La lutte entre l'enfant et l'adulte

L'adulte impose, selon Maria Montessori, à l'enfant d'agir selon ce qu'il a décidé pour lui. Or, espérer rétablir le psychisme humain pour un monde meilleur, c'est ‘"’ ‘prendre l'enfant comme point de départ’ ‘"’ ‘ 422 ’. Ces propos sont et seront à l'avenir, la ligne directrice à laquelle Maria Montessori se tiendra, l'enfant est ‘"’ ‘davantage que notre simple progéniture, plus que ce petit être constituant notre grande responsabilité’ ‘"’ ‘,’ écrit la pédagogue. Cet être auquel elle porte toute son attention doit être étudié selon elle, non pas comme un être dépendant, ‘"’ ‘mais comme une personne autonome, qui doit être considérée en fonction de sa personnalité individuelle propre’ ‘"’ ‘ 423 ’. Maria Montessori va plus loin encore en considérant l'enfant comme un "messie", comme un "sauveur", capable de régénérer la "race humaine" et la société.

Au-delà de l'embryologie de l'esprit humain qu'elle attribue à l'Emile de Jean-Jacques Rousseau, Maria Montessori ajoute, la découverte pressentie, selon elle, de ‘"’ ‘caractéristiques psychiques insoupçonnées et surprenantes’ ‘"’. Ces caractéristiques sont niées, de la part des adultes avec lesquels l'enfant, très tôt, entre en conflit ; ‘"’ ‘nous avons vu, écrit Maria Montessori, une guerre ’ ‘incessante qui assaille l'enfant dès le jour de sa naissance et fait partie de sa vie pendant toutes ses années de formation’ ‘"’ ‘ 424 ’ ‘.’

Là, comme ailleurs, c'est l'éternel conflit qui se développe entre le fort et le faible, particulièrement ici entre l'adulte et l'enfant. Le mal réside dans l'ignorance de la nature propre de l'état d'humanité, tant chez l'adulte qui cherche à mener sa conduite de domination, que chez l'enfant, qui mû par l'énergie vitale de son développement, se heurte au monde des adultes sans pouvoir épanouir les richesses qui sont les siennes.

Dans la culture complexe qui est la nôtre et qui s'est construite au cours des nombreuses générations qui se sont succédées, ce fut et c'est encore, une lutte inégale qui est menée où l'enfant est toujours vaincu. Ainsi, parvenu à l'âge adulte, l'enfant qu'il fut, ‘"’ ‘garde pour le restant de sa vie, les signes caractéristiques d'une paix qui n'est qu'un après-guerre’ ‘"’ ‘ 425 ’ ‘.’ L'enfant ne peut aider "le vieil homme déchu" en lui prêtant sa force et sa vitalité, car l'adulte se présente comme l'adversaire qui va étouffer tout élan d'espoir. Pour Maria Montessori ‘"’ ‘la clé du problème réside dans le fait suivant : la personnalité humaine des enfants et celle des adultes sont dotées de caractéristiques et d'un but qui diffèrent fortement. L'enfant n'est pas un adulte en miniature. Il est, d'abord et avant tout, le détenteur d'une vie personnelle qui a des caractéristiques et un but spécifiques. Le but de l'enfant pourrait être résumé dans le mot incarnation. L'incarnation de la personnalité humaine doit se réaliser en lui’ ‘"’ ‘ 426 ’ ‘.’

Ce long processus d'incarnation ou de "gestation spirituelle" suit des rythmes d'activité qui n'ont, selon Maria, aucune ressemblance avec les processus que suit l'adulte, qui lui, se révèle être agressif et porté à la conquête en général, au détriment de ses semblables.

En conséquence, cela implique pour l'enfant une activité totalement différente de celle de l'adulte. Or, si les activités naturelles, qui sont celles de l'enfant au cours de la croissance de son esprit, sont opprimées et réduites au silence, ‘"’ ‘les germes de la vie qui sont en lui deviendront stériles ’ ‘et il ne lui sera plus possible, plus tard en tant qu'adulte, de mener à bien les grandes œuvres dont la vie le chargera’ ‘"’ ‘ 427 ’.

C'est non seulement à l'école mais aussi à l'intérieur des familles que les luttes se développent. En d'autres termes, c'est l'éducation elle-même qui est en cause. Dans les écoles que Maria Montessori ouvre, ‘"’ ‘nous avons, quant à nous, écrit-elle, pris en compte la personnalité de l'enfant, pris en lui-même et pour lui-même, et nous lui avons offert, dans nos écoles, toutes les possibilités pour se développer, en créant un milieu répondant aux besoins de son développement spirituel’ ‘"’ ‘ 428 ’ ‘.’ Ainsi immergé dans cet environnement, tant matériel que spirituel, l'enfant révèle une personnalité différente de celle qu'il manifestait avant son entrée, et sa capacité intellectuelle est manifestement supérieure à celle qu'on imaginait lui attribuer, selon les constats que fait la pédagogue.

Si donc, ces moyens ne sont pas mis en œuvre afin que l'enfant puisse vivre grâce à ses potentialités, celui-ci dans les systèmes éducatifs traditionnels va recourir à la dissimulation et se ‘"’ ‘conformer aux attentes des adultes qui l'étouffent’ ‘"’ ‘ 429 ’.

Ceci aura pour incidence à long terme, et de manière quasi définitive, que l'enfant va refouler dans son subconscient la force de vie qui tente, en vain, de s'exprimer et, quand il sera adulte, il va perpétuer les nombreuses erreurs que commet régulièrement l'humanité et qui entraînent les guerres. C'est là, selon Maria Montessori, que se situe ‘"’ ‘le lien entre l'éducation et la question de la paix et de la guerre... et non de l'impact du contenu de la culture transmise à l'enfant’ ‘"’ ‘ 430 ’ ‘.’

La frustration de l'enfant engendre son agressivité à l'égard de l'autre, nous retrouvons également la nécessité de la prise en compte des désirs de l'enfant chez Célestin Freinet431.

Finalement, le destin de la société humaine n'est pas lié au fait que le problème de la guerre et de la paix soit abordé ou non avec les enfants, c'est plutôt le résultat de la frustration due à ‘"’ ‘l'affrontement aveugle entre le fort et le faible’ ‘"’ ‘ 432 ’ ‘.’

Si l'homme a fait des progrès afin d'améliorer sa santé physique, en revanche il ne semble pas qu'il soit parvenu à l'amélioration de sa santé psychique, ‘"’ ‘(il) continue à trouver plaisir dans les poisons subtils et convoiter des privilèges qui dissimulent des périls mortels pour l'esprit. Ce que l'on appelle souvent vertu, devoir et honneur ne sont que les masques des péchés capitaux que l'éducation transmet de génération en génération’ ‘"’ ‘ 433 ’ ‘.’

L'enfant qui n'a pu éprouver l'autonomie dans son travail et qui n'a pu également développer la maîtrise de sa volonté se reconnaît dans l'adulte qui laisse à d'autres la responsabilité de la guider, car alors qu'il était enfant, il aura manqué de confiance en soi. Il se trouvera contraint à un type d'obéissance qui aveugle le ‘"’ ‘droit de la raison et de la justice’ ‘"’, et ‘"’ ‘prépare un adulte qui se résignera à n'importe quoi et à tout’ ‘"’ ‘ 434 ’ ‘.’

Une autre considération importante dans la pensée de Maria Montessori est le fait de la prise en compte du développement de l'esprit de compétition qui ne prépare pas à la recherche de la vérité, ni à la considération de "l'autre", pas plus que cela n'incite à ‘"’ ‘coopérer pour créer un monde meilleur pour tous’ ‘"’ ‘ 435 ’.

Pour Maria Montessori, un homme qui aurait développé un esprit clair exclurait en lui la cohabitation de ‘"’ ‘principes moraux diamétralement opposés’ ‘"’, à savoir : un principe de justice qui vise à développer la vie d'un côté et, un principe qui vise à la détruire de l'autre et, un homme "fort", ne supporterait pas ‘"’ ‘d'avoir une conscience divisée’ ‘"’ ‘ 436 ’ ‘.’

Notes
422.

- Ibid. p.35.

423.

- Ibid.

424.

- Ibid. p.36.

425.

- Ibid.

426.

- Ibid. p.35.

427.

- Ibid. p.38.

428.

- Ibid. p.39.

429.

- Ibid.

430.

- Ibid.

431.

- Comme en ce qui concerne Piaget quand il développe le self-government.

432.

- Ibid.

433.

- Ibid. p.40. Cf. également les occupations et le "jeu Haschich" développé par Célestin Freinet.

434.

- Ibid. p.41.

435.

- Ibid. p.42.

436.

- Ibid. p.42.