Le Christ, modèle de vérité pour l'homme désireux de promouvoir la paix

Suivant les propositions d'Erasme, la réflexion alimentée par l'étude des philosophes de l'antiquité, doit permettre le recul indispensable pour faire face aux problèmes que les hommes ont à résoudre au cours de leur vie. Les sagesses antiques sont cependant insuffisantes pour promouvoir la paix, le modèle référent c'est l'Evangile, et, à travers l'enseignement de celui‑ci, c'est le Christ auquel il convient de se référer.

C'est dans le "Manuel du soldat chrétien", qu'Erasme condense les préceptes de l'Evangile, écrit en latin, cet ouvrage reste inaccessible aux simples hommes qui n'ont bénéficié d'aucune instruction, même élémentaire. Sont regroupés et commentés dans ce manuel, les préceptes que doit, selon l'humaniste batave, suivre tout chrétien digne de ce nom, ‘"’ ‘place devant toi le Christ comme l'unique but de toute ta vie, auquel tu rapportes toute ton application, tous tes efforts, tout ton temps de repos et d'activité’ ‘"’ ‘ 141 ’. Pour Erasme, le Christ, est la vérité. Il n'est pas le modèle qui doit être copié aveuglément sans réfléchir, il est le modèle qui doit éclairer l'homme qui souhaite grandir en humanité, en respectant les principes développés dans l'Ecriture. Ainsi, l'homme doit privilégier particulièrement la fraternité envers l'autre et éviter de juger, il n'est pas à l'abri de l'erreur, il doit donc exercer sa raison et pardonner.

La vérité, quant à elle, n'est pas du ressort de l'homme, il peut seulement s'en approcher, avec prudence. Rien n'est tout noir ou tout blanc. Les phénomènes liés à la vie des hommes ne peuvent pas être aussi tranchés que cela, ils relèvent d'une nature complexe, que l'homme ne saurait connaître dans sa totalité.

C'est en faisant preuve d'humilité, que l'homme tire le plus de bénéfices de sa réflexion ; c'est également en construisant une morale, où peu à peu, chaque être puisse trouver une place dans le temps et dans l'espace pour réaliser et accomplir sa vie. Afin d'accéder à un état supérieur d'évolution, l'être humain a l'obligation d'abandonner le précédent, mais sa quête est sans limites et la vérité lui reste inaccessible. Il peut sans doute, vivre et agir dans un esprit de vérité tout en ignorant les fondements mêmes de la "vérité"142.

Ainsi pour Erasme, comme pour beaucoup d'hommes, la vie est donnée à l'homme, elle trouve son origine en Dieu, il en est de même de l'origine et de l'essence de la vérité143. Pour certains hommes encore, l'origine de la vie peut être due à une conjonction complexe de causes inexpliquées, ce qui, dans ce cas, n'élucide en aucune manière le problème posé.

Ce n'est donc pas l'homme qui donne la vie, et, dans ces conditions, celui-ci n'agit pas dans l'esprit de vérité lorsqu'il arrache la vie à un autre homme. Cette raison suffirait déjà à condamner la guerre et à y préférer la paix et la concorde. Le respect de la vie d'autrui est assurément un concept majeur que l'homme, digne de ce nom, se doit de respecter.

Ce respect de la vie, doit être au centre d'une éducation à la paix. Cette éducation devant prendre appui sur la mise en pratique de situations concrètes, plaçant les hommes dès leur enfance, face à des problèmes relationnels leur permettant d'exercer leur raison, et qui de ce fait, peuvent trouver des éléments de solution en regard d'une morale respectueuse de l'humanité en chaque être humain, conduisant à une paix conjointement désirée.

La vérité accessible à l'homme est liée à l'incarnation, le monde sensible est vrai pour l'homme. Le monde suprasensible ne peut quant à lui que faire l'objet d'hypothèses. La raison ne peut qu'approcher, sans certitudes les conclusions déduites. La seule vérité susceptible de connaissance, serait celle qui comme l'homme est incarnée.

L'étude des sagesses anciennes, par l'intermédiaire des textes d'auteurs, doit permettre à l'homme, selon Erasme, de forger ses idées et d'exercer sa raison. La nécessaire connaissance du latin et du grec, voire de l'hébreu144, donne accès à la philosophie, alors que les langues vernaculaires sont une dégénérescence des précédentes et ne peuvent pas véhiculer les idées d'universalisme.

L'Evangile, préconisé par Erasme comme modèle d'inspiration à suivre, est simple dans ses préceptes de base : aimer son prochain comme soi-même, faire aux autres ce que l'on aimerait que l'on nous fasse. Cette simplicité, porte en elle-même la difficulté paradoxale de l'application de ces préceptes par l'homme dans ses actions, dans ses agissements envers les autres hommes. Cette simplicité, s'oppose encore, par les conséquences des actes qu'elle suggère à la nature même de l'homme, telle que nous l'avons vue précédemment.

Afin que l'homme, le chrétien, puisse éclairer son propre esprit, Erasme résume la doctrine qu'il préconise dans son "Manuel", particulièrement dans le chapitre : ‘"’ ‘Des trois parties de l'homme, l'esprit, l'âme et la chair ’ ‘"’. Il écrit en substance : ‘"’ ‘Ainsi donc l'esprit fait de nous des dieux, la chair des bêtes brutes. L'âme nous constitue comme êtres humains, l'esprit comme pieux, la chair comme impies. L'esprit cherche le céleste, la chair les suavités du plaisir, l'âme le nécessaire. L'esprit élève au ciel, la chair fait descendre aux enfers, à l'âme rien n'est imputé. Tout ce qui est charnel est honteux ; tout ce qui est spirituel, parfait ; tout ce qui est de l'ordre de l'âme, mitoyen et indifférent’ ‘"’ ‘ 145 ’ ‘.’ Erasme précise encore, les trois maux qui sont à craindre pour l'homme, ce sont respectivement : ‘"’ ‘l'aveuglement fait obstacle au jugement de la raison... la chair trouble l'affectivité et corrompt la volonté... la faiblesse brise la constance’ ‘"’ ‘ 146 ’ ‘.’

Contre l'aveuglement, l'homme dispose de la foi, qui doit être indéfectible ; contre la chair, l'homme doit lutter avec sa foi et l'aide de Dieu ; enfin, contre la faiblesse, qui fait quitter le modèle de la vie du Christ, l'homme doit reconsidérer les soucis de la vie dans le monde, en regard de la tranquillité que lui procure la bonne conscience : ‘"’ ‘... aucune joie ne manque quand la conscience est ’ ‘en paix’ ‘"’ ‘ 147 ’. Si le germe de l'esprit de paix, placé en l'homme, se développe, il est possible d'espérer qu'entre les hommes, il se développe également pour générer l'état de paix.

Par ailleurs, l'homme est un élément de la communauté humaine, le chrétien ne doit jamais se croire : ‘"’ ‘né pour lui seul... qu'il tienne que tous les biens sont communs à tous. La charité chrétienne ne connaît pas de droit de propriété’ ‘"’. Considérer la différence entre les hommes ne doit pas conduire à l'hostilité, "cela ne respire pas le christianisme. "Ne sommes-nous pas, fait remarquer Erasme148, membres "d'un seul corps, animés d'un même esprit ?"149. Et, si l'homme a des motifs de se sentir blessé, qu'il pardonne la faute : ‘"’ ‘veillant ainsi à ce qu'il n'y ait rien qu'on ait à (lui) pardonner’ ‘"’ ‘ 150 ’.

Notes
141.

- Cf. bibliographie : Manuel du soldat chrétien, p. 137.

142.

- Cf. KANT : Prolégomènes à toute métaphysique future, Paris, Vrin, 1993 - 13, remarque 2 : "nous ne connaissons que les phénomènes, c'est-à-dire les représentations... affectant nos sens."

143.

- Cf. DESCARTES : Discours de la méthode, Paris, GF - Flammarion, édit. 1992, p. 59 : "... si nous ne savions point que tout ce qui est en nous de réel et de vrai vient d'un être parfait et infini, pour claires et distinctes que fussent nos idées, nous n'aurions aucune raison qui nous assurât qu'elles eussent la perfection d'être vraies."

144.

- Erasme est parmi les initiateurs du Collège trilingue de Louvain.

145.

- Cf. M anuel du soldat chrétien, Op. Cit. p. 124.

146.

- Op. Cit. p. 128.

147.

- Op. Cit. p. 135.

148.

- Erasme fait référence ici à St Paul : 1. Cor., 12,12-25, 27.

149.

- Op. Cit. p. 176-179.

150.

- Op. Cit. p. 181.