Où situer les fondements de la paix ?

De 1932 à 1939, Maria Montessori tient des conférences, ou participe à des congrès dont l'objectif premier concerne la paix. Ainsi, en 1932, elle prononce un discours à l'Office International de Genève ou elle tente de poser les fondements de ce que pourrait être une éducation pour la paix.

Pour Maria Montessori, l'enjeu du problème de la paix se pose en ces termes : le destin de la civilisation est lié au devenir de la paix dans le monde. Si dans le champ de l'éducation, la paix ‘"’ ‘devenait une discipline à part entière, elle serait la plus noble de toutes, car la vie même de l'humanité en dépend’ ‘"’ ‘ 405 ’ ‘.’ Pour la pédagogue, si la science de la guerre fut de tout temps privilégiée tant du point de vue de l'armement que de celui de la stratégie, une "science de la paix" par contre est inexistante. L'homme, "maître du monde extérieur", n'a pas réussi à apprivoiser ses énergies intérieures, alors que, poussé par son instinct de préservation de la vie et sa soif de connaissances, il ‘"’ ‘s'est montré capable de démêler de nombreux mystères de l'univers et de découvrir des énergies cachées pour les mettre à son service’ ‘"’ ‘ 406 ’.

Mais avant tout, pour Maria Montessori, ‘"’ ‘dans l'ensemble des innombrables idées qui enrichissent la conscience humaine, on serait bien en peine de trouver un concept clair correspondant au mot paix’ ‘"’ ‘ 407 ’au-delà de l'habituelle définition que l'homme lui attribue, c'est-à-dire la simple cessation de la guerre et la soumission forcée des vaincus à leurs vainqueurs, Maria Montessori imagine ce que pourrait être "la vraie paix".

Les situations historiques montrent tour à tour des vainqueurs qui furent vaincus et inversement. Or, ‘"’ ‘les uns comme les autres sont loin de l'influence divine de l'amour, ils sont des créatures déchues, pour lesquelles l'harmonie universelle a été brisée en mille morceaux’ ‘"’ ‘ 408 ’ ‘.’

La "vraie paix" doit se fonder sur "le triomphe de la justice et de l'amour parmi les hommes" où pourra se construire un monde d'harmonie.

Pour cette femme, nous devons nous questionner sur le seul point possible qui distingue la guerre de la paix, et Maria Montessori de s'interroger : ‘"’ ‘mais où donc, dans le monde, existe-t-il un laboratoire dans lequel l'esprit humain ait essayé de découvrir quelque fragment de vérité, de mettre en lumière le moindre facteur positif dans cette question de la paix ?’ ‘"’ ‘ 409 ’ ‘.’

Certes, les hommes souhaitent la paix et cependant ils sont en contradiction dans leurs souhaits avec leurs actes ; ceci dénote un désordre moral, une folie insidieuse, un dérèglement du psychisme, dont seul, un retour à la raison assurerait un possible salut pour l'humanité.

Dès 1937, Maria Montessori pointe les éléments qui pour elle sont essentiels en regard de ses conceptions éducatives liées à la paix. Pour elle l'enfant est un "embryon spirituel"410 à développement spontané.

L'erreur que commet l'ensemble de l'humanité c'est de faire barrage, inconsciemment ou non, au développement naturel des potentialités de l'enfant. Nous sommes par ailleurs, dans cette période de l'histoire, à une époque de ténèbres, comme le dit la Bible, écrit-elle, et la prophétie semble se réaliser. Certes la science apporte un regard sur les merveilles du monde, mais cependant nous sommes environnés de ténèbres du point de vue de l'humanité et de son développement vers un état de paix entre les hommes ainsi qu'entre les peuples. Cet état de fait génère chez l'homme le sentiment de crainte, alors qu'il a "besoin de tranquillité et de paix"411. Il faut permettre à l'enfant de se réaliser également par le travail, il ne s'agit pas du travail qui permet de gagner sa vie financièrement, mais ‘"’ ‘le travail est l'instinct le plus fondamental de l'homme... le travail est le moyen de remédier à tous nos manques’ ‘"’ ‘ 412 ’. Outre cela, ce travail doit se réaliser dans un environnement adéquat et ‘"’ ‘l'amour pour l'environnement est le secret de tout progrès de l'homme et de l'évolution sociale’ ‘"’, c'est pour Maria Montessori, ce qui pousse l'homme à apprendre, étudier et travailler. Cet amour pour l'environnement se situe à l'opposé de celui qui pousse l'homme à posséder, c'est un sentiment spirituel puissant : "cet esprit divin" pousse l'homme "vers un but mystique : la création de la supernature"413 et pour cela l'homme doit rechercher en lui les lois cachées qui gouvernent sa vie, la nécessité de participer à la création de la supernature et de la nation unique414.

Dans la nature, ce qui compte ce n'est pas l'individu, ‘"’ ‘mais la survie des générations futures’ ‘"’ ‘ 415 ’, c'est la vie en général qui est ‘"’ ‘la force qui créée notre planète... [et] la vie maintient la vie’ ‘"’ ‘ 416 ’ ‘.’

En ce qui concerne les animaux, ils assument leur destin de façon quasi instinctive alors que l'homme doit assurer la création de son environnement, ce qui pour Maria Montessori est sa raison d'être, il ne peut se contenter d'être l'une des créatures habitant simplement la terre. Le seul choix qui s'offre à l'homme c'est d'accomplir sa tâche, soit dans la joie soit dans la douleur.

‘"’ ‘L'homme est né pour travailler, tant avec ses mains qu'avec sa tête’ ‘"’ ‘ 417 ’ et cela dans une unité fonctionnelle, à l'inverse des animaux qui exécutent une tâche ou un ensemble de tâches uniques et répétitives. L'homme peut entreprendre toutes les tâches imaginables qui peuvent s'offrir à son inventivité, c'est en cela précisément, par son travail divers et varié qu'il "‘crée une supernature et cette supernature de l'homme est différente de la nature ordinaire’ ‘"’ ‘ 418 ’ ‘.’

Grâce à ses efforts de création, la supernature, en interaction avec lui-même, a transformé l'homme. Ces interactions entre l'homme et son environnement sont une des caractéristiques majeures de ses spécificités. Les limites naturelles sont dépassées et c'est précisément dans le dynamisme des interactions que l'homme doit poursuivre son évolution, dont un élément essentiel est le développement de l'intelligence humaine au cours des générations419.

Les groupes humains se sont développés et ‘"’ ‘aujourd'hui l'humanité toute entière ne forme plus qu'un seul ensemble... [qui] partage la même fonction... un intérêt unique les rassemble [les hommes] et les fait fonctionner comme un seul organisme vivant’ ‘"’ ‘ 420 ’ ‘,’ cependant que l'homme continue à vivre dans un univers affectif qui est dépassé, puisque ‘"’ ‘l'humanité constitue un tout unique et indivisible, une seule nation’ ‘"’ ‘.’

Ainsi, le rôle de l'éducation est de facto, de se soucier non seulement du développement de la personne humaine, mais également de guider l'homme vers ‘"’ ‘l'intelligence de l'humanité et la personne humaine normale’ ‘"’ ‘ 421 ’ ‘.’

Notes
405.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, Paris, DDB, 1996, 1ère édition 1949, p.25.

406.

- Ibid. p.26.

407.

- Ibid.

408.

- Ibid. p.28.

409.

- Ibid.

410.

- MONTESSORI, (M.), L'esprit absorbant de l'enfant, Paris, DDB, 1992. p. 50. Ainsi que : L'enfant, Paris, DDB, 1992. 205 p. p. 25.

411.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, Paris, DDB, 1996. p. 118.

412.

- Ibid. p. 120.

413.

- Ibid. p. 124.

414.

- Ibid. p. 125.

415.

- Ibid. p. 126.

416.

- Ibid. p. 127.

417.

- Ibid. p. 130.

418.

- Ibid.

419.

- Ibid. p. 132.

420.

- Ibid.

421.

- Ibid. p. 133.