Pacifisme et internationalisme

C'est en 1864 qu'est fondée à Londres la première Internationale ouvrière. Elle se montrait prudente à ses débuts quant aux prises de positions dans le champ politique ; ensuite, devenue d'obédience marxiste après avoir été sous l'influence proudhonienne, elle considère la guerre comme une des contradictions du capitalisme, et celle-ci en définitive, selon cette idéologie, doit mener à l'affaiblissement de celui-là.

Le 12 juillet 1870, quelques jours avant le début des hostilités entre la France et l'Allemagne, les membres parisiens de l'Internationale publient dans "Le réveil" leur manifeste "aux ouvriers de toutes les nations". Ils écrivaient en substance : ‘"’ ‘Une fois encore, sous prétexte d'équilibre européen et ’ ‘d'honneur national, la paix du monde est menacée par les ambitions politiques. Travailleurs de France, d'Allemagne et d'Espagne, unissons nos voix en un même cri de réprobation !… La guerre pour une question de prépondérance et de dynastie ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu'une criminelle folie’ ‘"’ ‘ 252 ’ ‘.’ Les auteurs surestiment le pouvoir de l'Internationale et veulent encore croire que l'idée même de la guerre n'aura pas prise, et par conséquent qu'elle n'aura pas lieu. Marx craint malgré tout que la guerre n'éclate ; dans sa "Première adresse", il écrit : ‘"’ ‘les principes de l'Internationale sont toutefois trop largement répandus et trop fortement enracinés dans la classe ouvrière allemande pour que nous ayons à redouter une issue aussi triste’ ‘"’ 253. Un meeting d'ouvriers allemands se tient à Brunswick le 16 juillet, il vient conforter les espoirs de l'Internationale. Dans leur résolution finale, les ouvriers signifient : ‘"’ ‘nous sommes ennemis de toutes les guerres’ ‘"’ ‘ 254 ’, ils en appellent à la classe ouvrière allemande à rendre la guerre impossible s'ils sont contraints de subir une guerre défensive. A Chemnitz, un autre meeting voit sa résolution orientée dans le même sens : ‘"’ ‘nous sommes heureux de saisir la main fraternelle des ouvriers de France…’ ‘"’. La section berlinoise se joint également à ce mouvement : ‘"’ ‘nous nous joignons solennellement à votre protestation, nous promettons que ni le son de la trompette ni le rugissement du canon, ni la victoire ni la défaite, ne nous détourneront du travail commun pour l'union des ouvriers de tous les pays’ ‘"’ ‘ 255 ’ ‘.’ Plus tard, la guerre ayant fait ses ravages, Eugène Dupont, correspondant de l'Internationale dira que nombre d'ouvriers ‘"’ ‘se sont laissés aveugler par le patriotisme’ ‘"’ ‘ 256 ’. Il s'en suivra la période qui s'écoule de 1870 à 1914, elle est caractérisée par une situation de paix armée. La défaite de la France marque de manière significative le pays ; l'Assemblée Nationale de 1871 est largement monarchiste, conservatrice et les hommes qui la composent sont largement partisans de la paix. Pour les républicains la patrie est meurtrie et déshonorée ; ils sont d'abord prudents, mais le nationalisme se développe peu à peu et gagne les conservateurs, tel Jean Macé, instituteur pacifiste de 1869. Il préface en 1885 le ‘"’ ‘Manuel de tir à ’ ‘l'usage des écoles’ ‘"’ ; Paul Bert257 crée conjointement les bataillons scolaires. C'est alors que l'on assiste au rejet du pacifisme et à un regain en faveur du militarisme.

Les événements liés à l'affaire Dreyfus en 1894 vont contrebalancer un temps cette montée en puissance des attitudes belligènes par un renforcement de l'antimilitarisme. Les dangers inhérents à la guerre vont inquiéter et mobiliser des hommes tels Romain Rolland et Charles Péguy. Dès 1912, la France est le témoin d'un nouveau revirement concrétisé par le renforcement du nationalisme et l'élection de Poincaré à la présidence en 1913. Cette même année le service militaire est porté à une durée de trois ans.

Cependant, les tenants du pacifisme ne sont pas absents de la scène publique. En 1885, était fondée "l'Association de la Paix par le Droit", les principales thèses relatives au pacifisme sont rassemblées dans "Le rôle de la guerre" de Jean Lagorgette ; ce qui conduit Faguet à réfuter "le pacifisme essentiellement chimérique" en 1908258.

Il faut également noter qu'une chaîne d'événements œuvre en direction d'un développement pacifique des relations internationales, concrétisée par la création d'organismes internationaux tels que : "L'institut international du Droit" à Bruxelles en 1873 ; "l'Union interparlementaire" en 1889 ; le Bureau de la Paix à Berne en 1891 ; et, en 1896, un prix Nobel de la Paix est fondé. A l'initiative du Tsar, une conférence de la paix est réunie à La Haye en 1899. A l'issue de cette conférence des conventions sont votées, elles concernent le droit de la guerre. Une cour d'arbitrage permanente voir également le jour en même temps que la construction d'un palais de la paix à La Haye.

En 1908 se profilent des accords internationaux entre, d'une part les Etats-Unis, et douze Etats européens d'autre part, en vue de l'organisation juridique des rapports internationaux. Léon Bourgeois, représentant de la France aux conférences de La Haye, déclare que le but en est la "formation d'une société de droit entre les nations", puis ajoute que "la société des nations est créée, elle est bien vivante"259.

En réaction à l'activisme nationaliste, le mouvement pacifiste gagne les milieux universitaires. L'idée que les progrès de l'humanité ne reposent pas sur le guerre fait son chemin et l'apologie de la guerre, influencée par la philosophie de Hegel, est dénoncée. Lavisse historien et professeur à la Sorbonne, déclare ‘"’ ‘travailler contre la guerre, c'est agir dans le sens de l'avenir’ ‘"’ ‘ 260 ’. Le patriotisme enseigné à l'école est dénoncé par Gustave Naquet, il déplore qu'enseigner ‘"’ ‘aux enfants à aimer leur patrie, c'est hélas ; leur apprendre à respecter une discipline odieuse’ ‘"’ ‘ 261 ’. Parallèlement, les instituteurs accusés d'antipatriotisme seront défendus par Ferdinand Buisson. Les instituteurs, initialement les "Hussards noirs de la République", jusqu'aux environs de l'affaire Dreyfus, se déclarent patriotes. Mais, au début du Xxe siècle, ils sont influencés par le mouvement syndicaliste de la CGT.

A la dissolution du syndicat des instituteurs par le gouvernement, suite au congrès de Chambéry de 1912 ou fut votée une aide financière au bénéfice des appelés, les instituteurs se déclarent résolument pacifistes. ‘"’ ‘Nous croyons, affirment-ils, tout proche le moment où les conflits internationaux se règleront sans effusion de sang, de par la volonté souveraine des peuples intéressés. Et nous nous ne saurions trop protester contre les excitations chauvines et les manœuvres de politiciens et financiers qui risquent à chaque instant de provoquer une conflagration générale’ ‘"’ ‘ 262 ’.

Notes
252.

- Cité par Karl Marx, in La guerre civile en France : Première adresse du conseil général sur la guerre franco-allemande, aux membres de l'association en Europe et aux Etats-Unis. (Londres le 23 juillet 1870). Paris, éditions sociales, 1968. 118 p. p. 27.

253.

- Ibid. p. 29.

254.

- Ibid. p. 30.

255.

- Ibid.

256.

- Cité par Jean Defrasne, Op. Cit. p. 67.

257.

- En 1881, Paul Bert, député et futur ministre de l'Instruction Publique, affirme que “dans tout citoyen il doit y avoir un soldat toujours prêt”. Il publie un Manuel de gymnastique et des exercices militaires. Le 19 Juillet la Municipalité de Paris attribue un crédit de 250 000 francs destiné à organiser les enfants en bataillons armés et équipés. En 1882, Jean Macé, président de la Ligue de l'Enseignement déclare : “L'important, c'est de commencer tout de suite et de donner aux campagne de France le spectacle de leurs enfants se préparant, dès l'Ecole, à défendre le sol de la patrie, si jamais l'étranger essayait de revenir le fouler”.

258.

- Cf. Jean Defrasne, Op. Cit. p. 71.

259.

- Léon Bourgeois, cité par Jean Defrasne, Op. Cit. p. 72.

260.

- Ibid. Lavisse est également Directeur de l'Ecole Normale Supérieure de 1904 à 1919.

261.

- Ibid.

262.

- Source : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Document/