Mise en forme du projet

Ce projet éducatif habite l'instituteur dès les années trente où il tentera de le mettre en pratique, mais bientôt il est chassé de Saint‑Paul, il est contraint et forcé s'il veut poursuivre son œuvre de créer une école privée, alors que le réseau initié entre les écoles est déjà en fonctionnement. C'est à Vence dans les Alpes Maritimes que la nouvelle école voit le jour. A cette occasion il rappelle quelle est la nature de son projet éducatif dans un article de L'éducateur prolétarien qui paraît en juin 1935398.

Les bases en sont les suivantes :

Ce qui est significatif, c'est le fait que Célestin Freinet rapporte toujours la mise en pratiques de ses idées éducatives au contexte socioculturel de son pays, la France, mais plus particulièrement à sa

région avec ses composantes spécifiques. Ses vues se dirigent vers les écoles du peuple d'une part et plus précisément vers les écoles rurales. Il ne s'agit donc pas tant dans l'esprit de Freinet de créer et de mettre en place une doctrine que de positionner des pratiques à faire vivre dans les classes où sont scolarisés les enfants du peuple en milieu rural. C'est un mouvement qui se met en place, mouvement porté par des finalités reposant sur une vision de l'homme, elle-même véhiculée par des techniques spécifiques.

Alors qu'une doctrine est figée, il s'agit bien là d'un mouvement qui, dans le temps doit s'adapter selon Célestin Freinet aux spécificités du moment. Dans ses prises de positions il fait toujours référence aux événements en matière d'éducation à la paix. Lors de la montée du fascisme en Allemagne ou en Espagne, il crée avec sa compagne Elise un centre d'accueil pour les enfants espagnols, au tout début du franquisme, par exemple. En 1936, 120 écoles espagnoles "impriment". Les liens entre l'école de Vence et l'Espagne sont bien établis et, c'est en février 1937 que les deux premiers enfants espagnols arrivent à l'école de Célestin et Elise Freinet. En mai de la même année, une institutrice espagnole est accueillie pour faire la classe aux petits réfugiés qui dès lors écrivent et impriment dans leur langue. Dans cette période troublée, Célestin Freinet apporte son soutien aux hommes qui refusent le fascisme et se battent afin de reconquérir leur droit à la liberté.

L'éducation est bien conçue par le pédagogue provençal comme un mouvement basé sur la vie, au service de l'enfant, et modelé par les contingences sociales et politiques.

L'école laïque offre le cadre d'un travail pour la libération intellectuelle. Dans les textes écrits par Célestin Freinet entre les deux guerres, nous retrouverons les éléments fondateurs de ses idées ; ce qui le différencie, d'une doctrine purement communiste c'est une caractéristique qui fait partie de la "vulgate" révolutionnaire. Celle-ci énonce que seul le parti élabore la doctrine et est seul habilité à sa diffusion. Chez Célestin Freinet la conception est toute différente, tout est toujours à construire et rien ne doit demeurer figé, l'initiative personnelle doit être la base d'un consensus de décisions collectives.

Ainsi contextualisées, nous comprenons mieux les conceptions du pédagogue. Nous verrons qu'un élément essentiel : le travail, doit être libérateur pour l'individu, il doit lui permettre de construire le monde dans lequel il vit et ce monde repose sur la coopération et la solidarité ; un monde d'où la guerre serait exclue. Ces conceptions, propres à Célestin Freinet, sont en fait l'antithèse de celles de la société bourgeoise, d'obédience capitaliste. Cette société, n'a-t-elle pas en effet mis en échec le développement de l'entente entre les peuples ? N'a-t-elle pas non plus souhaité une guerre de revanche, en ne mesurant pas l'ampleur qu'allait prendre la première guerre mondiale ?

L'éducation du peuple en vue de sa désaliénation doit débuter à l'école. La vie doit, selon Célestin Freinet, entrer à l'école et servir de modèle à l'éducation, particulièrement par l'exaltation du travail qui doit être productif d'une part, mais également permettre le développement des compétences libératrices face à la société actuelle d'autre part. De ce fait, une critique de l'école d'alors se fait jour. C'est à elle avant tout que l’on doit s'attaquer parce qu’elle est aliénante. Célestin Freinet voit un levier possible dans la laïcité de l'école française, elle offre un cadre particulier, celui d'un possible travail de libération intellectuelle et rationnelle.

Cependant, des désaccords sont latents depuis 1927 entre Célestin Freinet et la fédération de l'enseignement dont l'organe de diffusion est L'Ecole émancipée. Le développement de la Coopérative de l'école laïque (C.E.L.) ainsi que sa revue "L'imprimerie à l'école" font ombrage aux publications syndicales. En 1938, la rupture est consommée, la section imprimerie de la CEL s'appelle désormais "Ecole moderne" afin de se démarquer du mouvement de l'Ecole nouvelle et assurer sa maîtrise sur les innovations techniques dans l'enseignement. A cause de la seconde guerre mondiale, le mouvement est ajourné pour reprendre ses activités sous cette même dénomination en 1945.

Célestin Freinet milite pour une nouvelle citoyenneté, il a une vision globale de l'homme et de ce que nous nommerions de nos jours le vivre-ensemble. Former un nouveau citoyen, par une pédagogie adaptée en vue de la paix, s'appuie pour lui sur l'école laïque, prolétarienne. C'est former un homme qui possède un esprit coopératif et critique. En d'autres mots, c'est encore avoir la capacité de s’impliquer dans l’action collective, ayant acquis les compétences nécessaires pour coopérer au bien commun. L'enfant, puis l'homme, acquièrent la qualité de citoyen par la pratique même de la citoyenneté ; mais, sachant que tout est toujours à construire, il est nécessaire selon Freinet de considérer les contingences sociales et politiques. C'est progressivement que l’assurance et la confiance s'acquièrent. L’école devient dès lors, le lieu de l'éducation à la paix grâce à une nouvelle citoyenneté.

Notes
398.

- FREINET, (C.), L'école Freinet à Vence, in L'éducateur prolétarien , N°18, 06. 1935.