Le primat de l'égocentrisme : antériorité logique

Nous l'avons vu, la méfiance comme mécanisme de défense face au non‑assimilé, oblitère la possibilité de compréhension. Le dépassement de l'égocentrisme est indispensable, et cette compréhension ne va donc pas se développer sans la réciprocité.

Cependant, la compréhension ne doit pas pour autant déboucher sur une uniformisation. Il n'est pas concevable dans l'esprit de Jean Piaget d'uniformiser les différences, de gommer les spécificités des différents peuples. En d'autres termes, le propos n'est pas de créer une conscience universelle nivelant les consciences particulières. Or, spontanément, nous sommes poussés à poser en absolu notre égocentrisme, ou bien comme le dit Jean Piaget : ‘"’ ‘à rêver d'une humanité abstraite et idéale ’ ‘"’ ‘ 315 ’ ‘.’ Dans l'un comme dans l'autre cas, nous créons ainsi nos propres limitations. D'un côté nous posons des barrières, de l'autre nous rendons la perspective irréalisable.

L'homme est perçu ici dans une dualité : d'un côté il est porté à accepter l'immédiateté de son univers plus ou moins étendu en rapport direct avec sa capacité de décentration. De l'autre côté, l'homme est susceptible de corriger, de dépasser son point de vue immédiat, afin que, par cercles sans cesse plus grands, son horizon lui rende possible : "un nombre croissant de visions différentes" C'est avec force et conviction que Jean Piaget défend tout au long de son article cette thèse. Mais qu'on ne se leurre pas, s'il est possible de se décentrer afin d'accroître l'élargissement de la conscience, Jean Piaget nous dit que : ‘"’ ‘l'illusion égocentrique n'en disparaît pas pour autant’ ‘"’.

L'obligation dialectique, liée à la dualité, confronte le sujet au phénomène récurrent de l'égocentrisme. Il faut considérer d'une part la nature psychologique, et, d'autre part le lien au temps, ce qui est fait pour durer au‑delà du plan individuel, c'est‑à‑dire de l'humanité dans son ensemble, ce que Hannah Arendt nomme l'œuvre316. L'usage par définition "use" l'œuvre, artifice humain, d'où la nécessité de l'éducation sans cesse à reprendre, car rien n'est définitivement acquis, et d'autre part, les générations nouvelles prennent leurs ancrages sur les modèles de celles qui les précédent.

Notes
315.

- Ibid. p. 21.

316.

- ARENDT, (H.), Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 187 et svtes.