"L'éducation peut-elle exercer une influence sur le monde ?"

C'est cette question qui est préoccupante pour Maria Montessori lors de ses conférences de Copenhague. Il est à remarquer à cette occasion que la question posée induit une incertitude relativement au fait que l'éducation exercerait en toute époque et en toute circonstance une influence décisive.

Le monde et plus particulièrement les sociétés occidentales ont évolué dans le sens d'un développement scientifique et industriel qui a pris le pas sur le développement spirituel. Or, ‘"’ ‘les vieilles raisons de faire la guerre sont désormais sans valeur’ ‘"’ du fait même que la production de richesses, au sens large, est à la portée de toute société humaine. Cependant, les hommes se sont trouvés d'autres mobiles pour alimenter leurs "raisons" de guerre. A cette situation, il faudrait voir le fait qu'au progrès des sciences et des techniques, il n'a pas été pensé parallèlement la nécessité et le rôle du développement intérieur de l'homme. L'unité qui avait par le passé présidé au développement de l'homme est rompue ; anciennement l'homme était adapté à son environnement, or ce dernier a changé et il n'y a pas eu adaptation compte tenu de la rapidité des changements intervenus dans l'environnement. Le résultat en est que la personnalité humaine est divisée et les modifications internes qui en résultent ‘"’ ‘peuvent être qualifiées de pathologiques’ ‘"’ ‘ 478 ’ ‘.’ Il s'agit d'un véritable "fléau psychique" qui touche plus particulièrement l'enfant dans son développement. En effet, cet enfant ne trouve aucune place qui lui soit réservée dans le monde maîtrisé par l'adulte et pour l'adulte. C'est d'abord au sein même de la famille que se révèle le problème, ‘"’ ‘les parents, ayant beaucoup trop à faire, semblent négliger leurs enfants’ ‘"’. Les injonctions communes posées par les parents et les enseignants sont positionnées d'un point de vue fonctionnellement productif : l'enfant doit travailler pour obtenir un diplôme, il doit obtenir tel ou tel emploi ; l'enfant doit obéir à ces injonctions, sinon comment fera-t-il pour vivre dans cette société moderne ? Les mots oubliés, selon Maria Montessori, qui organisent une éducation cohérente sont : "tous les hommes sont frères", alors que l'éducation elle-même amène les enfants sur le chemin de la compétition et de l'adversité qui isolent les hommes les uns des autres. Pour Maria Montessori, "la vacuité de l'âme" est le vrai danger, l'homme se "sent infériorisé pour des raisons intérieures", sa vie intérieure est en effet aride et désespérée du fait de l'arrêt de son développement intérieur. Il faut de ce fait guérir l'humanité de ce mal qui la ronge.

Si l'homme maîtrise le monde extérieur, il doit parallèlement apprivoiser "ses pouvoirs intérieurs" pour devenir maître de lui-même et permettre ainsi à sa personnalité individuelle de retrouver le contact avec les autres hommes. L'importance de l'éducation est de ce fait primordiale et particulièrement pour la construction de la paix, la vacuité créée par la polarisation sur l'extérieur, de l'éducation, de la famille et de l'école doit être comblée par le développement du monde intérieur à l'être humain, sinon ce lieu sera investi quoiqu'il en soit, et le résultat pourrait bien faire émerger la barbarie de manière endémique.

Afin de faire avancer la cause de la paix, il convient que soit entièrement repensée l'éducation dans ses fondements. Telle qu'elle est pratiquée habituellement, elle ne répond plus aux exigences nécessaires d'une construction de la paix entre les êtres humains. Il faut tout d'abord repenser l'intégration de l'enfant dans la société, du point de vue de l'éducation comme la préoccupation prioritaire.

Au-delà de la transmission d'un savoir, c'est pour Maria Montessori, l'intégration sociale qui est de la plus haute importance. Il y a dans les conceptions classiques, d'abord l'enfant qui deviendra adulte, cependant que ‘"’ ‘l'homme est un être humain dès le jour de sa naissance et même dès le jour de sa conception’ ‘"’ ‘ 479 ’ ‘.’

L'éducatrice fait un parallèle entre le problème de l'enfant, qui n'a pas sa place dans la société avec le problème de la femme, qui elle non plus, à cette époque, ne se voit pas de place reconnue au plan social.

Si, par ailleurs, l'adulte se croit être le créateur de l'enfant, il se trompe, il devrait en fait n'être que le serviteur de sa création plutôt que le dictateur, aux désirs duquel l'enfant se doit d'obéir.480

C'est par une prise de conscience de ce problème de la part de l'adulte que celui-ci en fera le véritable problème spécifique de l'éducation auquel il est urgent d'apporter des solutions, par une démarche ‘"’ ‘fondamentalement pratique, expérimentale et scientifique’ ‘"’ ‘ 481 ’ ‘.’

C'est aussi dès la naissance du petit d'homme qu'il faut organiser des structures éducationnelles assurant le développement physique, intellectuel et psychologique de l'enfant.

La transmission des savoirs n'est qu'un élément, au-delà, l'éducation est ‘"’ ‘une forme de protection, d'aide donnée dans le respect des droits de la vie’ ‘"’ ‘ 482 ’ ‘.’ L'adulte doit permettre à cet "embryon spirituel" qu'est l'enfant de faire sa conquête du monde par soi-même et pour soi-même, en créant principalement un environnement où il puisse être actif dans ses découvertes et ses expérimentations.

Notes
478.

- Ibid. p. ­69.

479.

- Ibid. p. 74.

480.

- Ibid. p. 75.

481.

- Ibid. p. 76.

482.

- Ibid.