Le rêve d'un monde chrétien pacifié

Nous avons vu avec Erasme de Rotterdam, que le christianisme au cours de la Renaissance a développé et nourri le rêve d'irénisme. Lors de cette période charnière dans l'histoire de l'humanité, les guerres sont le quotidien de beaucoup d'hommes.

De son côté Rabelais avec son Gargantua, écrit en 1534, deux ans avant la disparition d'Erasme, va mettre en scène ‘"’ ‘l'attitude des bons géants, faite de sagesse et de fermeté, [face] à la frénésie de conquêtes des princes du temps’ ‘"’ ‘ 213 ’ ‘.’ Montaigne également évoque les méfaits de la guerre dans ses Essais que ‘"’ ‘Dieu, écrit-il, doit son secours extraordinaire à la foi et à la religion, non pas à nos passions. Les hommes y sont conducteurs et s'y servent de la religion ; ce devrait être tout le contraire’ ‘"’. Cependant si l'auteur des Essais voit la guerre comme une "maladie humaine"214, le monde païen quant à lui n'est pas concerné. Il affirme que la guerre ne concerne pas les cannibales chez lesquels ‘"’ ‘la guerre est toute noble et généreuse… elle n'a d'autres fondements que la seule jalousie de la vertu. Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette uberté’ ‘ 215 ’ ‘ naturelle qui fournit sans travail et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites’ ‘"’ ‘.’

Or, en ce qui concerne le monde chrétien ‘"’ ‘quant à la guerre qui est, poursuit Montaigne, la plus grande et pompeuse des actions humaines, je saurais volontiers si nous en voulons servir pour argument de quelque prérogative, ou, au rebours, pour témoignage de notre imbécillité’ ‘ 216 ’ ‘ et imperfection ; comme de vrai la science de nous entredéfaire et entre-tuer, de ruiner et perdre notre propre espèce, il semble qu'elle n'a pas beaucoup de quoi se faire désirer aux bêtes qui ne l'ont pas’ ‘"’ ‘ 217 ’.

Ce sont les puissants qui sont mis en cause, ne sont-ce pas eux qui déclenchent les guerres par orgueil et ambition ! A l'instar du manque de sagesse de Pâris, Montaigne rappelle que ‘"’ ‘l'envie d'un seul homme, un défit, un plaisir, une jalousie domestique, cause qui ne devrait pas émouvoir deux harangères à s'égratigner, c'est l'âme et le mouvement de tout ce grand trouble’ ‘"’ ‘ 218 ’. C'est encore Fénelon, évêque de Cambrai, qui à partir de 1685, va critiquer de manière véhémente les guerres de Louis XIV et affirmer qu'en fin de compte, ‘"’ ‘il n'y a presque point de guerre, même heureusement terminée, qui ne fasse beaucoup plus de mal que de bien à un Etat’ ‘"’ 219.

Ces conceptions sont initiées et soutenues par des hommes, restant peux nombreux eu égard au fait que ce sont des lettrés, qui voient dans les guerres des actions fratricides qui déchirent la communauté chrétienne.

Jean Defrasne fait remarquer que ‘"’ ‘le pacifisme [comme mouvement d'idées] n'apparaît au milieu du [XVIIe] siècle que dans les sectes protestantes qui proscrivent la violence et refusent le service armé. C'est le cas des Frères Moraves dont l'un d'eux, Comenius, écrit dans le Panegersia ou réveil universel en 1645 : la voie d'unité consiste en une union générale de toute la race humaine’ ‘"’ ‘ 220 ’ ‘.’

La Franc-maçonnerie est créée en 1717 à Londres, puis en 1732 à Paris. Son objectif est de développer l'esprit de fraternité entre les peuples. C'est Ramsay qui rédige le ‘"’ ‘Discours établissant les principes fondamentaux de la Franc-maçonnerie française’ ‘"’ en 1738. Ramsay proclame que ‘"’ ‘l'amour de la patrie mal entendu et poussé à l'excès détruisait souvent dans les Républiques guerrières l'amour de l'humanité en général… Les hommes ne sont pas distingués essentiellement par la différence des langues qu'ils parlent, des habits qu'ils portent, des pays qu'ils occupent, ni des dignités dont ils se revêtent. Le monde entier n'est qu'une grande République dont chaque nation est une famille et chaque particulier un enfant’ ‘"’ ‘ 221 ’ ‘.’

Notes
213.

- DEFRASNE, (J.), Op. Cit. p. 16.

214.

- MONTAIGNE, Essais, Op. Cit. Tome I. Chap. XXXI, p. 309.

215.

- Abondance (du latin ubertas)

216.

- Faiblesse.

217.

- MONTAIGNE, Op. Cit. Tome II. Chap. XII, PP. 182-183.

218.

- Ibid. p. 184.

219.

- FENELON, Direction pour la conscience d'un Roi ou examen de conscience sur les devoirs de la royauté. Source : http://gallica.bnf.fr/fonds_textes/

220.

- Cité par J. Defrasne, in Le pacifisme, Op. Cit. p. 25.

221.

- Le Discours de Ramsay. 1ère partie (1738) : http://reunir.free.fr/fm/txthisto.htm