Pour Jean-Jacques Rousseau, contrairement à Hobbes, l'homme est naturellement bon, la méchanceté, que celui-ci développe, est d'origine politique, car dans le domaine de l'inégalité, il faut selon le philosophe genevois, dissocier l'inégalité naturelle d'ordre physique, intellectuelle ou encore morale de l'inégalité politique, ces dernières ne sont en fait que des productions humaines. C'est la solitude qui confère l'indépendance, puisque les relations entre les hommes sont au départ inexistantes. Selon Rousseau, il y a confusion chez certains philosophes qui ‘"’ ‘ont transporté à l'état de nature des idées qu'ils avaient prises dans la société’ ‘"’ ‘ 169 ’ ‘.’ En fait, toujours selon Rousseau, l'homme est bon par nature ; ‘"’ ‘nous posons comme maxime incontestable, écrit-il dans l'Emile, que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain ; il ne s'y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il y est entré’ ‘"’ ‘ 170 ’.
La pureté originelle n'est qu'instinctive, il ne s'agit pas de la part de l'homme d'un choix moral ; cependant qu'étant perfectible, il va se transformer, ceci ne voulant pas signifier que ce soit nécessairement dans le sens du bien, il peut en effet tout autant progresser que régresser. Mais, pour l'homme, sortir de l'état de nature au contact de ses semblables, nécessite l'institution d'un type de relation entre les hommes qui devra établir ‘"’ ‘si dans l'ordre civil il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre’ ‘"’ ‘ 171 ’. Le problème est crucial, car l'état primitif ‘"’ ‘ne peut plus subsister… le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être’ ‘"’. Les conditions existentielles ne sont pas compatibles avec l'essence de l'homme. Cependant, le contrat historique est le "droit du plus fort"172. Les puissants forcent les faibles, s'assurant leur dépendance en leur promettant la sécurité ; "le riche, pressé par nécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain ; ce fut d'employer en sa faveur les forces mêmes de ceux qui l'attaquaient", et, ‘"’ ‘tous coururent au-devant de leurs fers croyant assurer leur liberté ; car avec assez de raison pour ’ ‘sentir les avantages d'un établissement politique, ils n'avaient pas assez d'expérience pour en prévoir les dangers’ ‘"’ ‘ 173 ’ ‘.’ Il s'agit là en définitive d'un "contrat de violence", d'inégalité légalisée.
Or, par sa nature d'égalité, ‘"’ ‘aucun homme n'a autorité naturelle sur son semblable’ ‘"’ ‘ 174 ’. L'homme va alors penser un contrat "idéal". C'est la raison qui doit être le guide pour trouver la forme d'association politique qui soit capable, tout en respectant en chaque homme la vérité première, de garantir la sécurité des hommes libres et égaux à la fois. Il s'agit de former un pacte social, nous dit Rousseau, de ‘"’ ‘trouver une forme d'association qui défende et protège de toute force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'avant. Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution’ ‘"’ ‘ 175 ’. Cette fois, nous sommes en présence d'un contrat de paix et d'égalité.
Pour compléter cette approche, Jean-Jacques Rousseau fait remarquer que la liberté individuelle n'est en aucune façon aliénable, si ce n'est, dans la mesure où l'homme fait ce choix, qu'il reçoive alors en échange la liberté civile. Il écrit dans le Contrat qu'à l'acquis de l'état civil, on peut ajouter la liberté morale, ‘"’ ‘qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté’ ‘"’ ‘ 176 ’ ‘.’
Au-delà de son inaliénable liberté, l'homme a pour Jean-Jacques Rousseau obligation, quasi ontologique, d'y renoncer, sinon dans ce cas c'est alors "renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs"177.
Il ne fait aucun doute que pour Rousseau l'état de paix est antécédent à l'état de guerre ; corrélativement au fait que l'état de nature précède l'état de société civile. Cependant, à l'état de nature, l'homme est potentiellement autant paisible que violent, mais demeure neutre du fait qu'il vit dans la solitude ou presque, il n'est pas contraint de vivre de manière continue au contact de ses semblables ; il pourrait ainsi être qualifié d'innocent178.
L'entrée en société est fondée par opposition sur l'appropriation par l'homme d'une partie de ce qui, jusqu'alors, appartenait à tous, ce qui est générateur de violence. Cependant la guerre ne saurait être un type de relation interindividuelle, ce que développe Rousseau dans la seconde partie du Discours. Dans leur état de ‘"’ ‘primitive indépendance, écrit-il, [les hommes] n'ont point entre eux de rapport assez constant pour constituer ni l'état de paix ni l'état de guerre... C'est le rapport des choses et non des hommes qui constitue la guerre, et l'état de guerre ne pouvant naître des simples relations personnelles.... la guerre privée ou d'homme à homme ne peut exister’ ‘"’ ‘ 179 ’.
Ce n'est pas pour autant que la rencontre entre deux être humains ne puisse pas être conflictuelle et violente.
Les contrats particuliers ne sauraient constituer ce que Jean-Jacques Rousseau définit comme état de guerre, qui est selon lui, "une relation d'Etat à Etat", dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, ‘"’ ‘non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats ; non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs’ ‘"’ ‘ 180 ’ ‘.’
L'Etat est un artefact, de ce fait l'homme en est le responsable ; celui-ci doit garantir les composantes de la vie de l'homme dans les domaines physique, intellectuel et moral.
Dès lors, selon le philosophe, seul le pacte social serait garant de l'état de paix, qui va sans cesse se réactualisant du fait même que l'homme est homme. C'est par la volonté législatrice de l'homme que peut se constituer l'Etat.
Il s'agit de limiter les effets des conflits, afin que ceux-ci ne dégénèrent pas en violence et en guerre. Ce développement, les Etats occidentaux et industriels l'ont mené de façon indéniable, cependant, " aux frontières il n'y a pas de pouvoir commun"181.
- ROUSSEAU, (J.J.), Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, GF - Flammarion, 1971. p. 168.
- ROUSSEAU, (J.J.), L'Emile, Paris, GF - Flammarion, 1966. 629 p. p. 111.
- ROUSSEAU, (J.J.), Du contrat social, Paris, GF-Flammarion, 1992. 169 p. p. 27.
- Ibid. Chap. III, p. 32.
- ROUSSEAU, (J.J.), Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité entre les hommes, Paris, GF-Flammarion, 1971. 272 p. pp. 238-239.
- ROUSSEAU, (J.J.), Du contrat social. Op. Cit. p. 33.
- Ibid. p. 39.
- Ibid. p. 44
- Ibid. p. 34.
- au sens étymologique de non nuisible, non coupable.
- Ibid. p. 35.
- Ibid.
- CHANTEUR, (J.), De la guerre à la paix, Op. Cit. p. 209.