L'enseignement de l'histoire est un puissant moyen pour renforcer la foi patriotique. En effet, selon Jules Ferry, il faut bien connaître la patrie et faire preuve de piété à son égard pour la bien aimer et la défendre.
Ernest Lavisse, historien, rédige des manuels d'histoire de France qui seront tout au long de la troisième République la référence en cette matière dans les écoles primaires. Lavisse s'adresse par ailleurs aux professeurs de l'école normale qui doivent selon lui former des maîtres qui à leur tour enseigneront l'histoire de la patrie aux jeunes générations. A ces professeurs, il ‘"’ ‘incombe le devoir glorieux de faire aimer et de faire comprendre la patrie’ ‘"’ ‘ 277 ’.
Par ailleurs, tout le patrimoine culturel est convoqué pour servir la cause de la patrie, qui est en danger : ‘"’ ‘nos ancêtres les Gaulois... les forêts des druides’ ‘"’, ainsi que les personnages qui ont marqué les événements de l'histoire : ‘"’ ‘Jeanne d'Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes... Les devoirs, il sera d'autant plus aisé de les faire comprendre que l'imagination des élèves, charmée par des peintures et par des récits, rendra leur raison enfantine plus attentive et plus docile’ ‘"’ ‘ 278 ’ ‘.’
L'individu trouve son identité au sein de la nation et si cette dernière est en danger, la violence de la guerre de reconquête représente le salut. Ainsi, nous pouvons constater avec Edgar Morin que : ‘"’ ‘l'Etat-nation se mue en une communauté mythique... La priorité est le schéma des relations familiales : père/mère/enfants : la nation devient la mère nourricière, l'Etat de son côté se paternalise et la fusion sacralisée du maternel et du paternel se manifeste dans le même nom de patrie, masculin-féminin... se constitue ainsi, comme dans la trinité théologique, osmose et coprésence de l'une en l'autre des trois instances maternelle/paternelle/filiale et des trois entités Peuple/Etat/Nation. C'est ce ’ ‘qui donne à l'Etat-nation la conjonction d'une formidable puissance mytho-religieuse. Dès lors, l'individu trouve le fondement de son identité à la fois dans son environnement familial, éthique, régional, et dans la filiation mythologique réelle à sa nation’ ‘"’ ‘ 279 ’.
Tout est en place, non pas pour promouvoir la paix mais pour défendre la nation, mère patrie, contre l'ennemi. Celui-ci est désigné, le voisin Allemand est diabolisé, il a "volé" un morceau du territoire de la patrie, il faut le lui reprendre. A l'intérieur de l'école, la paix est présente mais, en regard de notre développement du chapitre premier, en ce qui concerne la territorialité, la paix intérieure, contenue et forcée, quasi militaire, est une paix violente portée par un nationalisme exacerbé, qui génère des potentialités explicites de guerre extérieure future. Ce qui sera la première guerre mondiale est en germe.
Quand en 1914 la guerre est déclarée, il est clair que les soldats pétris de patriotisme s'imaginaient lutter contre un péril que l'institution scolaire avait instillé dans leurs esprits au cours des années passées sur les bancs de l'école et les suivantes. Cette génération se sentait investie d'une mission quasi sacrée, celle de sauver la nation. Et, pour eux la guerre devait être courte, tous pensaient en septembre 1914 être de retour pour Noël. C'était sans compter sur les déchaînements de barbarie qui allaient voir le jour de part et d'autre chez les belligérants.
Pendant toute la période des quatre années que dure la guerre, les enfants sont également la cible d'une propagande de guerre nationale. C'est une violence sans précédent qui s'introduit à l'école. La survie même des enfants leur est présentée comme contingente au fait de gagner la guerre ou non. De ce fait, leur vocation est de participer aux sacrifices acceptés par leurs aînés. Il faut effacer les stigmates de l'humiliation de 1870. Dès le début du conflit, des enseignants parmi ceux qui sont mobilisés écrivent du front, à des collègues, des lettres où ils demandent d'informer ceux d'entre eux qui ne sont pas mobilisés, ainsi que les enfants, de leur situation sur le front des combats et de l'élan patriotique qui les anime. L'ensemble de la population doit être impliqué, cette guerre est l'affaire de tous sans exception et son issue conditionne la survie d'une civilisation selon eux.
Si, avec l'idée des bataillons scolaires, l'institution visait la formation des futurs adultes qui seraient les héros d'une reconquête, avec les mouvements de propagande ciblant les enfants de 1914, c'était la volonté de créer une enfance nouvelle. En effet, ‘"’ ‘une époque exceptionnelle comme la nôtre ne saurait tolérer des enfants ordinaires... vous ne pouvez pas, si vous avez du cœur, accepter qu'on se fasse tuer pour vous sans vouloir être dignes de ce sacrifice car c'est pour vous qu'ils se font tuer’ ‘"’ ; ainsi parlait le recteur de l'académie de Poitiers lors de la remise des prix du lycée de la ville en 1916 280.
La pression psychologique est sans cesse maintenue sur les jeunes esprits. L'enfance est censée être mobilisée à part entière par les aspirations patriotiques. Les enfants sont ainsi continuellement en "guerre". Chaque individu, chaque enfant, se doit de s'interroger chaque jour sur la manière dont il peut et doit servir la patrie, mère mythique. Quelque soit l'activité, y compris lors des jeux, les enfants sont expressément invités à garder une pensée d'inquiétude pour la France qui est en péril ; blessée, elle doit vaincre l'ennemi qui est la maladie qui la menace.
Dans un article du Diabolo-Journal de 1916, organe de presse enfantine, l'Abbé Betonneau évoquant "l'enfant soldat", écrit : ‘"’ ‘le parfait écolier devrait sentir palpiter en lui une âme guerrière, et, des enfants à qui la guerre n'enseignerait aucune de ses graves leçons, et ne suggérerait rien de généreux et de vaillant, manqueraient de piété filiale et de patriotisme, et seraient assimilés à des soldats déserteurs’ ‘"’ ‘ 281 ’.
Si donc, l'enfant ne se montre pas digne du sacrifice de ses aînés, le mécanisme de culpabilisation se met en place et exclut par là même de se plaindre des difficultés, des privations inéluctables en cette période catastrophique. Ne fait-on pas acte de violence à l'enfance en général, demandant à celle-ci d'avoir une logique et un raisonnement d'adulte d'où toute possibilité de discernement et de jugement de pertinence sont exclus ?
En ce qui concerne les rôles spécifiques des garçons et des filles, ceux-ci sont bien délimités. Ces dernières doivent aider leurs mères dans leurs tâches domestiques. Il est fait appel à leur sensibilité, leur délicatesse qui seront ainsi : ‘"’ ‘comme un baume sur le cœur endolori de ceux qui sont inquiets ou affligés’ ‘"’ ‘ 282 ’. Quant aux jeunes garçons, ils doivent refréner les attitudes qui risqueraient de perturber le climat de "recueillement" de celles et ceux qui sont ‘"’ ‘remplis de douloureuses pensées’ ‘"’. Un comportement exemplaire de la part de toutes et tous est exigé, au risque de l'anathème patriotique, car cette guerre est conduite pour que les enfants vivent.
Ainsi se met en place une véritable culture de guerre, qui mobilise intellectuellement et moralement l'enfance de cette époque et repose sur le développement de la foi patriotique. Il s'agit de préparer la construction d'une ère nouvelle pour une humanité meilleure, sur le modèle français hérité de la révolution de quatre-vingt-neuf.
Stéphane Audoin-Rouzeau, dans son ouvrage " La guerre des enfants", fait remarquer que la propagande en direction de l'enfance ne se limite pas à la France, ainsi l'Angleterre et l'Allemagne sont également concernées par ce phénomène qui au demeurant confirme bien qu'il s'agit d'une guerre des nationalismes.
C'est bien sûr la paix, terme final, qui est visée par cette guerre sans précédent, nous sommes dans la perspective d'une guerre "juste". Les autorités pensent que la conquête de cette paix vaut bien les sacrifices imposés. Cette concession à la barbarie est acceptée afin qu'elle ne puisse se reproduire. Ainsi le processus de civilisation universel qu'incarnerait la France verrait le jour et la paix régnerait.
Pendant qu'en France, en cette époque de la fin du dix‑neuvième siècle et des deux premiers tiers du vingtième siècle, se met en place l'école républicaine, un courant de pensée éducative nouveau apparaît, celui de l'Education nouvelle. Des pionniers tel Cecil Reddie en Angleterre, John Dewey aux Etats-Unis, Adolphe Ferrière en Suisse ou encore Ovide Decroly en Belgique placent la centration de leurs préoccupations sur l'enfant lui-même. Les tenants de ce mouvement s'élèvent contre l'école autoritaire du XIXe siècle. Ils privilégient l'intérêt de l'enfant et son activité au sein de l'institution de l'école. Ces nouvelles intentions et nouveaux projets poseront par ailleurs d'une toute autre manière le problème de l'éducation morale des jeunes générations. En effet, poser la liberté face à la contrainte exige une redéfinition des projets éducatifs et des pédagogies qui en découlent.
- E. LAVISSE, article : Histoire in Dictionnaire de pédagogie, dirigé par F. Buisson, 1887.
- ibid.
- MORIN, (E.), Penser l'Europe, pp. 62-63.
- AUDOIN-ROUZEAU (St.), La guerre des enfants 1914-1918, p. 67 et svtes.
- ibid. p. 19
- Mon journal, presse enfantine, 15 août 1914. Cité par AUDOIN-ROUZEAU, p. 20.