L'orgueil comme cause de guerre

Si tant est, qu'une guerre soit déclarée juste de la part d'un prince, Erasme ne voit finalement comme mobile que : ‘"’ ‘l'ambition ou la colère, ou l'arrogance, ou l'envie, ou l'avarice’ ‘"’ ‘ 101 ’. Même si ce sont tous les êtres humains qui sont concernés afin de promouvoir la paix, en cas de conflit naissant entre princes, pour quelque raison que ce soit, ‘"’ ‘en quoi cela concerne-t-il toute la population ? ’ ‘"’ ‘ 102 ’. Ce qui doit, au contraire, animer un Prince digne de ce nom, c'est la recherche des intérêts publics dans l'harmonie qui profite à tous. Pour Erasme, l'origine du pouvoir des rois c'est d'abord le consentement du peuple, ceux-ci devraient donc répondre aux attentes de ce peuple, et non pas considérer le peuple comme une extension de leur propriété privée.

Les êtres humains doivent bénéficier d'un droit, et non pas être assimilés à du bétail, utilisé servilement à assouvir le besoin du prince de gagner des guerres et dominer les perdants, au risque de toute façon de tout perdre103. Gagner une guerre revient très souvent à perdre la liberté, même pour le vainqueur, qui doit assurer une occupation par la violence, même si celle-ci est peu apparente.

De même que la folie prenait la parole, de même la paix s'exprime-t-elle également dans la "Complainte". Elle est niée de toute part, jusque dans le cœur de l'homme, ce dernier refuge où elle espérait s'installer. ‘"’ ‘ C'est un sacrifice de maltraiter la bienfaitrice et la conservatrice de toutes les bonnes choses d'ici bas’ ‘"’ ‘ 104 ’. Les hommes luttent entre eux, que ce soit pour l'accroissement de leurs richesses, sous forme d'argent, de territoires. Et quand ils ne luttent pas, nous dit Erasme, ils calculent et ce dans le même but, celui d'accroître leur pouvoir. Ces calculs et manigances sont caractérisés par certains mariages entre les familles princières, qui donnent accès au gouvernement de régions éloignées, dans lesquelles vivent des peuples qui ont une culture différente du nouveau gouvernant, ce qui crée des difficultés au sein même de l'état en question.

Mais, au début de ce processus, il y a d'abord l'homme qui, selon Erasme, lutte avec lui-même, entre sa nature d'une part et l'exercice de sa raison d'autre part. Les passions et les illusions ont leur bien-fondé105, mais il souligne la nécessité de leur soumission à la raison, qui elle seule selon lui caractérise l'humanité dans l'homme ; cette humanité qui est à construire, parce que non naturelle. Elle se révèle lorsque l'homme est au contact d'autrui. Dès lors que ce contact s'établit, ce sont les composantes naturelles qui se présentent en premier sur le devant de la scène où se jouent les rapports entre les hommes.

La passion initiale, celle qui est le moteur des dissensions et des conflits, puis des guerres larvées ou déclarées, c'est l'orgueil. Il en est de même qu'il s'agisse du plan individuel, pour l'homme, ou qu'il s'agisse du plan collectif, pour une société ou une nation. Selon Erasme, l'homme agit en cela comme s'il était immortel, alors que sa vie est courte. Il n'y a pas de temps à perdre pour que chacun œuvre en vue de plus d'humanité.

L'orgueil et l'exercice exorbitant du pouvoir sont aveugles à la cause d'une humanité à construire. C'est un thème majeur que développe Erasme dans tous ses textes sur la guerre et la paix.

La paix n'est pas naturelle à l'homme social, elle : ‘"’ ‘réside en grande partie dans le fait de la vouloir de toute la force de son âme’ ‘"’ ‘ 106 ’. L'homme ne naît pas homme, nous dit Erasme, de ce fait, celui-ci se doit de conquérir la paix sur soi-même et non la rechercher chez autrui, en l'imposant aux autres107. Si donc, il se laisse agir par ses penchants naturels, à son égocentrisme nourri de son orgueil, l'homme ne risque pas d'atteindre l'état de paix, mais bien au contraire, il entre dans le jeu des animosités, des conflits et finalement des guerres.

Notes
101.

- MARGOLIN (J.Cl.), Guerre et paix dans la pensée d'Erasme, Paris, Aubier-Montaigne, 1973, p. 191

102.

- Op. Cit. p. 192

103.

- Op. Cit. p. 192

104.

- Op. Cit. p. 205

105.

- Cf. ERASME (D.), Eloge de la folie, Paris, GF - Flammarion, 1964. 174 p.

106.

- Op. Cit. p. 321

107.

- Op. Cit. Cf. à se propos note 153, p. 249