En 1933, Célestin Freinet écrit dans l'Educateur prolétarien : ‘"’ ‘que valent les projets les plus généraux, les plans, les réalisations originales de l'Ecole nouvelle en face d'une réaction fermement décidée à abattre toutes les formes d'émancipation. A peine Hitler est-il au pouvoir que disparaissent ces écoles prolétariennes’ ‘"’ ‘ 377 ’. Le pédagogue est conscient que les actions liées à l'Ecole nouvelle ne résistent pas à la montée du fascisme ; les aspirations de ce mouvement ne peuvent s'exprimer s'il n'y a pas respect de la liberté individuelle et collective. La même revue, accueille en 1934, l'article : ‘"’ ‘Les éducateurs prolétariens sont antifascistes’ ‘"’. Célestin Freinet y pose les principes de ce qu'il entend par école émancipée : celle-ci doit remplir ses fonctions sociales d'éducation.
Les pédagogues doivent retrouver leur vraie place de choix dans un plan de société. Certes, l'école et les éducateurs, face à leurs devoirs, sont menacés. Les "masses" ont l'obligation de se mobiliser contre le fascisme montant de l'époque afin de ‘"’ ‘barrer la route à un régime qui serait la mort de l'école progressiste et l'anéantissement provisoire des nos rêves d'éducation nouvelle libératrice’ ‘"’ ‘ 378 ’ ‘.’
En cette même période, d'autres articles de Célestin Freinet paraissent afin de sensibiliser le milieu éducatif sur les risques majeurs encourus par l'école dans les pays où se développe le fascisme. L'école serait, constate-t-il, la première des institutions concernées par les mesures totalitaires. Les mesures autoritaires ne manqueront pas de restreindre l'indispensable liberté en matière d'éducation. Les articles écrits en 1936-37, relatifs à la guerre d'Espagne, tiennent le même langage que les précédents à propos de la guerre et de l'extension du danger pour le peuple que représente le fascisme.
Pendant cette époque troublée, Elise, l'épouse de Célestin Freinet, collabore et corédige certains des articles qui paraissent dans l'Educateur Prolétarien. En 1938-1939, elle fait appel à la solidarité des enseignants sympathisants ‘"’ ‘ à l'aide des petits espagnols de l'Ecole Freinet’ ‘"’, ou encore, dans un autre article ‘"’ ‘pour l'aide au corps enseignant et aux enfants d'Espagne’ ‘"’ ‘ 379 ’ ‘.’
Les congrès de l'Ecole moderne qui vont suivre sont, au cours du temps, autant de moments forts qui assurent le resserrement des liens entre les pédagogues ainsi que la transmission des idées de paix et de la nécessaire pédagogie émancipatrice chère à Célestin Freinet. Ainsi, au congrès de Grenoble en 1939 le pédagogue met l'accent sur ‘"’ ‘... la démocratie (qui) peut et doit être un facteur puissant d'ordre, de progrès et de profit social...’ ‘"’. C'est grâce à la démocratie ‘"’ ‘que s'évanouiront les arguments de force brutale qui prétendent rétablir les nécessités historiques d'un passé révolu. La force brutale, enfin, n'a pas le privilège de l'héroïsme. On pourrait dire au contraire qu'il ne saurait y avoir d'héroïsme sans liberté ni véritable démocratie... nous répudions l'éducation soi-disant héroïque ’ ‘des pays totalitaires, lorsque cette éducation mène à la barbarie moyenâgeuse que nous connaissons’ ‘"’ ‘’ ‘ 380 ’ ‘.’
Il semble que, pour Célestin Freinet, il ne puisse pas s'établir une démocratie, à cette époque où l'Europe est de nouveau au bord d'une catastrophe humaine. "Le facteur puissant d'ordre" s'installe au même moment outre Rhin et il ne ressemble en rien à une démocratie ! Le processus de la guerre mondiale est sur le point de s'enclencher et le pédagogue tente d'alerter ses lecteurs sur les horreurs qui de nouveau se mettent en place. Jusqu'au dernier instant, Célestin Freinet se refuse à envisager la possibilité de nouveaux affrontements européens. Il écrit dans l'Educateur du premier octobre 1939 un article intitulé : ‘"’ ‘Clartés dans la nuit’ ‘"’ ‘ qui est significatif : ’ ‘"’ ‘nous avions bien dit à nos amis : nous n'aurons pas cette guerre que vous craignez et qu'on nous annonce. Et forts de notre bon sens et d'un attentif examen des conjonctures présentes, nous justifiions notre prophétie. Nous serions-nous trompés ?’ ‘"’.
Les éducateurs qui coopèrent au mouvement de l'Ecole moderne sont pour une large part mobilisés. C'est alors que Célestin Freinet constate que ce sont leurs compagnes qui prennent le relais éducatif et se placent sous sa houlette. L'une d'elle écrit: ‘"’ ‘... donc je suis à vos ordres pour toute collaboration utile. Je suis pour vous une collaboratrice dévouée et une amie sûre’ ‘"’ ‘ 381 ’ ‘.’ Ces témoignages à l'endroit de Freinet et du mouvement qu'il représente sont effectivement des éléments de clarté382 en cette sombre période ; la nuit métaphorique s'étend en effet peu à peu sur les espoirs de liberté. Cependant, tout ne semble pas perdu : ‘"’ ‘nous sentons alors que, même dans les heures tragiques que nous traversons, notre action n'apparaît point comme inutile...’ ‘"’ ‘ 383 ’, ajoute le pédagogue. Dans ce même numéro de l'Educateur, Elise Freinet se joint une fois encore à Célestin en rédigeant ses ‘"’ ‘conseils aux mamans en temps de guerre pour sauvegarder la santé de l'enfant’ ‘"’. Elle continuera d'ailleurs à publier sous cette rubrique une série d'articles jusqu'en mars 1940. A cette date, en effet, Célestin Freinet est arrêté et l'Educateur cesse sa parution pendant toute la période de la seconde guerre mondiale. Pendant tout ce temps Freinet ne reste cependant pas inactif en regard de ses idées. Il soumet ses options éducatives à l'épreuve des faits en participant à l'organisation de cours au sein des camps de détention, pour ses amis d'infortune internés par la police et le régime de Vichy.
L'élan insufflé par Célestin Freinet au mouvement est en effet brutalement interrompu. En 1940 Célestin Freinet est interné politique dans le sud de la France pendant vingt mois par la police de Vichy. Dans les camps où il séjourne, il organise avec des collègues enseignants des cours à l'attention de leurs compagnons de détention qui n'ont pu bénéficier d'une formation scolaire minimum. Ces adultes déracinés de leur milieu révèlent des comportements similaires à ceux que les enfants développent, tel est le constat de Célestin Freinet. Dans ce milieu, éducativement précaire, le pédagogue constate que ses conceptions mises en pratique sont plus appropriées que les conceptions traditionnelles basées sur la "scolastique".
En février 1941, Freinet est transféré de Chibron dans le Var à Saint-Sulpice dans le Tarn. Si la nature du lieu de la précédente détention n'était pas à proprement parler un "camp", à St-Sulpice, ‘"’ ‘il s'agit là d'un véritable camp de concentration avec alignement de baraquements autour d'une allée centrale, entourée de barbelés derrière lesquels se trouvent des sentinelles... Chaque matin, appel des 800 internés, puis désœuvrement après les corvées quotidiennes’ ‘"’ ‘ 384 ’.
Dans ce contexte hostile, Célestin Freinet va mettre en œuvre ses conceptions et pratiques pédagogiques : ‘"’ ‘En accord avec la direction du camp, les internés avaient organisé des cours. 200 camarades s'étaient fait inscrire. Les nombreux instituteurs ou professeurs internés s'étaient réparti les élèves dont quelques uns étudiaient à un niveau supérieur. Je m'étais chargé des internés qui savaient à peine lire et écrire et qui avaient oublié tout ce qu'ils avaient appris à l'école. Je procédais avec eux comme nous le faisons dans nos classes, avec des textes libres que nous mettions au point et qui nous ’ ‘donnaient l'occasion d'exercices de lecture, de vocabulaire et de grammaire. Avec ces mêmes principes, je prenais à part, hors des cours, une dizaine de camarades totalement illettrés. J'avais ainsi appris à lire et à écrire à un camarade de soixante ans qui m'avait écrit à sa sortie du camp pour me dire sa reconnaissance. Nous avons réalisé un journal du camp, totalement rédigé et illustré par les internés, recopié en 8 exemplaires. Le N° 2 ne fut pas autorisé par le chef du camp’ ‘"’ ‘ 385 ’.
- La réaction allemande contre l'école populaire, fac-similé, l'Educateur prolétarien N° 6 mars 1933. in la revue : Les amis de Freinet et de son mouvement N° 37 décembre 1982 p. 48.
- fac-similé de 1934 in Les amis de Freinet et de son mouvement N° 37 décembre 1982 p. 52.
- Ibid. p. 68.
- Ibid. p. 72.
- Ibid.
- L'article a pour titre : Clartés dans la nuit.
- Revue Educateur. in Les amis de Freinet et de son mouvement N° 39 p. 39.
- FREINET ( C.), Cité par Michel Barré, in Les amis de Freinet ,N° 60. déc. 1993 pp. 33-41
- Célestin Freinet, cité par Michel Barré. Op. Cit..