"Pour que l'éducation aide notre monde aujourd'hui"

L'objectif fondamental de l'éducation est double, il s'agit en effet de permettre une prise de conscience de la valeur de la personne humaine dans son individualité d'une part et d'assurer le développement de l'humanité d'autre part. Cependant, l'éducatrice italienne n'a pas la naïveté de croire que le progrès de l'humanité repose uniquement sur la création d'une "personne humaine pacifique" et que de proche en proche ‘"’ ‘la masse des individus ainsi éduqués finira par former spontanément une société pacifique’ ‘"’ ‘ 483 ’ ‘.’

Le point de départ demeure néanmoins la prise de conscience de la valeur de l'homme, celle-ci est à faire, selon Maria Montessori, en se référant aux tendances naturelles de l'enfant, et ce n'est certainement pas en polarisant les préoccupations sur une activité professionnelle que l'on pourra atteindre l'objectif d'émancipation souhaitée. En effet, le choix de cette voie conduirait à de vaines spéculations sur une possible orientation professionnelle qui détournerait du véritable but, celui d'une réforme "fondamentale de l'organisation sociale".

"L'enfant modèle", montre par l'expérience et l'observation, si l'on veut être attentif, promet Maria Montessori, qu'il souhaite prendre en mains son évolution humaine et sociale, cependant il a besoin de trouver à sa disposition les moyens de ses réalisations. Il s'agit donc plus d'une aide structurelle à mettre en place que d'une aide formelle à destination de l'enfant .

L'enfant "veut" faire par soi-même et c'est l'organisation de structures présentes ou non, à sa disposition qui sont déterminantes en ce domaine. Dans le cas où il ne voit pas le but assigné en lui-même, où il est contraint de faire des choses "inutiles", l'enfant erre sans but, il se démotive et entre en conflit avec les adultes. A contrario, quand l'enfant est libéré de l'action oppressive, ou ressentie comme telle par lui de la part des adultes qui agissent à sa place, il travaille positivement au développement de son autonomie ; poser l'affirmation que l'enfant doit être libre est un truisme selon Maria Montessori ; ‘"’ ‘mais quelle liberté lui a-t-on en fait donnée ?’ ‘"’ ‘ 484 ’ interroge-t-elle. La seule liberté constructive pour une personne n'est-elle pas la possibilité qu'elle a d'agir de façon autonome ? C'est semble-t-il la condition indispensable qui assure l'émergence de l'individualité, et, il ne peut y avoir individualité dès lors que la personne ne peut juger et agir par elle-même.

Poussé par son instinct, l'enfant cherche à conquérir son autonomie. En conséquence, la nature humaine nous démontrerait et nous ferait ainsi prendre conscience que toute association, de quelque type soit-elle, serait fondée sur un regroupement d'individualités distinctes, ce qui fonde la notion de société, faute de quoi nous assisterions à la mise en place de "colonies animales" et non pas à la création des sociétés. Dans le monde animal les individus ne sont que corporellement distincts les uns des autres et ne sont pas autonomes, alors qu'au niveau supérieur, au plan de l'humain, l'individu est l'unité de base, autonome et constitutif de la société. L'individu s'associe aux autres dans un but commun.

Par ailleurs, si la société n'est pas finalisée, elle se présente plutôt comme un agrégat d'individus, chacun fonctionnant isolément et pas nécessairement de manière autonome. En d'autres termes : l'éducation a pour vocation la promotion et le développement de l'individu tout autant que celui de la société, et, cette société ne peut se développer si l'autonomie des individus ne se développe pas elle-même.

Il est donc impératif que très tôt l'éducation permette à l'enfant de développer son individualité et qu'il ait à sa disposition des structures lui assurant sa participation à une vraie vie sociale.485

La conception de la vie sociale telle qu'elle est présentée ici par Maria Montessori semble amputée de la dimension politique qui assure la confrontation démocratique des différents points de vues ayant pour finalité la gestion du bien commun. La vie sociale par "sympathie", dans le cadre d'associations, pour le travail en coopération, ne semble pas laisser de place à la possibilité de voir apparaître le conflit qui peut, par sa maîtrise raisonnée, être générateur d'innovation pour une société.

Quelles que soient les étapes de l'enfance et de l'adolescence, il faut, nous dit Maria Montessori, offrir à l'enfant, de manière permanente, les moyens dont il a besoin afin qu'il puisse faire ses expériences, ‘"’ ‘sa vie d'être social se développera alors au cours des années formatrices’ ‘"’ ‘ 486 ’ ‘.’ Mais objecterons-nous, le monde des objets et l'environnement suffiront-ils à assurer l'apprentissage de la vie sociale? Ces objets qui sont pour l'enfant "comme un aliment pour son esprit" ne le mettent pas implicitement en relation avec l'autre, ni avec son environnement, même s'il y a interaction constante entre l'individu et son environnement.

Pour Maria Montessori, c'est l'amour qui pousse l'enfant, non à la ‘"’ ‘possession des objets, mais vers le travail qu'ils lui permettent’ ‘"’ ‘ 487 ’ et le plus grand plaisir de l'enfant, qu'il partage d'ailleurs avec l'adulte, c'est d'utiliser les choses plus que le fait de les posséder.

L'enfant, s'engage, dans un certain environnement, vers le travail en association avec ses camarades, "car nul ne peut travailler seul", ainsi se développerait l'individualité. Par contre, si l'enfant est empêché d'agir, celui-ci va vouloir "posséder" les objets qui sont alentour, et au lieu de travailler en association, il développera de la violence dans son rapport aux autres. Dès lors, la coopération dans le travail cesse et le conflit qui en résulte débouche sur la violence à l'égard de l'autre. Maria Montessori fait la distinction entre l'homme qui "aime" et celui qui "possède" et pour elle, ce sont deux voies antagonistes qui représentent d'une part la voie du bien et d'autre part la voie du mal. La première conduit au "ciel" et la seconde en "enfer", l'une encore conduit à la "supernature", l'autre à la régression de la nature humaine.

Cependant, l'homme n'a pas sa liberté de choix quant à s'engager dans une voie ou dans l'autre, cela dépend de la possibilité qu'il a eue ou non, étant enfant, de se développer normalement ou anormalement, d'où le concept de normalisation de l'enfant que Maria Montessori emploie parfois. Dans le cas d'un environnement favorable "‘l'amour n'est pas cause mais l'effet du développement normal de l'individu’ ‘"’ ‘ 488 ’. C'est par une organisation correcte de l'humanité que l'éducation peut parvenir à ce but, "conformément aux lois de l'humanité"489.

Ainsi, l'espoir d'une paix entre les hommes pour l'avenir ne reposerait pas sur les connaissances formelles transmises par l'adulte mais sur un développement "normal de l'homme". Une société ainsi réformée serait garante d'un espoir de paix, l'adulte serait le constructeur du monde au service de l'enfant et ‘"’ ‘protecteur des forces spirituelles qui ne cessent de réapparaître dans chaque nouvel être humain qui naît’ ‘"’ ‘ 490 ’ ‘.’

Notes
483.

- Ibid. p. 71.

484.

- Ibid. p. 84.

485.

- Ibid.

486.

- Ibid.

487.

- Ibid.

488.

- Ibid.

489.

- Ibid. p. 86.

490.

- Ibid. p. 87.