Des enfants déficients aux enfants normaux

Dès lors nous décelons chez cette femme, le projet de convaincre les hommes du droit inaliénable de tout être humain à être reconnu et respecté avant toute considération de "race", de religion ou de sexe. Parallèlement, son volontarisme s'attache à défendre la cause des plus déshérités et particulièrement des petits enfants.

Le premier emploi qui est consenti à Maria Montessori par l'Université lui permet de rencontrer les laissés pour-compte. En effet, assistante à la clinique psychologique de l'Université de Rome, Maria Montessori visite des établissements qui en dépendent, ce sont les asiles pour adultes, mais surtout ceux où séjournent des enfants.

La jeune femme médecin découvre un univers insoupçonné : des salles communes où les enfants sont "entassés... toutes pathologies confondues"400 et qui reçoivent un minimum de soins. Contrairement à "l'étiquetage" de ces enfants comme "idiots", Maria Montessori voit des enfants comme les autres, avec leurs besoins, leurs désirs, qui ont droit à être respectés et aimés pour ce qu'ils sont comme tout être humain. Elle va donc chercher quels sont les moyens possibles qui permettraient à ces enfants de se réintégrer dans cette société qui ne prévoit aucune place pour eux.

Un fait majeur intervient alors : Maria rencontre lors de ses lectures les travaux des docteurs Itard et Seguin ; la méthode éducative développée par ces deux médecins français ouvre un horizon possible pour remédier aux difficultés des enfants romains en situation d'exclus. Enthousiasmée, Maria Montessori décide d'appliquer cette méthode aux enfants des asiles, cela semble être révélateur, ils retrouvent peu à peu une certaine joie de vivre et certains apprennent même à lire et à écrire, ce qui paraissait impensable pour ces enfants mis à l'écart de la société.

Un autre événement qui a lieu en 1904, nous révèle ce que seront les objectifs fondateurs d'une possible éducation à la paix pour la future pédagogue.

En effet, cette année là, elle obtient la chaire d'anthropologie pédagogique à l'Université de Rome, elle y développe une idée nouvelle et quasi révolutionnaire, à savoir que : les enfants sont placés par la société dans une classe sociale "opprimée". L'éducation trop autoritaire, selon elle, de la part des adultes, annihile l'énergie vitale que recèle l'enfant et qui est nécessaire à sa croissance humaine. Il est, d'un côté poussé à l'action qui le fait grandir et par ailleurs, son amour pour l'adulte freine ses élans énergétiques. A cela, Maria voit l'inévitable extériorisation par des manifestations de colère et de violence, correspondant aux frustrations qui submergent l'enfant. Il est nécessaire de favoriser la construction de la paix entre l'enfant et l'adulte.

Anne Sizaire fait remarquer que ‘"’ ‘le thème de l'oppression séculaire de l'enfant, repris et même martelé dans la plupart de ses livres, va hanter la vie et l'œuvre de Maria Montessori qui n'aura de cesse d'opérer un véritable renversement des valeurs : l'enfant, constructeur de l'homme, est le maître de son propre développement’ ‘"’ ‘ 401 ’.

Pour cette femme une éducation digne de ce nom devrait accompagner l'enfant en l'aidant à "tirer au-dehors" ses propres potentialités et non à faire "entrer au-dedans", par force, des connaissances imposées par l'adulte. L'éducateur devient alors un éveilleur plus qu'un "étouffoir". Les concepts liés à la "libération" développés par Maria Montessori divisent la communauté des éducateurs, certains réagissent violemment contre, cependant que d'autres y sont sensibles ; à l'aube du XXe siècle il y a en effet un courant qui émerge, celui de l'éducation nouvelle.

En 1907, un événement significatif intervient dans la vie de la pédagogue, un organisme social : l'Instituto romano dei beni stabili, qui tente d'améliorer les conditions de vie de la population décide de s'adjoindre la collaboration de la "Doctoresse Montessori", son savoir-faire pourra peut être contribuer à l'amélioration, par l'éducation, des difficultés que rencontrent les enfants des quartiers romains défavorisés.

Ceux qu'elle nomme les "merveilleux" enfants sont de fait des êtres violents, voleurs, ils sont sales et considèrent les adultes comme leurs ennemis. ‘"’ ‘Ce furent eux qui me persuadèrent, dira plus tard Maria Montessori, de la tâche à laquelle je me sentais appelée : renouveler l'éducation, combattre de toutes mes forces les anciens préjugés de l'esclavage de l'enfant, et donc de l'homme’ ‘"’ ‘ 402 ’.

Maria transfère les pratiques qu'elle a mis en place dans les asiles, dans le quartier de San Lorenzo, à l'attention cette fois des enfants "normaux". Elle utilise également le matériel pédagogique qu'elle a créé et utilisé avec succès dans ces mêmes asiles. Les quelques pièces mises à sa disposition constitueront la "Casa dei bambini" - maison des enfants - qui est inaugurée le 6 janvier 1907. La cinquantaine d'enfants qu'elle y accueille devient une communauté d'enfants plus calmes, plus ordonnés, et, qui surtout retrouvent "la joie de vivre et (la) soif d'apprendre"403. Dès lors, la dynamique est lancée, en avril 1907 une seconde "maison des enfants" est ouverte, en 1913 de nombreuses écoles Montessori sont déjà ouvertes dans le monde, dont plusieurs en Amérique.

Pour Maria Montessori, les potentialités de l'enfant sont réduites dans leurs moyens d'expression par l'action du pouvoir de l'adulte sur celui-ci. L'éducation doit faire en sorte de favoriser le développement de la conscience humaine. La relation à autrui dans le respect mutuel doit s'originer dans le respect que l'adulte montre envers l'enfant. Or, pendant la première guerre mondiale, Maria Montessori écrit : ‘"’ ‘qui aime les enfants s'élève contre cette guerre et lutte pour la paix’ ‘"’ ‘ 404 ’. Pour Maria, toute déviance violente, derrière toute agressivité, phénomènes qui traduisent des troubles psychiques, il y a, à l'origine un enfant que l'on a empêché de grandir, un enfant qui a été opprimé par l'adulte.

En conséquence, pour sauver l'homme, contre lui-même, il faut que s'organise la défense de l'enfant.

Notes
400.

- Maria Montessori, citée par A. Sizaire, Op. Cit.. P. 20.

401.

- SIZAIRE, (A), Maria Montessori, l'éducation libératrice, Paris, D.D.B. 1994. p. 25.

402.

- Maria Montessori citée par A. Sizaire, p. 26.

403.

- Ibid. p. 30.

404.

- Ibid. p. 53.