La raison contre la guerre

Les guerres sont incompatibles avec l'état d'homme, celui-ci doit faire intervenir sa raison et sa moralité dans ses jugements et décisions, faute de quoi, il se comporte comme un animal. Ce discours est repris tel un leitmotiv par Erasme tout au long du développement de "L'institution du prince chrétien" et de "La complainte de la paix". En appelant l'homme à la raison il pense que : ‘"’ ‘La sagesse des Princes coûtera trop cher à l'univers s'ils persistent à s'en remettre à l'expérience pour apprendre combien la guerre est affreuse afin que, dans leur vieillesse ils déclarent - Je ne croyais pas ’ ‘que la guerre fût à ce point désastreuse ! - Mais ô Dieu immortel, que d'innombrables maux dans l'univers entier t'auront été nécessaires pour apprendre cette maxime ! ’ ‘"’ ‘ 89 ’.

Il est intéressant de noter que le titre complet de cette œuvre, "La complainte", est en fait : "La complainte de la paix décriée et chassée de tous côtés et par toutes les nations". Elle date de 1517, elle est donc postérieure d'un an à la publication de "L'institution du prince chrétien". Erasme écrit ce texte à la prière de Jean Le Sauvage, alors chancelier de Bourgogne auprès du Prince Charles, en 151590. Ce même Prince Charles qui accède au trône d'Espagne en 1516 et devient en 1519 Empereur germanique sous le nom de Charles Quint.

A cette époque, (1516 - 1517), nous dit Erasme : ‘"’ ‘On s'occupait beaucoup de faire à Cambrai une réunion des plus grands princes de l'univers, l'Empereur, le roi de France, le roi d'Angleterre, notre Charles, afin que la paix soit scellée entre eux, comme on dit, par des liens d'acier’ ‘"’, mais : ‘"’ ‘ Les choses s'arrangèrent de telle manière qu'il aurait fallu préparer l'épitaphe de la paix, car nul espoir ne subsiste qu'elle puisse revivre...’ ‘"’ ‘’ ‘ 91 ’ ‘.’

C'est donc dans ce contexte que fut rédigé ce plaidoyer pour la paix, Erasme y reprend le thème comparatif déjà rencontré, de l'homme et de l'animal à propos de l'acte de guerre. La paix, personnifiée par l'auteur, s'exprime en ces termes : ‘"’ ‘... je vous demande quel est celui qui peut croire sans peine, que ceux qui la provoque (la guerre) sont des hommes et qu'ils jouissent si peu que ce soit des lumières de la raison, quand on les voit s'employer avec tant de volonté, d'ardeur, d'efforts, d'artifice et de danger à me bannir et à payer si cher tant de soucis et de malheurs ’ ‘"’ ‘ 92 ’.

S'il s'agissait de bêtes féroces, cela se supporterait, car c'est leur nature que d'être ainsi, mais : ‘"’ ‘La nature a créé un seul animal, l'homme, qui soit doué de raison, un seul qui soit capable de concevoir l'idée de Dieu’ ‘"’ ‘ 93 ’. L'homme doit appliquer l'exercice de sa raison afin d'éviter de se nuire à lui‑même par des guerres. Par ailleurs dans les rapports que les animaux entretiennent entre eux, le semblable vit en paix avec le semblable, alors que les hommes n'en sont pas capables compte tenu de leur manque de réflexion et de morale. L'homme, comme être humain, doit se définir par son "humanité", terme qui : " ... ne nous révèle pas la nature, mais les mœurs de l'homme, dignes de la nature"94.

Au-delà du fait que l'amitié nous soit agréable, l'homme ne peut "se passer du secours des autres hommes", et il doit accepter la nécessité de créer des sociétés. Fondement à la fois naturel et nécessaire, qui sera repris par J.J. Rousseau dans son "Discours sur l'origine de l'inégalité entre les hommes".

Notes
89.

- Op. Cit. p. 190

90.

- C'est, semble-t-il en cette même année que l'humaniste est invité à la cour du prince et nommé conseiller de Charles de Bourgogne.

91.

- Op. Cit. p. 197

92.

- Op. Cit. p. 206

93.

- Ibid.

94.

- Op. Cit. p. 208