Le pacifisme à l'épreuve des faits

Le déclenchement du conflit de la Première Guerre Mondiale, suite au jeu des alliances après l'attenta de Sarajevo, ruine les espérances d'actions pacifistes des socialistes en 1914. L'assassina de Jaurès le 31 juillet de cette même année ruine plus encore les efforts et les espoirs des socialistes de voir la paix se prolonger plus longtemps ; et, c'est la mise à mal de la seconde Internationale. Engagée dans le conflit, la France n'exprime guère en 1914 d'idées pacifistes. Cependant en 1916, la prolongation de la guerre provoque une certaine audience à l'endroit du pacifisme, alors que la majorité restait attachée à l'union sacrée.

Jean Defrasne fait remarquer que lors de la crise, il est difficile ‘"’ ‘d'apprécier le rôle exact que le pacifisme [a eu] dans le fléchissement de 1917’ ‘"’ ‘ 263 ’ ‘.’ Il y eut bien la distribution des tracts pacifistes, notamment à l'initiative de Sébastien Faure, mais il reste illusoire d'en déduire le degré d'incidence sur les mutineries qui suivront. Il semble bien qu'il s'agisse plutôt de la composante majeure qui correspond à l'échec des offensives de Nivelle, ainsi qu'une lassitude des soldats et de leurs conditions de survie dans les tranchées264.

Après ces quatre années de guerre sanglante, et sans précédent dans l'histoire de l'humanité (avec ses 8 500 000 morts), la paix est un impératif. Il s'agit de refondre le statut mondial ; Wilson, président des Etats-Unis d'Amérique, élu en 1912, soucieux de fonder la paix sur le droit, impose ses conceptions. C'est une nouvelle carte de l'Europe qui est établie ; chaque nationalité dispose d'un Etat et de l'institution d'un gouvernement démocratique.

La Société Des Nations (SDN) est créée le 28 juin 1919, son siège est établi à Genève. Cette création semble vouloir réaliser l'ancien rêve de paix, par l'arbitrage international qui a pour vocation fondamentale de devoir éviter les guerres futures. Deux éléments majeurs sont porteurs de son inefficacité et de l'échec à venir : en première part les pays vaincus en sont exclus, et secondement les Etats-Unis d'Amérique n'acceptent pas d'en faire partie.

Nous pouvons également ajouter un troisième élément : en effet, si la SDN est fondée sur le droit, elle ne dispose pas de force ad hoc. Il était sans doute naïf de penser que la seule existence de cette institution devait conduire au désarmement ainsi que l'imaginait Wilson. En conséquences, les simples accords et déclarations passés entre Etats membres de la SDN peuvent être rompus unilatéralement, d'autant qu'aucune force conférée ne peut venir contraindre les volontés contrevenantes qui décident d'agir en violation de ces accords.

Le traité de Versailles était par ailleurs trop frappé d'iniquité pour ne pas générer du ressentiment de la part des vaincus, ce qui le temps venu sera un vecteur belligène non négligeable pour les conflits futurs. Suite à la Première Guerre Mondiale on a pu croire que la paix était rétablie en Europe, alors qu'une vingtaine d'année plus tard la seconde Guerre Mondiale allait éclater. Deux options vont s'affronter à partir des années 1920. L'une, soutenue par Clemenceau et par Poincaré ensuite, vise à s'en tenir aux conditions fixées par le traité de Versailles ; l'autre option, que défend Aristide Briand, porte son espoir sur la SDN et le désarmement comme condition de sécurité internationale. Briand, nommé délégué auprès de la SDN en 1924, va s'employer à la réconciliation européenne, particulièrement entre la France et l'Allemagne. Sans doute voit-il un net progrès en ce sens quand l'Allemagne entre à la Société Des Nations en 1926265. Il s'emploie a rapprochement des deux pays afin de faire en sorte que leurs intérêts respectifs soient mêlés de telle manière qu'une nouvelle guerre ne soit pas possible. Cependant les Etats-Unis sont toujours en dehors de la SDN. Néanmoins, le pacte Briand-Kellog266 est malgré tout un progrès, outre le fait qu'il s'agit de ratifier les bonnes intentions des signataires, sans plus. Lors de la conférence de Locarno en 1925, Briand déclarait lors de son ouverture : ‘"’ ‘c'est la collaboration entre pays qui s'ouvre, les Etats-Unis d'Europe commencent’ ‘"’ ‘ 267 ’. Quelques années plus tard, en 1931, il présente la France comme "le soldat de la paix"268. Dans les années 1930 le concept de non-violence apparaît en Europe, sous l'action de Gandhi notamment. Dès 1924 les idées relatives à l'objection de conscience se développent, une ligue est créée avec le soutien de militants anarchistes pendant que, de son côté, la droite exprime sa méfiance à l'encontre de l'Allemagne.

Pour Léon Blum, en 1930, on ne peut éviter la guerre en s'armant. De ce fait il rencontre des difficultés à relier les tenants d'une défense nationale d'une part, et les pacifistes d'autre part, qui eux, veulent résister à la guerre de manière absolue. Ils ont une bonne audience auprès des organisations franc-maçonniques, dites de gauche ; il en est de même à propos de la Ligue de l'Enseignement et des syndicats.

De son côté, le marxisme voit la réalisation de la paix dans celle de la société communiste.

Il faut faire une seule guerre civile qui doit supprimer les classes. Les guerres que Lénine qualifiait d'impérialistes en 1914 sont proscrites du projet communiste. En conséquence la paix est à proscrire dans la mesure où le communisme ne règne pas encore. Cependant qu'en France le communisme est né pendant la guerre et contre elle, il est plus qu'ailleurs lié au pacifisme. Dès 1919, la revue "Clarté", fondée par Henri Barbusse loue ‘"’ ‘cette grande lueur à l'est qu'est la Révolution russe’ ‘"’ ‘ 269 ’ ‘.’

La Grande Guerre a laissé de vives blessures tant physiques que morales et psychologiques chez les anciens combattants. Le "plus jamais ça" est le leitmotiv ; tout le monde veut la paix comme finalité, cependant que les moyens nécessaires pour y parvenir ne font pas l'unanimité, et que, les conséquences ne sont pas anodines. Ainsi le pacifisme aura joué son rôle dans les événements qui ont débouché sur les horreurs des années 1940. Certaines voix se feront entendre avec une violence inouïe en 1936 ; ‘"’ ‘la haine contre la gauche est si forte, écrit Jean Defrasne, au moment du Front Populaire que d'aucuns proclament : plutôt Hitler que Blum’ ‘"’ ‘ 270 ’ ‘.’ En 1938, les accords de Munich seront accueillis avec joie et sectarisme : ‘"’ ‘les Français ne veulent pas se battre ni pour le Juifs, ni pour ’ ‘les Russes, ni pour les francs-maçons de Prague’ ‘"’ ‘ 271 ’, déclare "L'action française". Le pacifisme aura de fait également son incidence sur le régime de Vichy. La guerre terminée, alors que le France a retrouvé son unité, il n'est pas étonnant que le terme même de pacifisme soit entaché pour s'être compromis lors de tous ces événements, dont la collaboration272.

C'est à l'époque charnière du XIXe et début du XXe siècle que se développent les pédagogies de Célestin Freinet et Maria Montessori. Les considérations qui précèdent éclairent de manière contextuelle et environnementale les options des deux pédagogues ; considérations conséquentes à la mise en œuvre de leurs idées, tant pédagogiques que sociales ou spirituelles.

Notes
263.

- DEFRASNE, (J.), Op. Cit. p. 86.

264.

- Les soldats de 1914, sont partis en guerre avec la ferme conviction qu'ils seraient de retour pour la Noël 1914 dans leur famille.

265.

- Au cours de cette même année, Briand reçoit le prix Nobel de la paix.

266.

- Quarante quatre nations signe le pacte le 27 août 1928 ; pacte par lequel les Etats signataires renoncent à la guerre.

268.

- Ibid.

269.

- C'est également dans la revue "Clarté" que plus tard Célestin Freinet écrira des articles. Cf. Bibliographie.

270.

- DEFRASNE, (J.), Op. Cit. p. 103.

271.

- Ibid.

272.

- Cf. J;Defrasne, Op. Cit. p.113.