La paix dans les congrès

Au mois d'avril de la même année, en 1949, L'Educateur accueille l'article de Célestin Freinet qui se fait l'écho du congrès d'Angers. Cet article à pour titre : "La paix"390.

La paix et l'éducation sont indivisibles. Il ne saurait y avoir ‘"’ ‘d'éducation en soi, abstraite du milieu ambiant de lutte et d'action pour la libération du peuple’ ‘"’ ‘ 391 ’ ‘.’ Célestin Freinet saisit l'occasion de ce congrès pour faire le point sur ce que lui et son mouvement entendent par éducation. L'éducation ce n'est pas uniquement la laïcité ou le syndicalisme et la lutte sociale et politique. On ne doit pas sous-estimer"la portée de l'éducation des jeunes générations". Il s'agit de former les jeunes générations vers l'émancipation, vers la liberté. C'est l'éducation des hommes et des citoyens de demain : ‘"’ ‘en œuvrant pour une meilleure pédagogie populaire et laïque, nous sommes à l'avant-garde de la lutte pour la laïcité et pour la paix’ ‘"’ ‘ 392 ’ ‘.’

Celui qui s'exprime ainsi avec une telle conviction fut le témoin des deux guerres mondiales. En conséquence, comment pourrait-on imaginer que ceux "qui ont fait la guerre de 14... qui ont fait la guerre de 39-45 " , ne lutteraient pas dans tous les domaines pour asseoir la paix". Ceux là sont fondés "à parler de la paix envers et contre tous".

Les techniques que la pédagogie développe participent à ce but d'établissement de la paix qui doit reposer sur une action internationale, par le débordement hors des frontières de ces mêmes techniques mises en place dans chaque pays coopérant. Déjà en Suisse, en Belgique, en Espagne, en Amérique latine, les techniques de Célestin Freinet sont à l'œuvre ‘"’ ‘et c'est ainsi, écrit le pédagogue, que, humblement, nous apporterons notre grande pierre à la grande œuvre indispensable de la paix’ ‘"’ ‘ 393 ’.

Au cours des congrès qui suivront, nous retrouvons la même ligne directrice suivie par le mouvement de l'Ecole moderne qui s'appuie sur la C.E.L394. Celle-ci repose sur l'amitié nationale et internationale.

A Nancy en 1950, Célestin Freinet est encore plus explicite sur son approche : ‘"’ ‘la paix attend de notre congrès qu'il se prononce dans le sens qu'exige et que nécessite sa pédagogie... éducateurs et mamans sont des vocables qui jurent avec le mot guerre, c'est pour une maman accepter que soit détruite et sacrifiée la chair de sa chair... Toute notre œuvre est une œuvre de paix. Nous sommes, de par notre fonction, par notre vie même, les artisans-nés de la paix... les ennemis-nés de toutes les forces de guerre’ ‘"’ ‘ 395 ’. Concrètement, les éducateurs ne doivent pas se contenter de ‘"’ ‘faire à leurs enfants des leçons de paix, de proscrire dans les manuels scolaires tout ce qui peut renforcer l'esprit de guerre’ ‘"’ ; au-delà, le rôle à jouer de la part des éducateurs, c'est de permettre le développement du sens historique et la ‘"’ ‘compréhension des vraies causes de guerre et des luttes sociales et politiques’ ‘"’.

La libération des consciences donne accès à la compréhension des causes, car, pour Célestin Freinet, ceux qui comprennent les mécanismes qui conduisent aux guerres sauront les éviter à l'avenir : ‘"’ ‘on dit avec raison : si les peuples veulent la paix, profondément, avidement, humainement, la guerre deviendra impossible’ ‘"’ ‘ 396 ’ ‘.’

Les hommes ayant opéré cette prise de conscience ne pourront que vouloir la paix et cela ne peut se réaliser que dans des " laboratoires de la paix" que sont les "écoles du peuple". Le levier pour aboutir à cela en France c'est l'école laïque où ‘"’ ‘nous ne nous contentons pas d'apprendre à nos enfants à lire, écrire et compter, mais où nous prétendons les préparer aussi à être demain des hommes capables de remplir, mieux que nous ne l'avons fait, leurs devoirs élémentaires de travailleurs et de citoyens’ ‘"’ ‘ 397 ’.

En 1951, au congrès de Montpellier, sont formalisés en un résumé saisissant les axes majeurs que Célestin Freinet entend par une éducation à la paix. La motion sur la paix qui clôture ces rencontres se divise en dix points essentiels :

  • "l'éducation ne peut se développer et s'épanouir que dans la paix" et contre la préparation aux "œuvres de mort" ;
  • "on ne lutte pas contre la guerre avec des paroles, mais par l'action... la guerre n'est que la forme catastrophique de l'exploitation de l'homme par l'homme..." d'où la nécessité de se dresser contre les régimes qui la favorisent ;
  • l'éducation doit empêcher "l'œuvre d'abêtissement et de mensonge nécessaire pour préparer toute guerre" en travaillant de manière pratique et technique pour former l'enfant qui, demain bâtira la société et exclura cette "exploitation de l'homme par l'homme" ;
  • tout enseignement basé sur le dogme, quel qu'il soit, doit être banni, ainsi que le développement de la passivité. L'éducation aux médias doit retenir également l'attention de chaque éducateur en favorisant "l'atmosphère de collaboration démocratique, coopérative et humaine" ;
  • les organisations ouvrières doivent coopérer et faciliter par tous les moyens la réalisation de "l'école laïque moderne" d'où seront issus les ouvriers de la future et nouvelle société ;
  • toute source de dysfonctionnement, matérielle, économique et sociale, qui met obstacle à cet avènement devra être dénoncée et relayée par le mouvement ;
  • les futurs éducateurs doivent bénéficier d'une formation "aux pratiques de l'école moderne" ;
  • clarté, loyauté, vérité et justice sont les mots d'ordre de l'éducation pour s'opposer aux "bourrages de crâne" ;
  • les relations culturelles avec les pays étrangers doivent être développées et renforcées ;
  • "les éducateurs décident de rester unis au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne (I.C.E.M.) afin de mieux remplir leur rôle d'éducateurs du peuple, au service de la démocratie et de la paix".

Les aspirations fondamentales de Célestin Freinet sont affirmées et synthétisées lors de ce congrès. Dans cette même ligne directrice, les motions qui suivent lors des congrès de La Rochelle en 1952 puis de Châlons en 1954, se pérennisent jusqu'en 1965 à Brest lors du dernier congrès auquel participe Célestin Freinet, un an avant sa disparition.

Les années ultérieures voient également leurs congrès annuels marqués par les préoccupations des éducateurs à propos de la paix et de la guerre, selon les guerres qui se développent de par le monde des motions sont adoptées. Mais, d'une manière générale, la motion de Montpellier en 1951 reste, selon nous, la forme aboutie des convictions que lègue Célestin Freinet à son mouvement.

Ainsi, depuis les années vingt jusqu'à sa mort, Célestin Freinet n'a cessé d'être habité par le désir de paix ou plus exactement par celui de la non-guerre.

Notes
390.

- La paix. Congrès d'Angers 1949. Fac-similé reproduit in Les amis de Freinet et de son mouvement N° 39.

391.

- Ibid.

392.

- Ibid.

393.

- Congrès d'Angers 1949.

394.

- Coopérative de l'Ecole Laïque.

395.

- Congrès de Nancy, 1950.

396.

- Ibid.

397.

- Les laboratoires de la paix : Les dits de Mathieu in revue : Educateur 15/01/1951