L'école républicaine, havre de paix ?

L'école, très longtemps, se présenta comme un lieu d'harmonie où la paix régnait. Cependant, nous devons nous interroger sur la nature de cette paix.

A la fin du second Empire les positivistes, au rang desquels Auguste Comte lui-même, Littré et Ferry, avaient une vision d'unification occidentale, sinon européenne, de l'évolution de l'humanité. Les intentions sont révisées après le conflit de 1870 entre la France et l'Allemagne. A partir de cette époque nous assistons au renforcement de l'Etat-nation. C'est dans l'hostilité et la méfiance du voisin ennemi que désormais les enfants seront élevés et éduqués. Ceux-ci devront : ‘"’ ‘... apprendre que les exercices militaires sont la première de leurs tâches ; il faut leur inculquer qu'il faut être prêts à tuer et à être tués ; car c'est le seul moyen d'échapper au sort de l'Alsace et de la Lorraine...’ ‘"’ ‘ 273 ’. C'est donc à la suite de la défaite de 1870, d'où la France sort humiliée, que l'école renforce sa mise au service de la République par le développement d'une "religion de la patrie". Gambetta, dès 1871, envisage le rapprochement de l'instituteur, du militaire et du gymnaste : ‘"’ ‘ afin que nos enfants, nos soldats, nos concitoyens soient tous aptes à tenir une épée, à manier un fusil...’ ‘"’ ‘ 274 ’.

Jules Ferry considère alors que la gymnastique et l'éducation militaire sont désormais inséparables, et cela ne sera réalisable à l'école ‘"’ ‘qu'après que l'instituteur sera devenu lui-même un professeur d'exercices militaires’ ‘"’ ‘ 275 ’ ‘.’

Dans le même temps, Paul Bert, alors ministre de l'instruction publique crée en 1881 une commission d'éducation militaire, d'où émerge le principe des "bataillons scolaires". Ceux-ci sont instaurés par décret le 6 juillet 1882 par Jules Grévy alors président de la République. Ces bataillons sont sous la double tutelle des ministères de l'instruction publique et de celui de la guerre. Il faut à tout prix faire aimer l'image de la patrie jusqu'à en faire une religion selon Paul Bert : ‘"’ ‘il faut des sentiments élevés, une pensée unique, il faut une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu'une agrégation d'hommes juxtaposés par des intérêts communs... C'est cette religion de la patrie, c'est le culte et cet amour à la fois ardent et raisonné, dont nous voulons pénétrer le cœur et l'esprit de l'enfant, dont nous voudrions l'imprégner jusqu'aux moelles ; c'est ce que sera l'enseignement civique’ ‘"’ ‘ 276 ’ ‘.’

Les exercices militaires sont inclus dans les matières obligatoires d'enseignement pour les garçons, et le 14 juillet 1882, six-cent-cinquante "petits soldats" du bataillon scolaire du Vearrondissement de Paris sont passés en revue. La médiatisation à destination du peuple débute et cette émancipation doit : ‘"’ ‘donner aux campagnes françaises le spectacle de leurs enfants se préparant, dès l'école, à défendre le sol de leur patrie...’ ‘"’, tels sont les propos de J. Macé, fondateur de la Ligue de l'Enseignement dont la devise d'alors est significative : ‘"’ ‘Pour la patrie, par le livre et par l'épée’ ‘"’.

Un manuel du tir est en usage dans les écoles primaires en 1885 et les jeunes garçons s'exercent dès l'école, dirigés par leur maître, au maniement du fusil. Il est même envisagé de munir ces armes d'épées baïonnettes à la condition que ces épées aient leur pointe complètement arrondie. Ces pratiques comportementales confèrent une efficacité certaine dans l'inculcation patriotique. Le résultat obtenu est sans doute supérieur à tout ce qui pouvait être espéré par le moyen de discours raisonnés.

Les aînés s'exercent au stand de tir sous la direction d'instituteurs militaires, ils doivent satisfaire aux conditions physiques et aux connaissances militaires nécessaires pour faire partie d'un bataillon scolaire. Ces pratiques éducatives provoquent l'émulation patriotique chez les enfants qui vivent ainsi une progressive insertion dans l'armée en vraie grandeur. Ainsi, au regard des adultes, c'est la République qui triomphe. Certes, on refuse la terrible et humiliante défaite encore toute récente, mais on ne reste pas abattu. La revanche se prépare.

L'Etat-nation issu de la révolution française, renforce son aspect instructeur. La religion de la patrie ne peut admettre de dissidents selon Jules Ferry. L'adhésion aux valeurs républicaines par le biais de l'école laïque, est générale. La scolarisation à la culture générale républicaine arrache les jeunes à leur culture régionale et singulière. L'école républicaine est plus à vocation d'instruction politique qu'à vocation d'instruction à visées économiques.

Notes
273.

- LITTRE, cité par R. Girardet in Le nationalisme français. Anthologie 1871-1914, Paris, Seuil, 1983. p. 70.

274.

- extrait du discours de Gambetta à Bordeaux en juillet 1871, cité par CH. Nique et Cl. Lelièvre in La République n'éduquera plus, la fin du mythe Ferry . p. 104.

275.

- ibid. p. 104.

276.

ibid. p. 104-105.