’ ‘ afin que tu reviennes au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme’ ‘"’ ‘ 86 ’ ‘.’

Dans son long discours, toujours à propos du libre-arbitre87, l'humaniste se réfère ensuite au Nouveau Testament. L'homme doit se déterminer, ‘"’ ‘or cet acte de foi lui-même est une œuvre qui ne va pas sans faire intervenir le libre-arbitre, car celui-ci s'attache à la foi ou s'en détourne’ ‘"’ ‘ 88 ’. Selon ces textes bibliques, l'homme se détermine pour le bien ou pour le mal, de ce fait les fruits qu'il en retirera en seront les conséquences, dont il sera responsable.

Nous voyons donc clairement que, grâce à la possibilité de son libre-arbitre, l'homme doit se déterminer, afin de devenir plus humain par la raison et la morale, ou alors, il va stagner dans son animalité. Ces propos seront développés plus tard également par E. Kant.

L'homme doit exercer sa liberté, mais il doit également se déterminer face à autrui, qui lui aussi doit revendiquer sa liberté, par l'exercice de sa raison et de sa morale, dans le respect de l'autre. La sagesse antique et le christianisme, légitiment cette liberté et l'accès au pouvoir de la raison se renforce.

Notes
81.

- MARGOLIN (J.Cl.), Guerre et paix dans la pensée d'Erasme de Rotterdam, Paris, Aubier-Montaigne, 1973. 380 p. p. 209

82.

- ERASME, Laffont, collection Bouquins, 1992, p. 700-772. Ce traité est intitulé : "Au nom de Jésus. Discussion ou confrontation sur le libre-arbitre. Par Désiré Erasme de Rotterdam".

83.

- Op. Cit. p. 715

84.

- Op. Cit. p. 723

85.

- Jl, II, 12 - Jn, III, 8 - Is, XLVI, 8 - Jr, XXVI, 3 ; XXVI, 4

86.

- Dt, XXX, 10

87.

- Mt, XXIII, 37 - Mt, XIX, 17, 21 ; V, 22, 28 ; XIX, 21- Jn, XIV, 15 ; XV, 7 - Lc, IX, 24

88.

- Op. Cit. p. 726